Il y a des enfances plus faciles que d’autres. Helen Anstruther avait 3 ans quand sa mère Lisbeth est morte d’une pneumonie. Là, l’héroïne du beau roman de Gail Godwin vient de perdre sa chère grand-mère, Nonie, conteuse née emportée alors qu’elle choisissait un chapeau de Pâques dans un grand magasin de la ville.
Helen a 10 ans et va vers sa onzième année. Pour l’heure, il va lui falloir passer l’été sans son père. Proviseur du lycée de Mount City, papa doit partir à Oak Ridge, dans le Tennessee, poursuivre une mission secrète pour l’effort de guerre. Celle en Europe est certes terminée - Hitler vient de se suicider dans son bunker à Berlin -, mais pas celle avec les Japonais.
Afin qu’elle ne soit pas seule, papa a fait appel à une cousine germaine de sa défunte épouse. Flora a 22 ans et se destine à être professeure. Voici une jeune femme qui maîtrise mal ses émotions, fond en larmes de façon spontanée. Elle aussi a souffert, perdu son père, abattu d’une balle entre les deux yeux au cours d’une partie de poker. Flora débarque d’Arizona avec son petit chapeau à voilette. Elle ne sait pas conduire, doit prendre un taxi pour emmener Helen à la messe. Elle explique qu’elle a parfois l’impression de ne rien savoir "sur la vie en général", qu’on l’a déjà demandée à deux reprises en mariage et que l’un de ses soupirants avait déjà deux enfants adultes et des poils qui sortaient de ses oreilles. Toutes deux jouent aux osselets, écoutent à la radio une émission mystère sans allumer la lumière "pour avoir encore plus peur". Petite fille qui n’a pas l’habitude de se promener, Helen ne va pas pouvoir se baigner non plus : on signale des cas de polio attrapée après un détour par l’étang.
Heureusement, il y Finn. Le livreur de courses du Grove Market a 22 ans, comme Flora, et apporte un peu de joie dans les parages… Gail Godwin, dont les Presses de la Renaissance avaient publié en 1983 Une mère et ses deux filles, avance ses pions un à un. Et conte ici un été ennuyeux - sauf pour le lecteur - qui va se terminer de façon terrible et cruelle…
Alexandre Fillon
