Comment faire parler du livre religieux ?

Comment faire parler du livre religieux ?

En dépit du nouvel intérêt des intellectuels pour les questions spirituelles, il reste toujours plus difficile de promouvoir, et donc de vendre, des ouvrages spécialisés.

J’achète l’article 1.5 €

Par Anne Ducrocq
avec Créé le 31.12.2014 à 13h36 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

"Pour ma part, je suis satisfait de la part que la presse nationale nous consacre. Quand le patriarche oecuménique Bartoloméo est venu aux éditions du Cerf, sept chaînes de télévision étaient présentes." NICOLAS-JEAN SED,LE CERF- Photo OLIVIER DION

Chez Albin Michel, nous publions des textes pour un plus large public qu'il y a quinze ans, rappelle Frédérique Pons, attachée de presse de la maison depuis 1996. Nous allons à la frontière du littéraire, du témoignage, de l'engagement, mais nos livres ont comme dénominateur commun la recherche de sens : c'est peut-être une nouvelle définition du livre religieux." De fait, toutes les règles du jeu ont changé. Depuis quelques années, un christianisme "branché" a émergé. De nombreux intellectuels et romanciers se sont mis à parler de façon personnelle de spiritualité, tels Michel Onfray, Jean-Claude Guillebaud ou Philippe Sollers. Cette démarche est même devenue une valeur ajoutée pour l'image d'un auteur. La presse spécialisée (La Vie, Famille chrétienne, LePèlerin, Panorama...) a bénéficié de l'apport de ces têtes d'affiche qui contribuent à la désenclaver. Par ricochet, les éditeurs regrettent que celle-ci joue un peu moins le jeu des livres plus spécialisés, qui auraient davantage besoin de soutien.

"La Croix, avec 110 000 exemplaires, reste le dernier grand prescripteur. Sinon, Le Monde, de temps à autre, ose parler de livres de théologie ou d'exégèse." FRÉDÉRIC BOYER, BAYARD- Photo OLIVIER DION

Les médias généralistes, quant à eux, réservent la portion congrue au livre religieux, sauf à parler de livres personnels ou abordés sous l'angle du fait de société. La disparition progressive des chroniqueurs spécialisés dans le religieux, comme Henri Tincq au Monde, Bruno Chenu et Michel Kubler à La Croix, dont les voix se faisaient entendre, y est pour beaucoup. "On confie le sujet à des journalistes qui s'occupent de cela entre autres choses, déplore un éditeur. Ils abordent le fait religieux, pas la culture religieuse." Sauf quand il y a un événement, comme la parution au Rocher-Parole et silence du tome 2 du Jésus de Benoît XVI, où toute la presse est sur le pont, ou celle du Christianisme en accusation de René Rémond (DDB), qui a suscité un débat lancé par les grands éditorialistes de la presse non confessionnelle. "Pour ma part, je suis satisfait de la place que la presse nationale nous consacre, tempère Nicolas-Jean Sed, P-DG des éditions du Cerf. Les événements, il faut les créer ! Quand le patriarche oecuménique Bartoloméo, 270e patriarche de Constantinople, est venu aux éditions du Cerf dans notre petite salle, sept chaînes de télévision étaient présentes. Nous avons eu également des papiers partout. »

RÉSEAUX SOCIAUX

"Les rédactions deviennent de plus en plus normatives, regrette en revanche Hélène Daigremont-Rousselot, attachée de presse depuis 1995 chez DDB. Nous avons par exemple publié des livres de dialogue entre deux auteurs, qui pouvaient offrir de multiples thèmes de discussion. Les journalistes auraient donc pu imaginer un face-à-face entre les deux auteurs..." De fait, les temps sont moins au débat qu'à l'expertise. Les médias raffolent des experts comme Frédéric Lenoir, Odon Vallet ou Bernard Lecomte, par ailleurs auteurs de best et long-sellers.

"La Croix, avec 110 000 exemplaires dans un milieu de lecteurs, reste le dernier grand prescripteur, estime Frédéric Boyer chez Bayard. D'autant qu'il est lu par les libraires. Sinon, Le Monde, de temps à autre, ose parler de livres de théologie ou d'exégèse. J'aimerais tellement que La Croix fasse un supplément de quatre pages dédié au livre religieux."

Les attachés de presse sont moins pessimistes : il existe tout de même des journaux au rendez-vous. Ainsi, au Figaro littéraire, Astrid de Larminat a eu un coup de coeur pour l'Almanach pour une jeune fille triste, un inédit de Marie Noël (DDB). Psychologies avec Violaine Gelly, Le Parisien avec Anne-Cécile Juillet, Le Nouvel Observateur avec François Armanet, mais aussi Le Figaro Magazine ou encore Philosophie Magazine prêtent une oreille attentive à la production religieuse. Sur les ondes, en revanche, on ne se bouscule pas trop au portillon. Heureusement, quelques radios ont encore parfois un bel impact sur les ventes comme RFI, Beur FM ou RCJ. Ainsi que RCF, Radio Notre Dame et KTO, qui offrent un temps incomparable par rapport aux radios généralistes, avec des émissions de 50 minutes.

Attachée de presse depuis 2005 chez Salvator, la "petite" maison qui monte, Thomine Josseaume va clairement chercher le grand public et se tourne pour cela vers la Toile. "Cela correspond à l'élargissement du spectre de notre production à la fantasy chrétienne, avec la série Hunter Brown et le secret de l'ombre d'Allan et Christopher Miller. Nous diffusons également les mangas de La Ligue pour la lecture de la Bible", souligne-t-elle. Pour les réseaux sociaux et Internet, la maison a fait appel un stagiaire. Il déniche les blogs qui chroniquent les livres. "Cela génère trois contacts par semaine : un livre envoyé, un livre chroniqué. Je travaille les blogs comme des journalistes. Nous avons ainsi un partenariat avec Babelio.com, précise-t-elle. C'est un travail à part entière. On pourrait créer des communautés autour d'un livre. Ce n'est pas seulement une question de temps, c'est aussi une question de génération."

Toutefois, pour qu'un livre dépasse un certain seuil de ventes, une alchimie est nécessaire. Désormais, il faut un fort investissement de la part de l'auteur, une vraie présence dans les médias, et un lien qui peut s'établir progressivement avec le public par le biais de conférences et de séances de signatures, et puis des moments de grâce aussi imprévisibles que prescripteurs. Comme lorsque, sur le plateau de l'émission "La grande librairie", Jean d'Ormesson déclare face à Trinh Xuan Thuan, dont Le cosmos et le lotus s'est vendu à 43 000 exemplaires depuis septembre dernier, que "c'est l'homme [qu'il] admire le plus au monde".

Les dernières
actualités