« Mon pauvre lapin », c'est comme ça que sa grand-mère appelle César, le héros et narrateur de cette histoire. C'est une grosse dame alcoolique, loufoque, décomplexée, la seule friquée de la famille, qui finance ses filles − soit la mère de César et ses tantes, une tribu de sangsues. Elle loge son petit-fils ainsi que son ex-gendre, le père du gamin, qui a vingt ans de plus que la mère, et donc presque l'âge de l'aïeule. Elle vit entre la rue du Bac et sa maison de Key West, où elle fréquente un aréopage de veuves américaines aussi riches que superficielles et excentriques. C'est là que César passera le confinement, coincé avec mamie dans une Floride torride et paralysée. Pour seule distraction, la piscine, les veuves, et Tom Olson, le vieil ami de la famille, qui a autrefois couché avec sa mère (celle de César). C'est embrouillé ? Pas tant que le roman du jeune Morgiewicz (25 ans) − et c'est ce qui contribue à son charme −, lequel, d'un chapitre voire d'un paragraphe à l'autre, passe du récit de son « présent » à Key West durant l'épidémie de Covid, à une kyrielle de souvenirs de sa neuve existence. Et puis, il faudra bien rentrer, reprendre des études abandonnées − son titre de gloire est de s'être enfui de Sciences Po où il préparait le concours d'entrée à l'ENA -, retrouver sa chambre de bonne et la tambouille infecte qu'il s'y mitonne le midi, des pâtes et des pâtes avec n'importe quoi dedans. Le soir, il squatte chez mamie, ravie, où la table est nettement meilleure.

À Paris, César retrouve aussi sa solitude : il n'a jamais eu d'amis, fréquenté de « jeunes de son âge », comme on dit, et comme le lui demandent sans arrêt toutes les MILF qui l'entourent, le chouchoutent, le cajolent, l'encouragent, persuadées qu'il est un surdoué et qu'un bel avenir l'attend. Comme Romain Gary, un ancien voisin de la rue du Bac.

Car César écrit le roman de César, Mon pauvre lapin, où il raconte tout, sans filtre et sans fard. Sa famille démentielle, son hypocondrie pathologique, sa parano et sa sexualité hésitante : il lui faudra attendre vingt ans pour se voir dépucelé, dans un foyer d'étudiants de Saint-Pétersbourg, par la méritante Vanessa, tout en matant les fesses de Maksim, le bel Estonien !

Sans doute en partie autobiographique − pas trop, espère-t-on −, tout cela est désopilant, servi par un style enlevé et pince-sans-rire. Il y a juste la fin, un peu rapide. Mais Morgiewicz a réussi magistralement son entrée en littérature. Ave, César.

César Morgiewicz
Mon pauvre lapin
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 240 p.
ISBN: 9782072968556

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