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Chapitre à vendre : pour qui ces 52 librairies ?

Librairie Chapitre, Saint-Etienne. - Photo Olivier Dion

Chapitre à vendre : pour qui ces 52 librairies ?

Le réseau qui voulait occuper la première place sur le marché du livre se retrouve, onze mois après Virgin, en liquidation. Les 52 librairies Chapitre ont un mois pour trouver des repreneurs. A ce jour, un tiers des magasins bénéficieraient d’une offre solide.

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Par Cécile Charonnat,
Clarisse Normand,
Créé le 07.12.2013 à 13h48 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

L’implantation des librairies Chapitre

En octobre, il avait déclaré dans nos colonnes ne pas vouloir faire un « Virgin bis » (1) en déposant le bilan le 4 janvier 2014. Contraint par la situation financière de l’enseigne qui affiche des pertes cumulées de 15 à 20 millions d’euros depuis 2008 et oblitère la capacité des magasins à poursuivre leur activité, Michel Rességuier, président de Chapitre depuis mai, a d’une certaine façon tenu parole… en s’y prenant plus tôt. Dès le 2 décembre, il a demandé au tribunal de commerce de Paris une mise en liquidation judiciaire, avec poursuite d’activité d’un mois, des 52 librairies Chapitre et de son département de ventes aux collectivités, Biblioteca.

Validée par le juge, la procédure collective permet ainsi d’accélérer les cessions des fonds de commerce et de donner un peu d’air à la trésorerie de Chapitre, complètement exsangue. Ainsi, dès l’ouverture de la procédure, les salaires sont pris en charge par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) et les dettes de l’entreprise sont gelées. Dans le secteur du livre, elles s’élèveraient à environ 7 millions d’euros. Pour les distributeurs et les diffuseurs qui, en vertu de la « convention ducroire », assument les impayés, c’est un nouveau coup dur dans une année 2013 déjà marquée par la liquidation de Virgin. Mais son impact se répartira différemment, touchant cette fois davantage le secteur de la littérature générale. Cependant, les répercussions seront également vives pour Actissia, propriétaire du réseau. « Une partie de la dette globale appartient au groupe, qui nous finance depuis plusieurs années et qui reste notre principal fournisseur, en termes de services et de locaux notamment », observe Michel Rességuier, précisant que la disparition de Chapitre concerne une centaine de personnes aux services du siège… en plus des 1 100 salariés des équipes opérationnelles.

 

 

Des offres

Dorénavant, l’enjeu est de trouver des solutions à l’extérieur du groupe pour permettre la poursuite de l’activité du plus grand nombre d’entités qui, en tout, réalisent près de 3 % du marché du livre. Toutefois, le premier recensement, réalisé le 3 décembre, des offres constituées avant la mise en place de la procédure collective n’est guère enthousiasmant. La CGT, syndicat majoritaire chez Chapitre, décompte seulement six offres pouvant être considérées comme « quasi abouties », auxquelles s’ajoutent onze projets soumis à des conditions suspensives, de financement notamment, et dix-neuf autres en cours de discussions. Par ailleurs, quatre points de vente seraient repris sans poursuite de l’activité librairie et sept n’ont reçu aucune marque d’intérêt. Il reste enfin cinq magasins pour lesquels on ne sait rien.

 

Expliquant l’absence de communication officielle, la prolongation de quelques jours de l’appel d’offres instituée par l’administratrice judiciaire Carole Martinez et ses co-mandataires, afin de vérifier si la direction de Chapitre n’a pas écarté de candidat sérieux, ne devrait pas modifier la donne. En jouant la carte des hypothèses, on peut tenter de dresser un premier bilan sur l’état d’avancement des cessions.

Au rang des magasins bénéficiant d’une offre valable figurent très probablement Angoulême, porté par son directeur Pascal Dulondel, et Le Hall du livre à Nancy, sur lequel deux éditeurs, Gallimard et Albin Michel, se sont penchés. L’éditeur de la rue Huyghens serait également intéressé par d’autres points de vente, comme Les Volcans d’Auvergne à Clermont-Ferrand.

Du côté des libraires, Jean-Marie Aubert, patron de Masséna à Nice, a déposé un projet pour Antibes, et François Céard, à la tête d’Alpine à Gap, s’intéresse aux deux magasins de Colmar. Guillaume Decitre a également manifesté son intérêt, ainsi que la Fnac, qui verrait là un bon moyen de pénétrer dans des villes moyennes via son système de franchise. Enfin, la librairie de Besançon a fait l’objet de trois offres de reprise, et celle de Perpignan de deux, dont une « très solide », comme l’annonçait récemment sa directrice dans le quotidien L’Indépendant.

Le récent dépôt de bilan pourrait déclencher de nouvelles candidatures. Deux réunions intermédiaires sont d’ailleurs prévues pour les étudier : l’une juste avant Noël, l’autre le 6 janvier, veille de l’audience de liquidation, programmée le 7. Quoi qu’il en soit, le temps presse et la partie s’annonce serrée pour sauver ce qu’il reste d’un réseau dont Michel Rességuier estime que «15 % est en bonne santé et 100 % viable sous certaines conditions, dont des déménagements comme à Lyon ».

 

 

Dans un centre commercial

Se déplacer, c’est l’option qu’a retenue François-Régis Sirjacq, repreneur de la librairie rennaise. En lice depuis deux ans pour le rachat du magasin qu’il a fondé en 1985, sous l’enseigne Forum du livre, l’ancien directeur du livre de Chapitre devrait signer l’acte de cession final le 6 décembre. Après Mont-Saint-Aignan en juillet, deux points de vente de Toulouse en septembre et Dax fin octobre, c’est la 5e librairie Chapitre à avoir déjà retrouvé l’indépendance. Dès la fin de février, le magasin déménagera dans un nouveau local, situé dans un centre commercial de centre-ville à quelques rues de l’emplacement actuel. Sur une surface équivalente, 1 250 m2, la librairie, qui retrouve son nom initial, proposera une offre composée à 80 % de livres et à 20 % de papeterie. Les deux principales innovations résident dans la création d’un café littéraire, que François-Régis Sirjacq conçoit avant tout comme un lieu d’échanges et de débats, et dans l’utilisation active des réseaux sociaux. Grâce à son expérience au sein de Chapitre, le repreneur entend motiver son personnel (40 salariés repris en intégralité) autour « d’une stratégie claire et réaliste, qui privilégie avant tout l’accueil, la proposition de fonds, l’animation et l’outil Internet ».

 

C. Ch. et C. N.

(1) Voir LH 969 du 11.10.2013, p. 26.

 

Quel impact chez Actissia ?

La sortie des librairies Chapitre et de Biblioteca du périmètre d’Actissia suscite des interrogations sur l’avenir des autres entités du groupe, organisé en quatre pôles d’activité pour un chiffre d’affaires global de 550 millions d’euros en 2012.

Retail

Sans Chapitre et Biblioteca, ce pôle n’accueillera plus que le réseau belge Libris Agora, constitué d’un site Internet et de cinq librairies (Bruxelles, Liège, Louvain-La-Neuve, Namur et Uccle). Reste à savoir si cette entité a aujourd’hui encore sa place dans le groupe.

New Media

A côté des activités de diversification (Ma boîte à beauté, Quintonic…), le site Internet Chapitre.com suscite des interrogations. En effet, bien que ne faisant pas partie des actifs à céder, il va perdre l’appui d’un réseau de magasins. Une nouvelle version du site, intégrant du livre numérique, sera lancée début 2014.

Club

Réunissant une demi-douzaine de clubs (dont Le Grand Livre du mois, Kiosque à idées, Photocité…), le pôle est dominé par France Loisirs qui compte 3 millions d’adhérents, 205 points de vente et réalise plus de 300 millions d’euros de CA, dont 86 % dans le livre. Actissia annonce pour 2014 un repositionnement de ce club avec à la clé une diversification de ses activités, même si le livre a vocation à rester majoritaire.

Services

Actissia propose en B to B des prestations en matière de relation client, numérisation, informatique ou encore logistique.

49 % de Loglibris

La plateforme logistique détenue à 51 % par Volumen-La Martinière risque de perdre 15 % de son chiffre d’affaires jusque-là réalisé par les librairies Chapitre. Assurant qu’elle s’était préparée à un reflux d’activité, son président, Hervé de La Martinière, se veut confiant sur les possibilités de compenser cette perte. Quant aux questions concernant le capital de Loglibris, il indique simplement que toutes les pistes sont ouvertes.

C. N.

Chronique d’un échec annoncé

 

Le dépôt de bilan des librairies Chapitre est le résultat d’une série d’erreurs stratégiques et managériales. Analyse d’un parcours qui s’étend sur vingt ans.

 

Jörg Hagen, P-DG d’Actissia, ex-DirectGroupe France.- Photo OLIVIER DION

Certains ont peut-être encore en tête les ambitions affichées par les dirigeants de Chapitre au cours de la seconde moitié des années 2000 : faire de l’enseigne le numéro un du livre en France, devant la Fnac ! Autant dire qu’aujourd’hui la chute est rude même si, ces dernières années, de plus en plus de professionnels la voyaient venir. « Depuis trois ans, le chiffre d’affaires réalisé par le réseau recule, les opérations proposées par les éditeurs ne sont plus relayées, les équipes en librairies sont démotivées », rappelle Hélène de Laportalière, directrice commerciale de la Sodis. Comme beaucoup de ses confrères, elle estime que « la grande erreur de Chapitre est d’avoir voulu imposer une centralisation des achats à un ensemble de librairies hétérogènes ».

 

 

Manque de moyens

Soulignant le manque de moyens apportés par le fonds d’investissement Najafi Companies, propriétaire de Chapitre depuis 2011, Vincent Montagne, P-DG de Média-Participations et président du Syndicat national de l’édition, estime lui aussi que « la stratégie de centralisation était une fausse bonne idée. Non seulement elle s’appuie sur une structure de 100 personnes, ce qui n’est économiquement pas raisonnable, mais encore elle va à l’encontre de la diversité éditoriale sur laquelle repose le commerce du livre ».

 

Au sein de Chapitre, François-Régis Sirjacq, qui reprend la librairie rennaise, se souvient pourtant qu’au moment de la reprise du réseau par Bertelsmann, l’idée de mutualiser les ressources et les outils avait suscité en interne une certaine adhésion. Toutefois, le contrat de confiance a vite été rompu entre la direction et les équipes des magasins. La mise en place, dès 2008, d’un plan de sauvegarde de l’emploi « a cassé l’ambiance dans les librairies ». Mais surtout, les vendeurs ont mal supporté la pression exercée pour leur imposer l’utilisation de certains outils, comme le logiciel Interférences et la plateforme logistique Loglibris, dont les dysfonctionnements avaient pourtant été préalablement pointés par les magasins pilotes. D’où une succession de départs parmi les responsables de magasins emblématiques : Pascal Salet à Brive, Jean Fèvre à Lyon, Sylvie Champagne à Orléans, Isabelle Desesquelles à Toulouse…

Parti en 2007, Pascal Salet (aujourd’hui à la tête de Siloë à Nancy) fait remonter les problèmes des librairies à leur rachat en 2005 par Bertelsmann. Sous la direction de Jörg Hagen, qui n’a pas souhaité s’exprimer, les librairies rassemblées dans DirectGroup France puis dans Actissia passent d’une logique de réseau à une logique de chaîne. « On est allé trop loin dans la rationalisation et on a cassé la dynamique des magasins, explique-t-il. Sous la direction de François d’Esneval, seules certaines fonctions, administratives ou de communication, étaient centralisées autour d’une structure légère constituée en GIE, et cela fonctionnait très bien car les librairies restaient autonomes. »

Pourtant, à l’époque déjà, le réseau, baptisé Privat, posait question. La politique de développement qui l’avait conduit à racheter des établissements, certes leaders dans leur ville mais parfois confrontés à des difficultés financières, l’avait fragilisé. Et le manque de vision d’ensemble avait conduit le réseau à n’être qu’une addition de librairies sans lien entre elles.

Issue d’une longue histoire, l’agonie actuelle du réseau est, on le voit, plus complexe qu’il n’y paraît. Elle est surtout, selon le Syndicat de la librairie française (SLF), le témoignage, après la disparition de Virgin, « de l’échec des stratégies de rationalisation à l’excès, incompatibles avec la réalité du métier de libraire et avec les attentes des lecteurs ».

C. N.




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