Interview

David Diop : « Le conte est une narration universelle »

David Diop - Photo Saša Kovačič

David Diop : « Le conte est une narration universelle »

Il est le premier écrivain français à avoir remporté le Booker Prize en 2021. Trois ans après la consécration de Frère d’âme (Seuil, 2018), David Diop reprend la plume avec Le pays de Rêve, un conte initiatique sur l’exil à paraître le 6 mars chez Rageot. Interview.

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Par Léon Cattan
Créé le 29.02.2024 à 14h30 ,
Mis à jour le 29.02.2024 à 17h14

Livres Hebdo : Le pays de Rêve s’éloigne du roman pour embrasser le conte poétique. Comment ce projet est-il né ?

David Diop : J’ai été sollicité par les Inrocks à l’aube des dernières élections présidentielles. Le média a demandé à plusieurs écrivains de décrire leur pays de rêve. J’ai pris l’exercice à contre-pied en me demandant si le rêve ne pouvait pas revêtir un visage humain. Ça a donné Rêve, l’héroïne de mon récit. J’ai pu mener des ateliers d’écriture destinés à des mineurs isolés grâce à une association. Leurs témoignages m’ont rempli d’effroi, car ils sont d’une violence extraordinaire. Leur réalité dépasse la fiction. Par respect pour eux, et pour me protéger, j’ai choisi d’avoir recours à l’allégorie.

Qu’est-ce qui vous attire dans cette forme de récit ?

Le conte est une narration universelle et accessible à tous. Il n’appartient à aucun pays. J’ai grandi avec les contes, j’ai des souvenirs très précis de mon oncle paternel qui m’en racontait pendant mon enfance… Et en même temps, il n’y a pas d’âge pour en lire. Le conte permet d’approcher le réel, d’aller à son centre, par une voie détournée. Et en même temps, il est onirique. Or, le rêve est au centre de la migration : les gens partent pour survivre, mais aussi dans l’espoir de vivre une vie meilleure, et de découvrir le monde… Ce sont des aspirations universelles. Tout le monde peut s’appeler Rêve, comme mon héroïne. Et le rêve appartient à toute la jeunesse, peu importe d’où elle vient.

 

« Un conte initiatique sur l’injustice du monde »

 

En 2021, vous avez été récompensé du prestigieux Booker Prize. Frère d’âme a depuis été traduit en 35 langues. Qu’est-ce que cette distinction a changé pour vous ?

Le Booker Prize a été une ouverture sur le monde, bien au-delà de la francophonie, et je suis honoré de représenter un aspect de la littérature française à l’étranger. Je vais souvent à la rencontre de mon lectorat, et il est intéressant de constater que les débats autour de mes livres changent selon le pays où je me trouve. Frère d’âme ne parle pas de migration, mais c’est un sujet qui a beaucoup été évoqué en Italie. Un éditeur italien a d’ailleurs déjà acheté les droits de mon nouveau livre. Il s’agit du premier.

Le prix est aussi revenu à Anna Moschovakis, la traductrice américaine de Frère d’âme. Comment s’est passé cette collaboration ?

Anna est également poétesse, et ma collaboration avec elle a été extraordinaire. Comme elle, beaucoup de traducteurs sont écrivains à côté, et certains écrivains ont commencé leur carrière par la traduction. Mais la précarité du métier commence à m’inquiéter. J’ai appris récemment que de plus en plus d’éditeurs faisaient appel à l’intelligence artificielle pour traduire les livres. Or, il y a une sensibilité littéraire et une mobilisation des horizons culturels qu’une machine ne peut pas faire valoir. J’ai donc demandé à mon agente que tous mes contrats stipulent l’interdiction de traduire mes romans avec une IA.  

Vous répétez souvent que la francophonie est une institution politique. Pourquoi ?

L’organisation internationale de la francophonie est politique, mais cette définition est insuffisante, car la francophonie est aussi une manière de réunir toutes les personnes à travers le monde qui parlent le français. La francophonie ne doit pas être que politique, mais également artistique. Si une dimension favorise l’autre, c’est une bonne chose, mais il ne doit jamais y avoir une coupure. Tout est complémentaire.

 

Frère d'âme, la consécration

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