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Décès de l’écrivain et éditeur Philippe Sollers

Philippe Sollers - Photo Francesca Mantovani/Gallimard

Décès de l’écrivain et éditeur Philippe Sollers

L’écrivain et éditeur Philippe Sollers nous a quittés vendredi 5 mai, ont annoncé samedi les éditions Gallimard.

Par Éric Dupuy,
avec AFP Créé le 06.05.2023 à 13h37 ,
Mis à jour le 09.05.2023 à 18h34

Figure de la scène littéraire française et du Tout-Paris depuis plus d'un demi-siècle, l'écrivain Philippe Sollers est décédé vendredi à l'âge de 86 ans, a-t-on appris samedi auprès des éditions Gallimard.


Auteur de plus de 80 romans, essais et monographies, directeur de revues, membre du comité de lecture et directeur de collection aux éditions Gallimard (« L'Infini »), Philippe Sollers avait longtemps été un habitué des plateaux de télévision, son roman Femmes (Gallimard, 1983) lui ayant apporté une reconnaissance bien au-delà du monde de l'édition.


« Les éditions Gallimard ont la grande tristesse de faire part du décès de Philippe Sollers, né Philippe Joyaux, survenu le 5 mai 2023 », a annoncé l'éditeur dans un communiqué, confirmant une information du Figaro. « Je suis venu, j'ai vécu, j'ai rêvé », ajoute l'éditeur, citant l'un des derniers ouvrages du défunt, Agent secret, paru en 2021. La maison doit publier en juin des correspondances de l'auteur avec Francis Ponge dans lesquelles ils dressent un panorama du monde éditorial et revuiste français des années 1957-1974.

« Le plus vénitien des écrivains français »

L'œil malicieux, porte-cigarette au bec, l'écrivain marchait ces dernières années en s'aidant d'une canne mais sa plume restait alerte. « Je cours peut-être moins vite mais je pense plus vite », fanfaronnait-il dans un livre d'entretiens avec son amie Josyane Savigneau paru en janvier 2019.

À 22 ans, il publie son premier roman Une curieuse solitude (Le Seuil, 1958), salué par Aragon. « Le destin d'écrire est devant lui, comme une admirable prairie », écrit le poète dans Les Lettres françaises. Trois ans plus tard, en 1961, son deuxième roman, Le Parc (Le Seuil) reçoit le prix Médicis.

Jeune écrivain prometteur, Philippe Sollers fonde, avec notamment Jean-Edern Hallier, la revue littéraire Tel Quel au printemps 1960. En épigraphe, celle-ci reprend une formule de Nietzsche : « Je veux le monde et le veux tel quel, et le veux encore, le veux éternellement. » La revue entend mettre en avant toutes les formes d'avant-garde. On y défend le Nouveau Roman et des auteurs comme Francis Ponge ou le futur prix Nobel Claude Simon. Elle prête ses colonnes à des écrivains comme Michel Butor, Nathalie Sarraute ou encore Alain Robbe-Grillet, avant de s'ouvrir à la sémiologie et de défendre Roland Barthes. Tel Quel publiera également Michel Foucault et Jacques Derrida.


« Il était le plus vénitien des écrivains français, tout en dédales, masques et labyrinthes », a pour sa part réagi sur Twitter Michel Field, le directeur culture et spectacle vivant de France Télévisions, saluant l'auteur d'un Dictionnaire amoureux de Venise (Plon, 2004). « Jamais scolaire, plutôt solaire. Il a marqué de son empreinte et de son ironie plusieurs décennies de vie intellectuelle et littéraire. En plus, il était drôle et amical », a-t-il ajouté.


Né le 28 novembre 1936 à Talence (Gironde) dans une famille d'industriels, gaullistes de gauche et catholiques, Philippe Sollers était passé par l'ESSEC et la Sorbonne avant d'abandonner ses études pour se consacrer à la littérature, troquant son patronyme de Joyaux pour celui de Sollers, du latin « sollus » et « ars » (« tout entier art »).


Au début des années 1970, la revue prend fait et cause pour le maoïsme chinois. En 1974, une délégation composée notamment de Philippe Sollers et Roland Barthes se rend en Chine à l'invitation du pouvoir. Cet aveuglement vis-à-vis du régime autoritaire chinois vaudra à l'écrivain les sarcasmes du sinologue Simon Leys
Philippe Sollers niera avoir jamais été « maoïste » mais, dans le livre d'entretiens avec Josyane Savigneau, il affirmait : « Je persiste à dire [...] que cette révolution épouvantable fait que la Chine est désormais la première puissance mondiale. » Signe de sa fascination pour la Chine, tous ses livres contiennent des références à ce pays.

Double vie

Après la mort de Mao, en 1976, la revue change de cap et prend fait et cause pour les États-Unis. L'auteur publie une tribune dans Le Monde pour fustiger non seulement le maoïsme mais aussi le marxisme. En 1982, il fonde une nouvelle revue, L'Infini, dont le dernier numéro est paru l'an dernier. Il quitte également les éditions du Seuil pour Gallimard, où il devient membre du comité de lecture et directeur de collection. À ce titre, il refusa le roman d'Amélie Nothomb Hygiène de l'assassin, finalement publié chez Albin Michel. Mais il publia Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl, prix Goncourt 2000.


C'est avec son roman Femmes (1983) que Philippe Sollers atteint la notoriété médiatique. Des critiques dénoncent la « pornographie » qu'ils décèlent dans ce texte. « C'est mon meilleur livre. Mon paradis indépassable », rétorque ce fin connaisseur de Casanova (à qui il a consacré une biographie : Casanova l'admirable, Plon 1998, rééditée en Folio-Gallimard).
Marié depuis 1967 à la psychanalyste Julia Kristeva, avec qui il a eu un fils David, il voua un « amour fou » à l'écrivaine belge Dominique Rolin, de 23 ans son aînée. 
Leur correspondance sur un demi-siècle a été publiée en 2017 et 2018. Lui avait dévoilé sa double vie amoureuse en 2013 dans Portraits de femmes (Gallimard).


À la question : « Si vous deviez mourir demain, que resterait-il de vous ? », il répliquait : « Une caisse de livres », ajoutant : « On se demandera comment on a pu se laisser prendre à l'image d'un Sollers aussi médiatique et désinvolte alors que c'est un travailleur acharné ».

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