Roman/Argentine 10 avril Lucía Puenzo

D'habitude, Lucía Puenzo écrit d'abord des fictions puis en fait des films. Ainsi L'enfant poisson (Stock, 2010), devenu El niño pez, ou bien Walkoda (Stock, 2013), qui imaginait en Patagonie la rencontre d'une fillette avec le docteur Josef Mengele, sélectionné en 2013, sous le titre Le médecin de famille, au Festival de Cannes où l'écrivaine-cinéaste argentine avait été primée six ans auparavant pour XXY, son premier long-métrage. Pour Invisibles, le processus a été inverse. A l'origine de ce cinquième roman traduit dans « La cosmopolite », il y a un court-métrage sur l'histoire de deux enfants des rues, vivant dans L'Once, un quartier de Buenos Aires, tourné en 2004. Le roman, lui, met en scène un trio de jeunes voleurs vivant sur ce même territoire : Ismaël, 15 ans, la Enana, 14 ans, et Ajo, son petit frère de seulement 6 ans, qui ont pour seul toit un vieux wagon abandonné, cambriolent des maisons pour le compte d'un ancien policier devenu agent de sécurité. Professionnels aguerris sachant entrer et sortir des propriétés sans se faire voir, grâce notamment à la taille et à l'agilité du plus jeune, les petits voyous sont « entraînés à obéir ». Ils ont pour consigne de prélever « des doses invisibles » de façon à ce que le vol passe le plus longtemps possible inaperçu ou que les domestiques des propriétaires en soient accusés. Le commanditaire, qui les sait fiables, efficaces et dociles - « des enfants de valeur », ses « meilleurs soldats » -, leur fait une proposition impossible à refuser : être clandestinement déposés de l'autre côté du Río de la Plata, sur la côte uruguayenne, dans une propriété immense, pour cambrioler neuf villas construites au milieu d'une nature encore sauvage, où des familles de la bourgeoisie privilégiée passent l'été. 

La faune de ce domaine, un lieu de vacances au luxe caché et protégé, en bord de plage, n'est pas moins dangereuse que celle de leur quartier urbain. D'autant que les enfants doivent opérer seuls, privés de leurs repères habituels, tout en étant conscients d'être toujours surveillés. Ils ont six jours. Une machette et quelques vivres, un mensonge à raconter s'ils se font repérer, des bottes pour se protéger des morsures de serpents et une ampoule de sérum anti-venin, des somnifères en spray pour endormir gardiens et occupants, et mélangés à de la viande hachée pour neutraliser les chiens, un téléphone portable pour organiser avec les donneurs d'ordre les rendez-vous de récupération du butin.

Lucía Puenzo, dont l'enfance et les marges sont les thèmes de prédilection, ne lâche pas d'une semelle ses jeunes héros livrés à eux-mêmes, fantassins sacrifiés d'une mission-suicide, exécuteurs de basses œuvres dans un monde violemment clivé. On a peur pour eux. Et on s'émeut aussi de leur solidarité, leur seul bien, de leurs réflexes de survivants, piégés dans un paradis-prison, clos et hostile comme l'île de Sa majesté des mouches. On imagine facilement le film noir que pourrait devenir ce thriller social tendu qui s'aventure parfois aux lisières du conte fantastique.

Lucía Puenzo
Invisibles - Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet
Stock
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19,50 ; 224 p.
ISBN: 9782234086142
28.03 2019

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