Avant-critique Roman noir

Canis opus. Dix-septième épine d'un bouquet qui en compte une vingtaine, Le pays des loups ramène le shérif Walt Longmire sur ses terres du Wyoming après un périple mexicain qui lui a laissé quelques graves séquelles. Revenu de guingois, dubitatif et meurtri dans ses chairs, le voici cette fois face à une sombre confrontation entre le loup et l'homme, qui lui-même, comme chacun sait, est un loup pour son congénère, comme le soulignait Thomas Hobbes en 1642 déjà. D'emblée, entre des titres consanguins avec un canis lupus en frontispice et un berger exécuté, résonne le souvenir du très recommandable Le dernier loup de l'Italien Corrado Fortuna, publié au printemps dernier chez Gallmeister également. Là s'arrêtent les comparaisons et les possibles bribes de lycanthropie communes aux deux ouvrages. Pas de parallèles linguistiques, c'est sûr. Chez Craig Johnson, on parle un patois du Midwest chargé de ces phrases cash mais light, garantes d'un humour yankee à son meilleur niveau. Même les querelles de saloon trouvent une certaine fraîcheur, dents cassées mises à part, dans cette écriture claire et limpide, nourrie des grands espaces dont elle s'abreuve.

De ce solide limon de la littérature de l'Ouest, celui de James Crumley ou James Lee Burke, le natif de Huntington, en Virginie-Occidentale, sculpte les contours d'un western moderne, avec des cowboys, et des Basques pour le coup. Marrant ça, des Basques : ces Indiens du sud-ouest montagneux de la vieille Europe et personnages incontournables du Wyoming version Craig Johnson. Monts Bighorn ou Pyrénées : les contreforts tannent le cuir et caparaçonnent les cœurs de leurs résidents, qu'ils soient flics ou éleveurs. À l'identique, des Rocheuses au pic d'Aneto, tout le monde a son avis sur le loup. Pour ou contre. Versant comté d'Absaroka, la principale amie des crocs-blancs s'appelle Keasik Cheechoo, amérindienne donc, et de fait en harmonie avec les esprits de la faune. Sûr que le vieux mâle qui rôde, sans doute chassé de sa meute, a opportunément grignoté les pieds du berger mais il est peu probable qu'il ait préalablement pendu le dénommé Miguel Hernandez, militant politique chilien, avant de canaliser les troupeaux d'ovins américains, avant surtout d'être supplicié pour les éternelles raisons d'en savoir trop, d'en avoir trop vu, de n'avoir su éviter la fatale conjugaison du mauvais endroit et du mauvais moment. Puis le berger chilien, même occis, devient criminel de guerre colombien. Une diversion ? La brume s'épaissit. Belle occasion pour Keasik de brouiller les cartes et d'innocenter le loup, matricule 777M pour le casier judiciaire et le collier GPS. Du coup, le shérif Longmire et son chien aussi stupide que celui de John Fante (on notera d'ailleurs quelques similitudes filigranées entre le roman de Fante et celui de Craig Johnson, tissés autour du bilan au crépuscule de la vie), devront remonter d'autres pistes, jusqu'aux secrets de famille étouffés, jusqu'aux maltraitances muettes.

Craig Johnson, qui se définit volontiers comme un pauvre corbeau picorant allegro chez Steinbeck, Faulkner ou Hugo, plane ici avec la grâce d'un aigle au-dessus du pic Gannett, l'œil et la plume aiguisés, prompts à nous offrir l'imagerie ad hoc de l'Amérique rurale et éternelle.

Craig Johnson
Le pays des loups
Gallmeister
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 24,50 € ; 416 p.
ISBN: 9782351782187

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