Je n’oublierai jamais cet enterrement. Encore adolescent, j’avais rejoint ma famille en Corrèze, terre qui n’incite pas à la gaîté avec ses ardoises bleues-nuit et ses prés verts. On enterrait une cousine que j’aimais bien. L’église était pleine de femmes en noir, les hommes attendant au bistrot dans cette terre particulièrement déchristianisé. Le curé ânonnait son latin, les vieilles chantaient comme des crécelles, et la pelletée de terre au cimetière m’était restée sur l’estomac. C’est alors que nous sommes passés à table. L’horreur. Triste comme un ado, ce qui n’est pas loin d’un pléonasme, j’ai assisté à une sorte de noce paillarde qui m’a beaucoup choqué alors. Ca buvait, ça riait, ça s’engueulait. A n’y rien comprendre. Enterrement chic dans l’Upper east side . Samedi je me suis retrouvé dans une réception comme Saint-Germain des Prés n’est pas capable d’en organiser. Là aussi nous avons bu, mangé, rit. Mon ami John n’était plus là avec nous (voir chronique précédente) Et pourtant la porte de son bureau restait ouverte comme depuis 50 ans, avec ses dégueulis d’enveloppes de service de presse, son ordinateur allumé, sans doute avec des notes pour ses prochains articles pour Harper’s , New York Magazine , la New York Review of Books , The Nation , etc. Plus que les invités, tous les livres qui remplissent les étagères de sa maison parlaient de lui. Le romancier Colum McCann ( 1 ), un autre ami que j’avais présenté au premier, s’était éloigné de la foule. Après avoir tâté les dictionnaires qui entourait l’Apple de son critique favori, il caressait le premier Garcia Marquez que John chroniqua pour le New York Times , le deuxième Don DeLillo qu’il imposa à la Une de son supplément littéraire, les œuvres complètes de Toni Morrison, de Doctorow, Le Capital , les œuvres complètes de Trotski, Huckleberry Finn qu’il chérissait plus que tout, etc. Dans la cuisine, où nous avons eu des centaines d’heures de conversation autour du café qu’il était seul à savoir faire si bien, se pressaient ses amis journalistes, écrivains, hommes de cinéma ou de télévision un verre et une assiette en carton à la main. Dans le salon trônait Toni Morrison, majestueuse comme le Prix Nobel de littérature qu’elle est. Sous son chignon de dread locks grises comme la neige à New York, elle racontait des histoires et nous rions. Comme quand John Leonard racontait les siennes. Toni Morrison s’est lancé dans la dernière : sa rencontre avec Franck McCourt, l’auteur des Cendres d’Angela : « Je lui ai tendu la main, il m’a regardé et il est parti !… » Un silence souligné par des yeux en bille de loto. « Un mois plus tard je reçois une lettre de lui : ‘Si vous saviez comme je suis honteux. Sans mes lunettes maintenant je fais des gaffes tout le temps. Avec l’âge, les Irlandais oublient tout sauf la rancune et, moi, je vous aime ». Alors j’ai pris ma plus belle plume et je lui ai répondu : « Cher Franck, qui êtes vous ?… » Eclat de rire général. Plus tard elle racontera qu’elle vient de changer d’ordinateur : « L’installateur m’a demandé si je voulais transférer des documents de l’ancien sur le nouveau. Je lui demandé à conserver mes manuscrits. ‘Et vos mails ?’ Je lui ai dit que je ne m’en étais servi que deux fois en cinq ans et que je n’avais pas eu de réponses. En cherchant, il en a trouvé… 8000 !!! » On rit avec Obama . Avec John, après John, aux funérailles de John on ne parle que de l’élection de Barack Obama. Comme me le dit un journaliste de RFI en année sabbatique à Harlem, « peut être les Français vont-ils commencer à comprendre ce pays, loin des caricatures qu’on en fait, où le meilleur joueur de golf est un Noir, Tiger Woods, et le meilleur rappeur un Blanc, Eminem. » A voir la blogosphère française ça commence à entrer plus vite que chez les journalistes. Je vous conseille d’écouter Miss Zen («Ce merveilleux esprit cartésien ») qui se plaint des plaintes de la presse française qui n’a pas attendu d’apporter des informations pour faire la fine bouche sur l’ « Obamania » A lire en date du 7 novembre : http://zenacroquer.blogspot.com/ Et pour revoir une dernière fois « Bam » comme le surnomme déjà la presse populaire américaine, cette vidéo que m’a envoyée Barbara Constantine qui montre un homme qu’on n’a pas vu. Le dernier jour de sa campagne en Virginie Obama se lâche, on le découvre drôle, plein d’humour. Pour ceux qui ne comprennent pas bien l’anglais, le leitmotiv « Fired up ! Ready to go ! », signifie en gros: “ A vos marques, prêt, partez! ” Regardez : http://www.youtube.com/watch?v=BjA2nUUsGxw&feature=bz301 __________ ( 1 ) Il publiera en juin (septembre en France) son nouveau roman consacré au jour –le 17 août 1974- où le funambule français Philippe Petit avait franchi sur un câble le vide séparant les Twin towers.

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