2 octobre > Premier roman France

C’est le premier roman d’Alain Guiraudie. Le premier publié en tout cas, puisque le cinéaste a déjà évoqué en interview des manuscrits qu’il aurait transformés en scénarios. Pour autant, Ici commence la nuit n’est pas un roman tiré d’un film, même si certains protagonistes ressemblent à ceux de L’inconnu du lac, sorti en salle en 2013, et qu’une scène du livre est la version écrite d’un plan-séquence central de ce thriller passionnel. Le livre constituerait plutôt le hors-champ de cette histoire d’amour à unité de lieu - un lac et ses rives, coin de drague entre hommes -, élargissant le cadre des ébats, offrant aux personnages une vie, des relations qui étaient traitées en ellipses dans le film.

Voilà donc un narrateur, la quarantaine, en congé, l’été, dans un bourg du Sud-Ouest. Une province où l’on parle occitan (des dialogues entiers sont traduits en notes à la fin du roman), où l’on dit de celui qui est perdu dans ses pensées qu’il "sousque". Dénoncé par la fille de Pépé, 98 ans, qui le soupçonne de se masturber dans les slips kangourous du vieillard (Guiraudie, qui appelle une bite une bite, écrit, lui, "se branler"), il est confronté au "chef", un gendarme à la matraque leste (euphémisme) et à la virilité inquiétante, mais, c’est fatal, ô combien attirante.

On pourrait dire que ce roman raconte gaillardement, avec cette absence de provocation, de volonté de choquer, que l’on trouve dans le cinéma du réalisateur du Roi de l’évasion, des histoires de cul un peu gérontophiles, un peu fétichistes, un peu sado-maso. On pourrait parler d’un porno gay rural, pimenté d’une touche de surréalisme, si on ne retrouvait, toujours dangereusement lié au sexe, et en particulier mais accessoirement, au sexe homosexuel, ce cocktail tragique de désir et de peur, d’amour et de mort. Car chez Guiraudie, la sexualité est aussi génitale, terrienne qu’existentielle. On peut ainsi aimer sans désirer. Désirer sans aimer. Dormir sans se toucher. Coucher sans s’étendre… L’âge, la différence d’âge, le nombre de partenaires, paraissent d’une importance relative. Ce qui n’empêche pas le narrateur d’interroger sans cesse l’ambiguïté de ses pulsions et de ses sentiments. "Je me demande" est l’un de ses débuts de phrases favorits. Les négations tronquées - "je sais pas " -, la forme naturelle de ses pensées.

Pour des raisons qu’on peine à expliquer, l’érotisme écrit apparaît plus cru que l’érotisme filmé. Les mots plus violents que les images. Du coup, le romantisme guiraudien s’exprime de façon plus hardcore. Plutôt bunuélien au début, le roman glisse vers Bataille, se fait ténébreux. Ici commence la nuit : on était pourtant prévenu.

Véronique Rossignol

17.09 2014

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