Livres Hebdo - Avez-vous des idées que vous souhaitez particulièrement défendre à l’Académie française ?

Dany Laferrière - Non, ce n’est pas une élection avec un programme politique. Je n’ai pas d’opinions à défendre, d’idées à faire passer. C’est un parcours personnel qui me fait entrer à l’Académie, mon histoire, celle d’un petit garçon en Haïti qui aimait tant les livres et dont la mère lisait la revue Historia et retrouvait les signatures des académiciens. Celle d’un homme qui quitte son pays pour en trouver un nouveau, le Québec. Mon parcours, c’est la seule chose que j’ai à offrir aux gens de Port-au-Prince, d’Afrique ou du tiers-monde. Quant aux leçons, je laisse ça aux professionnels.

Quelles sont vos obligations à l’Académie ? Vous allez devoir partager votre temps entre le Québec et la France ?

Cela ne fonctionne pas comme cela, car nous avons l’éternité devant nous. Je n’ai pas demandé le programme de fin de vie ! J’arrive dans une nouvelle tribu, pour reprendre l’expression de Claude Lévi-Strauss. Je vais rencontrer mes compagnons et les regarder vivre, m’imprégner du climat et faire en sorte d’être présent si je m’y sens bien. J’ai l’habitude d’organiser ma vie en fonction de ce que je ressens, et non de la subir. Et comme toute tribu, à l’intérieur se cache une ruche, un espace que l’on peut remplir avec de multiples activités autour des prix, des réceptions, des voyages, des échanges passionnants avec des personnes aux parcours glorieux.

Votre entrée à l’Académie participe au renouvellement de l’institution…

Qu’on arrête de me dire que j’apporte du sang neuf. Il faut se dégager des affirmations sur l’âge des académiciens, comme si l’âge dans les pays du Nord était une faute. Dans les pays du Sud, quelqu’un d’âgé a survécu à des drames, à des tremblements de terre, à des coups de feu la nuit. C’est un marathonien qui arrive au stade et qui est applaudi. On n’arrête pas de me dire que je vais dynamiser l’Académie, que je vais la secouer. Mais aucun académicien ne m’a demandé de le secouer. C’est un cliché, comme si on m’avait dit que j’avais le rythme dans la peau ! Avec mes livres Le charme des après-midi sans fin ou L’art presque perdu de ne rien faire, on ne peut pas dire que je n’annonce pas la couleur. Je crois en l’immortalité dans l’immobilité. Si je ne bouge pas, je finis par croiser des gens en mouvement.

Vous êtes actuellement en résidence à Paris. Vous menez un projet en particulier ?

Je n’aime pas me fixer des projets car ils empoisonnent la vie et rendent sourd à la création des autres. Je suis encore pour six mois au couvent des Récollets, un endroit où chercheurs et créateurs sont réunis. Cette résidence m’isole un peu de la société et je ressens plus le rythme lent du monde.

Votre habit vient du Canada, votre épée d’Haïti. Vous êtes attaché à ces symboles ?

Mes trois pays ont participé à leur manière : le Québec où il fait si froid m’a donné la chaleur de l’habit, Haïti l’épée des guerres et de l’affranchissement, et la France les conversations brillantes de l’Académie et le vin de la réception !

Propos recueillis par A.-L. W.

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