Littérature britannique

Deborah Levy, « État des lieux » (Éditions du sous-sol) : Une maison à soi

Deborah Levy - Photo © Sheila Burnett

Deborah Levy, « État des lieux » (Éditions du sous-sol) : Une maison à soi

Dernier volet de la trilogie autobiographique de Deborah Levy, cette fois-ci consacré à la recherche d'une « chambre à soi », à la façon de Virginia Woolf. Tirage à 15000 exemplaires.

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Par Olivier Mony
Créé le 05.10.2021 à 12h00

Depuis Ce que je ne veux pas savoir et Le coût de la vie (Sous-Sol, 2020), l'écrivaine britannique Deborah Levy est devenue comme une sorte de totem de la littérature féministe en ces temps où celle-ci apparaît comme essentielle à la compréhension d'un monde que ne dominerait plus la psyché masculine. Bien que les lecteurs français aient encore à découvrir le versant romanesque de son œuvre, cette auteure, à travers ses récits autobiographiques, a su imposer, loin des schémas de genre, une vision du monde qui, effectivement, permet de se faire une idée de ce que serait une « chambre à soi » pour paraphraser Virginia Woolf, qui serait par nature féminine.

État des lieux clôt en quelque sorte sa trilogie autobiographique où le romanesque côtoie intimement l'infiniment personnel. Ce livre permet de revenir à l'essentiel : non pas à une littérature de la revendication, mais tel le Barthes de la dernière période, à des pages sur le quant-à-soi romanesque. Sinon une chambre, du moins une maison à soi. Ce qui revient au même, un endroit sur terre où l'écrivain peut faire valoir son droit de retrait. Un endroit qui s'avérera le plus propice (un jardin, des citronniers, la mer non loin...) à la construction de son œuvre. De Londres à Paris, de Mumbai à Berlin, en passant par New York, c'est cela que cherche, sans le savoir toujours, Deborah Levy dans cet admirable et fugacement hilarant État des lieux. Un endroit pour écrire certes, mais aussi pour vivre alors qu'elle est une femme de bientôt soixante ans, divorcée, qui ne saurait se résoudre aux seules joies du quotidien, fussent-elles celles de la cuisine et de la littérature mêlées...

Cette promenade enchantée et essentiellement drôle, Deborah Levy la mène non seulement aux quatre coins du globe, mais aussi de sa bibliothèque. Virginia Woolf bien sûr, mais aussi Duras, Elena Ferrante, García Márquez ou Walter Benjamin mènent la danse à ses côtés. Ce qui est ici loué avec ces maîtres et maîtresses en littérature, ce sont également les joies - tout aussi paradoxales et compliquées l'une que l'autre -, de la maternité et de l'amitié. Et bien sûr, celles de la féminité ou plutôt, à travers les générations, celles d'être une femme. Levy s'y attache sans verser dans la victimisation, mais sans non plus dénier à la féminité la part de singularité complexe qu'elle suppose. Il n'y a ni colère, ni regrets, ni peur, juste l'affirmation d'une vie à soi dans laquelle cette identité joue nécessairement un rôle. Comme cette volonté de trouver une maison, quelle qu'elle soit, qui puisse être la récipiendaire des espoirs, des enthousiasmes, des remords aussi, d'une écrivaine qui ne se résout pas à se conformer à un rôle social, culturel, sexuel et générationnel que d'aucuns voudraient lui attribuer. Et parce que Deborah Levy est d'abord profondément une auteure, il restera de cet État des lieux moins une revendication qu'une promenade en toute liberté dans laquelle le genre premier et neutre à la fois est d'abord celui de la littérature.

Deborah Levy
État des lieux Traduit de l’anglais par Céline Leroy
Éditions du sous-sol
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 18 € ; 240 p.
ISBN: 9782364685796

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