avant-portrait > Caroline Laurent

Lorsqu’elle est arrivée aux Escales début 2016 après avoir passé six ans chez JC Lattès, l’éditrice Caroline Laurent ne pouvait pas imaginer qu’un jour elle signerait comme auteure l’un des livres de "Domaine français", la collection qu’elle a créée. Son nom apparaît pourtant sous celui d’Evelyne Pisier sur la couverture de Et soudain, la liberté, le roman autobiographique que cette dernière, disparue en février dernier, n’a pas eu le temps de voir publié.

A l’origine de ce livre à la forme singulière, il y a un coup de foudre amical, quand Vincent Barbare, le P-DG d’Edi8, confie à l’automne dernier le manuscrit de ce récit à sa jeune directrice de collection. Malgré les quarante-sept ans qui séparent l’agrégée de droit public, figure de la vie du livre dans les années 1990 - elle a été directrice du livre et de la lecture au ministère de la Culture -, de son éditrice de 28 ans, l’entente est immédiate. Caroline Laurent se souvient émue de "l’évidence" de cette première rencontre avec une "femme extraordinaire à la liberté réjouissante et inspirante". Ensemble, elles tombent d’accord : ce récit qu’Evelyne Pisier a commencé sur sa mère, son enfance en Indochine, plus largement sa propre vie, haute en couleur, aura la forme d’un roman. "Fictionner l’amusait follement. Cela lui permettait de prendre de la distance avec son sujet." Elles se mettent au travail, chacune dans son rôle. Si Caroline Laurent s’avoue "danseuse contrariée", c’est dans les études qu’elle a brillé : hypokhâgne et khâgne au lycée Henri-IV, à Paris, master d’édition, agrégation de lettres modernes décrochée alors qu’elle était déjà éditrice, thèse sur l’esthétique du cynisme chez Céline, Cioran et Philippe Muray… Entrée dans l’édition après des stages chez Robert Laffont et Allia, la jeune femme se décrit de la famille des "éditeurs garagistes, heureux de plonger leurs mains dans le ventre des moteurs".

Désemparée

Le décès d’Evelyne Pisier laisse son éditrice devenue amie désemparée. Après quelques semaines de doute, Caroline Laurent décide de terminer le livre. "Le récit en miroir s’est imposé." Cela donne un roman à deux voix, plus qu’à quatre mains, avec, face à face, le récit d’Evelyne Pisier, follement romanesque, et celui, au ton plus contenu, plus sec, plus intérieur, de Caroline Laurent, où elle évoque notamment sa propre mère originaire de l’île Maurice.

Pour s’aider à finir seule ce livre si personnel et si chargé sentimentalement, l’éditrice a fait appel à une consœur, Valérie Kubiak. "C’était intéressant d’observer la relation de l’autre côté. J’ai pu constater le rôle actif de l’éditeur, y compris de soutien psychologique", note- t-elle en souriant. Elle a aussi effectué plusieurs week-ends de retraite dans un monastère pour s’immerger dans l’écriture. "Il y avait des choses dans le manuscrit que je n’ai pas reprises car je ne pouvais pas les assumer", admet la coauteure, qui pense qu’Evelyne Pisier avait pressenti qu’elle ne verrait pas la fin de leur aventure lorsqu’elle lui avait confié en urgence le texte quelques semaines avant sa mort. "Le cadeau, c’est la confiance, totale, qu’elle m’a faite." Et le livre sur les tables des librairies, une façon de dire merci.

Véronique Rossignol

 

Et soudain, la liberté, par Evelyne Pisier et Caroline Laurent, Les Escales. 19,90 euros, 440 p. Sortie : 31 août. ISBN : 978-2-36569-307-3

Les dernières
actualités