Adaptations

Des livres cinégéniques

Tiré du roman éponyme de Glendon Swarthout, Homesman sera en compétition à Cannes. - Photo Dawn Jones/Europa Corp

Des livres cinégéniques

En plein Festival de Cannes, onze responsables de droits audiovisuels en quête de producteurs étrangers vont tenter sur la Croisette l’opération séduction "Shoot the book !" pour porter hors de nos frontières des idées de scénarios.

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Par Marie-Christine Imbault,
Vincy Thomas,
Créé le 01.05.2014 à 20h02 ,
Mis à jour le 02.05.2014 à 10h20

Onze auteurs vont fouler le tapis rouge du palais des Festivals de Cannes le 20 mai prochain. Plus précisément leurs œuvres, portées par autant de responsables de droits audiovisuels, en voie de reconnaissance dans les maisons d’édition. Une initiative de la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf) intitulée "Shoot the book !" afin d’aider nos chers écrivains dans une conquête des salles de cinéma du monde entier, en soumettant non pas des films, mais des idées de films.

Avec l’appui du Motif, du conseil régional d’Ile-de-France, de la Commission du film d’Ile-de-France et du CNL, avec l’aide du Bureau international de l’édition française qui édite le catalogue, onze livres sélectionnés par la Scelf seront présentés sous forme de pitch aux producteurs étrangers présents à Cannes, avant un cocktail informel afin de conforter les liens. Une sorte de festival off de Cannes dont le CNC ne serait pas partenaire.

Le cinéma aurait-il donc oublié le livre, pour que ce dernier aille sur ses terres ? "Notre objectif est de promouvoir un catalogue littéraire et d’essayer de le faire connaître de plus en plus", explique Nathalie Piaskowski, directrice générale de la Scelf, encouragée par le succès croissant de ses Rencontres de l’audiovisuel au Salon du livre de Paris dont elle souhaite pousser les frontières. "Les rencontres du Salon visent les producteurs français, qui étaient plus de 200 lors de la dernière édition. Cannes sera l’occasion de rencontrer des producteurs étrangers."

 

Un film sur cinq est tiré d’un livre

Pour ne pas arriver les mains vides, elle a produit avec l’aide de son équipe tableaux et camemberts montrant la répartition des adaptations parmi les quelque 600 films en salle chaque année depuis 2006, en fonction de leur nature, de leur nationalité et du box-office. Un film sur cinq est adapté d’un livre, dont 89 % sous droits, dans une parfaite stabilité des statistiques. En revanche, le nombre d’adaptations françaises est en hausse sur les trois dernières années pour atteindre 30 % de ces films, après un "creux" à 17 % en 2010, et une moyenne de 25 % les années précédentes. Autrement dit, en 2013, sur les 125 livres portés à l’écran, 37 étaient français, dont 19 romans et 10 albums de bandes dessinées, contre respectivement 23 et 5 titres en 2012. Et sur ces 125 adaptations, 35 issues d’œuvres françaises (dont 7 BD) et étrangères, ont fait plus de 500 000 entrées en salle, sur les 92 films qui ont atteint ce même score. Toutes nationalités confondues, sur les 15 films en tête du box-office avec plus de 2 millions d’entrées ces trois dernières années, 8 étaient des adaptations, dont Intouchables et Tintin en 2011, qui cumulaient près de 25 millions d’entrées. En 2010, l’année du "creux" pour les œuvres françaises, elles étaient même 9 à avoir dépassé les 2 millions d’entrées, dominées par Harry Potter et les reliques de la mort (6 millions).

 

 

Depuis le cinéma muet

Si l’on remonte dans le temps, on constate que la littérature contribue depuis longtemps à nourrir l’industrie cinématographique. De 1993 à 1996, quand seulement à peine plus de 300 films sortaient chaque année (contre 600 aujourd’hui), Livres Hebdo avait recensé dans une enquête similaire 5 adaptations parmi les films de plus de 2 millions d’entrées sur 65 adaptations au total pour chacune des quatre années. "Les premières adaptations datent du cinéma muet !" s’amuse Marie Dormann, responsable des droits depuis quinze ans chez Albin Michel (voir p. 14), en citant L’Atlantide de Pierre Benoit, porté sept fois à l’écran depuis 1921. "Les réalisateurs ont toujours aimé les livres", poursuit-elle en faisant référence à François Truffaut dont "un plan sur trois leur rend hommage, et pourtant, c’est la nouvelle vague". Une période complexe pour l’écriture cinématographique, qui a laissé quelques cadavres : "Depuis la nouvelle vague, les scénaristes n’ont plus une place de choix", confirme Gabriel Venet, adjoint du directeur international du développement audiovisuel pour Média-Participations, qui se réjouit d’apporter par son catalogue une garantie aux investisseurs : "Une adaptation est un gage d’amortissement. C’est moins difficile d’obtenir un financement sur un livre que sur un scénario original." Créée pour prendre en main la gestion des droits dérivés des œuvres littéraires puis les collecter auprès des différents supports de diffusion (environ 6 M€ sont répartis entre 300 éditeurs sur les droits TV), la Scelf, à travers un catalogue de 300 œuvres publié en mars dernier, remet les éditeurs au centre des débats : "Les producteurs recherchent une base, un texte construit, une œuvre qui préexiste", constate Nathalie Piaskowski. "La Scelf montre que les éditeurs ne laissent pas cela au hasard et prennent un soin de plus en plus technique et précis aux cessions de droits et qu’ils sont les meilleurs défenseurs de leur fonds", confirme Marie Dormann avant d’ajouter : "Son rôle est important. On n’est pas concurrents entre éditeurs, on a tout intérêt à faire entendre une seule voix, c’est une cause commune. Nous avons notre part dans le premier rapport Bonnell qui a mené au protocole d’accord relatif à la transparence de la filière cinématographique." Véronique Cayla, directrice générale du CNC, avait alors confié au producteur une mission sur "la gestion et l’exploitation commerciale des films visant à clarifier les rapports économiques et juridiques qui se nouent entre producteurs et auteurs à l’occasion de la production d’un film, afin d’assurer une relation contractuelle sincère et équitable". Depuis, la définition des recettes et des coûts d’un film est unifiée, sur une base commune publique et consultable par tous. Une option sur un film, d’une durée moyenne d’un an, peut être renouvelée deux à trois fois, ce qui permet au producteur de construire son financement. A la levée de l’option, dont le prix varie de 2 000 à 10 000 euros, le producteur verse le solde de la cession, comprise entre 1 et 2 % du minimum garanti sur les recettes du film. Avec, dans 80 % des cas, des budgets pour le cinéma qui se sont réduits pour rejoindre ceux de la télévision, dans une tendance plus raisonnable depuis la polémique sur les cachets de certains comédiens.

 

"Il faut avoir vécu la vie complète d’un ou deux films pour être à l’aise face à un producteur, avoir pris le temps de lire un projet et de connaître un plan de financement", se souvient Marie Dormann. "Quand on n’a pas l’habitude, on dit oui à toutes ses propositions, dos au mur, avec l’impression qu’il nous apporte le Graal." En se rendant à Cannes, les éditeurs sont à l’offensive. "Comme les Rencontres de l’audiovisuel du Salon du livre, c’est une façon de reprendre en main ce que d’autres ont essayé de faire à notre place", se réjouit la directrice des droits d’Albin Michel. Dans quelques jours, le livre français se sentira comme chez lui sur la Croisette. Première étape avant de laisser ses empreintes sur Hollywood Boulevard.

M.-C. I.

Bénédicte Lombardo : de l’autre côté du miroir

Bénédicte Lombardo- Photo OLIVIER DION

Cela faisait bientôt vingt ans que Bénédicte Lombardo travaillait dans l’édition. Elle est passée chez Joëlle Losfeld avant de s’installer chez Univers Poche comme directrice de collection. Mais il y a quelques semaines, elle a fait le grand saut. Bénédicte Lombardo est devenue chargée de mission audiovisuelle en free-lance. Un choix assez logique pour la cinéphile qu’elle est. Pour l’instant, elle collabore avec Alauda Films (New Media Group), en tant qu’apporteuse de projets et lectrice. Cette jeune société est spécialisée dans la production de programmes pour le petit écran. Pour Alauda Films, elle écrit des fiches de lecture sur des textes qui intéressent le producteur. "J’ai fait ce choix parce que j’avais envie d’apprendre autre chose tout en utilisant mes compétences en tant qu’éditrice", confie Bénédicte Lombardo. Pour affronter ce nouvel avenir, elle s’apprête à suivre une formation en droit audiovisuel à l’Afdas, organisme spécialisé qui s’adresse aux professionnels du spectacle, de l’audiovisuel, de la publicité et des médias.

Cette prise de risque est partie du constat qu’il y avait des ponts à construire entre le secteur littéraire et le secteur audiovisuel, même si depuis quelques années, les producteurs de cinéma ou de télévision lisent davantage et sont plus à l’affût du marché, notamment grâce aux rendez-vous professionnels comme le marché des droits de la Scelf au Salon du livre de Paris. Elle ne s’interdit pas de travailler pour d’autres producteurs.

Bénédicte Lombardo est persuadée qu’il s’agit "d’une autre approche". Elle-même aborde ce nouveau métier sous un autre éclairage : "Ça m’ouvre à d’autres genres, à d’autres littératures." Bien sûr, elle aime toujours autant les thrillers et les polars. Mais désormais, c’est en cernant le potentiel cinématographique de chaque chapitre qu’elle lit.

V. T.

Marie Dormann : une expérience jubilatoire

Marie Dormann- Photo OLIVIER DION

Entrée comme jeune attachée de presse chez Albin Michel, Marie Dormann a vite remplacé Agnès Fruman, devenue secrétaire générale, à la gestion des droits annexes et dérivés - hors droits étrangers - pour la fiction, les documents, la jeunesse et le catalogue Magnard-Vuibert. Soit 500 titres par an. Comme dans la plupart des maisons d’édition, l’audiovisuel ne représente qu’une partie "très chronophage mais pas la plus rémunératrice" de son activité. Elle signe en moyenne 6 à 10 options audiovisuelles par an, dont 30 à 40 % se concrétisent. "Il faut savoir faire lire, choisir les bonnes histoires, en parler. Mais ensuite, il convient d’être attentif à la configuration du projet, à la taille de la société de production, au budget, si un casting et un réalisateur sont attachés ou non au projet." Un exercice auquel elle se prête avec vigilance : "Il faut multiplier les occasions de rencontres avec les producteurs en montrant la richesse, les fonds des éditeurs de manière éventuellement collégiale, ce qui ne retire rien à l’originalité de chaque projet", avec une bonne dose de diplomatie et de psychologie. "Les producteurs doivent avoir l’impression de découvrir des livres", dit-elle, citant deux prochaines adaptations, Le passager de Jean-Christophe Grangé, en six épisodes pour France 2 fin 2014, et Tokyo Fiancée, d’après Ni d’Eve ni d’Adam d’Amélie Nothomb, au cinéma en septembre.

Bien expérimentée dans un métier qui offre très peu de postes à plein-temps chez les éditeurs, elle prête volontiers main-forte à la Scelf, dont Albin Michel est membre du conseil d’administration avec 16 autres éditeurs : "Les vétérans aident parfois les novices à ne pas se faire exploiter, l’audiovisuel est un monde plein de chausse-trapes. Il faut montrer que la cession des droits audiovisuels est une préoccupation permanente, pugnace, tenace et, pour le coup, amusante." Avant d’ajouter : "Mais ce n’est qu’une toute petite partie de la vie d’un livre".

M.-C. I.

Anna Vateva : deux débutants pour une option

Anna Vateva- Photo DR

Entrée en 2006 pour un stage aux éditions de La Table ronde à l’issue d’études de lettres, Anna Vateva, 40 ans, n’a plus quitté la maison. Passée par tous les services, elle a profité d’un congé de maternité d’Anne-Cécile Malabre pour mettre un pied dans celui des droits, où elle est finalement restée. Si elle admet que l’audiovisuel n’occupe qu’un temps "accessoire" parmi les droits qu’elle gère, celui-ci est très différent des autres : "Plus intéressant et plus délicat, il faut soigner plus de détails pour une marge plus réduite des négociations. Si un contrat avec un éditeur étranger fait trois pages, celui d’une cession de droits audiovisuels en fera trente." Novice dans le métier, elle a su trouver auprès de la Scelf l’aide nécessaire : "La Scelf organise des petites classes animées par les chargés de droits plus expérimentés et propose un contrat type qu’il faut adapter." Son premier essai fut presque un coup de maître, avec la signature d’une première option pour l’adaptation cinématographique des Contes de la rue Broca de Pierre Gripari : "C’était aussi le premier contrat du producteur, nous faisions nos débuts ensemble", explique-t-elle. Après trois essais renouvelés, l’option vient d’être levée par SKM Productions et Same Player. Jean Becker (KJB Production) a pris une option sur l’adaptation de On s’embrasse pas ? de Michel Monnereau et, à Cannes, elle présentera La commissaire n’aime point les vers de Georges Flipo, "une comédie décalée plus que policière, drôle, loufoque, avec de jolis portraits de personnages". Elle aura cinq minutes pour le faire.

M.-C. I.

Pierre Astier : l’agent international

Pierre Astier- Photo OLIVIER DION

Il y a huit ans, Pierre Astier et Laure Pécher fondent l’agence littéraire Pierre Astier & associés. Pierre Astier avait déjà créé et dirigé les éditions Le Serpent à plumes de 1993 à 2004. Laure Pécher a d’ailleurs été chargée des droits au sein de la maison durant cinq ans. Ce seront les seuls agents présents à "Shoot the book !". Ils viennent à Cannes pour présenter Back up de Paul Colize (La Manufacture de livres, 2012), trois mois après l’avoir "pitché" à Books at Berlinale au Festival de Berlin. "Il faut trouver un producteur qui a l’idée du bon fil conducteur pour la narration", expliquent-ils. Pour ses auteurs, Pierre Astier se mue en globe-trotteur : Turin en mai, mais aussi Sharjah, Göteborg, Varsovie, Istanbul… Il est prêt à initier des projets de publications, sous forme de commandes, avec certains écrivains. L’agence représente aujourd’hui près de 20 éditeurs et pas loin de 50 auteurs. Son chiffre d’affaires croît de 10 à 15 % en moyenne par an. Mais il a conscience des réticences, en France, à l’égard de son métier. "En Allemagne et en Italie, un auteur sur deux est représenté par un agent", rappelle-t-il. L’agent souligne également que toutes les maisons d’édition ne peuvent pas financer un service de cessions de droits audiovisuels. Pour se distinguer, l’agence a misé sur une approche internationale. La France ne représente qu’un tiers du volume de contrats signés. "Le marché français n’est pas assez mondialisé, estime- t-il. Il doit se repenser comme l’a fait le modèle scandinave." Cela a conduit les deux associés à écrire récemment une longue tribune dans le journal Le Monde, pour que le secteur prenne conscience du fort potentiel du marché francophone : "Avec le numérique, l’édition francophone est menacée si on n’investit pas dans l’export."

Tant qu’il y a des lecteurs, Pierre Astier croit à la création littéraire, celle d’aujourd’hui comme celle de demain, de France comme d’ailleurs : "Et là, éditeurs comme agents, nous sommes tous sur le même pont !"

V. T.

Gregory Messina : un Américain à Paris

Gregory Messina- Photo OLIVIER DION

Depuis mars 2012, Gregory Messina s’occupe des cessions de droits au sein de Place des éditeurs. Avec deux salariés, il gère tout le catalogue d’Acropole, Belfond, Hors Collection, Le Pré-aux-Clercs, Omnibus, Presses de la Cité et Solar, hors livres pour la jeunesse.

Sa particularité n’est pas d’être américain mais d’être passé de l’autre côté en travaillant à Hollywood. Il a commencé sa carrière au sein de l’agence littéraire new-yorkaise Curtis Brown au milieu des années 1990, chargé des droits audiovisuels dans le secteur jeunesse/"young adults". En 1999, il repart à zéro et migre à Los Angeles pour exploiter son côté créatif. Il débute comme assistant d’agent littéraire au sein de l’une des agences les plus prestigieuses du monde, CAA, qui gère notamment quelques-unes des stars hollywoodiennes. Un an plus tard, il devient assistant chez Shady Acres Entertainment, la société de Tom Shadyac (Bruce Tout-Puissant), située au cœur des studios Universal.

Dans une tribune du Hollywood Journal, Gregory Messina raconte son parcours : "J’ai trouvé un roman graphique qu’un grand studio a optionné et j’ai eu assez d’influence pour rejeter un roman dont l’adaptation en film, joué par un acteur d’Urgences, a été nominée pour plusieurs oscars…" De quoi rendre humble sur le métier.

Las du climat ensoleillé, rêvant de vivre à Paris, il prend l’avion et s’y installe. En 2005, Robert Laffont l’engage comme assistant du service droits étrangers avant qu’il ne soit promu en 2010 adjoint à la direction des cessions de droits étrangers. Là, il trouve sa vocation, abandonne l’ambition d’être créatif.

Deux ans plus tard, il rejoint l’autre filiale du groupe Editis. Il veut faire de 2014 l’année des droits audiovisuels. Son équipe arpente les foires européennes : Londres, Turin, avec un passage à Cannes où il présentera L’autre rive du Bosphore de Theresa Révay (Belfond), fresque romanesque sur le crépuscule de l’Empire ottoman, qui a tout pour séduire des producteurs internationaux.

V. T.


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