Société

Dans l'édition, la délicate intégration du télétravail

Poste de travail chez Magnard-Vuibert - Photo Olivier Dion

Dans l'édition, la délicate intégration du télétravail

Déjà dans l’air du temps avant la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé au monde de l’édition depuis mars 2020. L’heure est aujourd’hui à la formalisation des nouvelles organisations en place. Les négociations collectives vont bon train.

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Par Charles Knappek
Créé le 18.05.2021 à 16h36

La généralisation forcée du télétravail ne sera pas sans conséquence sur l’organisation des éditeurs français. Les principaux groupes s’efforcent aujourd’hui de donner un cadre à l’hybridation des modes de collaboration – couplant présence dans l’entreprise et travail chez soi –, appelée à devenir la nouvelle norme. Ils engagent à ce titre des négociations collectives avec les partenaires sociaux, forts de retours d’expérience globalement positifs : « Nous avons été agréablement surpris par notre capacité à travailler de manière quasi normale dans ce contexte de télétravail généralisé », indique Renaud Lefebvre, directeur général délégué Édition France de Lefebvre Sarrut. Il est vrai que le groupe ne partait pas de zéro puisqu’il avait déjà expérimenté le télétravail en 2019 dans le contexte des grands mouvements de grèves. Il affichait un taux d’environ 25 % de télétravailleurs quand est survenu le Covid-19.

Animations en ligne et cafés virtuels 

De la même manière, Hachette Livre avait engagé des discussions sur le télétravail juste avant le début de la crise sanitaire. Environ 700 salariés du groupe s’étaient portés volontaires pour l'expérimenter sur une fréquence moyenne de deux jours par mois. Le Covid-19 a changé la donne, contraignant à suspendre les négociations avec les partenaires sociaux. Celles-ci devraient reprendre au plus tard début juin en vue d’obtenir des accords dans chaque entité du groupe d’ici l’automne. « Nous avons fait le choix de ne pas nous précipiter car la période que nous traversons est riche d’enseignements sur lesquels nous comptons nous appuyer pour entamer les discussions sur de nouvelles bases », souligne Gaëtan Ruffault, directeur des ressources humaines. Hachette Livre a mené une enquête interne pour recueillir les retours d’expérience de ses collaborateurs et leur demander comment ils envisagent l’organisation future. Le groupe a aussi conduit diverses expérimentations en créant une « Digital Academy » pour aider ses collaborateurs à s’approprier les outils digitaux (webinaires, modules…) et a mis en place des animations en ligne pour les enfants. Il organise également des cafés virtuels pour entretenir la cohésion des équipes.

S’ils ne sont pas fermés au télétravail, les groupes d’édition continuent globalement de lui préférer la collaboration en entreprise. Parce qu’il fait disparaître l’essentiel de l’imprévu, des discussions ou des réunions improvisées inhérentes à la vie de bureau, le télétravail impose ainsi « une grande vigilance » estime Fatima Mezrag, directrice des relations humaines chez Média Participations. « Sauf à détériorer le niveau de créativité collective essentielle à nos métiers, les accords ou chartes de télétravail ne sauraient prévoir plus de deux jours de télétravail par semaine », souligne-t-elle. Au sein du groupe, la mise en place du télétravail s’effectue société par société. « Chacune d’elles ayant une réalité différente, il eut été inapproprié et inefficace de négocier un accord groupe », ajoute Fatima Mezrag.

Le groupe Albin Michel s’apprête lui aussi à repenser son organisation : à ce jour et jusqu’au 9 juin prochain, date à laquelle il est annoncé davantage de souplesse, ses salariés télé-travaillent en moyenne quatre jours par semaine, avec la possibilité de venir travailler un jour sur site. D’ici l’automne 2021, les ressources humaines envisagent la mise en place d’un accord de télétravail pérenne en concertation avec les représentants du personnel. « Le télétravail qui s’est imposé depuis plus d’un an représente un changement important qui nécessite une nouvelle organisation de l’activité et le développement de nouvelles pratiques managériales, explique Stéphanie Laakmann, directrice des ressources humaines. Cela se traduit notamment dans l’animation, le soutien et l’encadrement des équipes à distance afin de préserver l’ADN du Groupe, son attractivité, sa performance et bien évidemment l’engagement de nos collaborateurs. » Pour les accompagner dans l’acquisition de ces nouvelles compétences, les équipes de management d’Albin Michel suivent jusqu'à mi-juin 2021 une formation dispensée par un cabinet de conseil externe. Chez Média Participations, l’accompagnement au quotidien des équipes devrait se traduire par des points journaliers pour garantir un suivi de l’activité et s’assurer que le télétravailleur ne se sent pas isolé.

De manière plus poussée, Lefebvre Sarrut accompagne le télétravail par un dispositif de formation en deux volets pour les managers et les collaborateurs. Les accords existants au sein de ses différentes entités n’étant plus adaptés au nouveau contexte, le groupe a ouvert de nouvelles négociations collectives. « Notre approche est d’évoluer vers un système de télétravail plus développé qu’auparavant, autour d’un à trois jours par semaine en fonction des souhaits et des contraintes des différentes équipes. C’est notre objectif pour la fin des vacances d’été », détaille Renaud Lefebvre. Les négociations sont terminées chez Dalloz ainsi qu’au sein du pôle formation et de Lefebvre Sarrut Services (qui héberge les services IT et diverses fonctions support) ; elles sont encore en cours au sein des éditions Francis Lefebvre et des Éditions législatives. Elles se poursuivent aussi au sein du groupe Editis chez qui les syndicats demandent des mesures d'accompagnement matérielles et financières pour faire face au surcoût financier que représente le télétravail. 

Site unique et flex-office pour Lefebvre Sarrut

Le groupe, qui emploie environ 1 200 personnes en France, réfléchit également au regroupement de ses équipes dans un site unique qui sera situé à Paris ou en proche banlieue. Aujourd’hui, la majorité des collaborateurs travaillent dans l’un des trois sites que sont : le siège de Levallois-Perret qui héberge également les éditions Francis Lefebvre, le site de Montrouge (Éditions législatives) et le bâtiment de la rue Froidevaux dans le XIVe arrondissement de Paris, où sont installées les équipes de Dalloz. Dans ce futur site unique, c'est le principe du flex-office (les salariés n’ont pas de bureau attitré et s’installent chaque jour où ils le désirent) qui prévaudra. Lefebvre Sarrut expérimente aussi le recours à des espaces de coworking pour offrir à ses collaborateurs en mobilité des solutions alternatives de travail.

Chez Hachette Livre, Gaëtan Ruffault envisage le télétravail dans le cadre d’une recomposition de la répartition des tâches, et par contrecoup de l’aménagement des espaces. « Le travail de concentration aura tendance à se faire au domicile. En conséquence, les locaux vont davantage devenir des lieux d’échange et d’interaction », détaille-t-il.

Du côté de la fourniture en matériel professionnel, les éditeurs ont massivement doté leurs collaborateurs en ordinateurs portables au moment du premier confinement. Ils sont plus prudents s’agissant des autres équipements, privilégiant le travail sur site quand les conditions matérielles l’exigent. « Toutes les sociétés du groupe ont la possibilité d’accueillir les salariés avec tout l’équipement nécessaire et adapté au travail, rappelle Fatima Mezrag, chez Média Participations. Le salarié en demande de télétravail est seul à pouvoir estimer si les conditions nécessaires au télétravail dans son logement, telles qu’un environnement propice (pièce dédiée) et des équipements adaptés, sont réunies. » Certaines sociétés prévoient néanmoins dans leur accord ou leur charte la possibilité de fournir des équipements spécifiques aux télétravailleurs, notamment des double-écrans. De la même manière chez Hachette Livre, les besoins sont satisfaits ponctuellement en fonction des demandes. Lefebvre Sarrut, en revanche, alloue un budget d’équipement individuel au-delà de l’équipement de base à concurrence de 300 euros, au choix du salarié dans un catalogue d’équipements référencés.

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