8 janvier > Roman France

Les épopées des réfugiés, les difficultés et les dangers qu’ils rencontrent, la course d’obstacles qu’est leur parcours, on connaît tout ça. Du moins, on le conçoit. On sait que ça existe ; parfois, un triste drame le rappelle, frisson déplaisant de la réalité. On connaît la chanson de l’émigrant, mais au fond on ne l’entend pas.

Carole Zalberg- Photo DR/COLLECTION PARTICULIÈRE/ACTES SUD

C’est cela que pallie le nouveau roman de Carole Zalberg, Feu pour feu. Loin de la fresque d’A défaut d’Amérique, ce texte resserré donne la parole à un homme qui, réchappé avec sa toute petite fille d’un banal et monstrueux massacre, traverse la moitié du monde pour la mettre en sécurité - homme sans prénom, sans visage, héros sans gloire des embarcations de fortune, des centres de rétention et des travaux journaliers, comme ils sont des milliers. S’il raconte son histoire, sa fuite et son errance, ce n’est d’ailleurs pas pour la gloire. Il s’adresse à sa fille, devenue adolescente hargneuse d’une cité moche, et qui s’est retrouvée derrière les barreaux. C’est le récit d’un homme veuf et usé par la vie, d’un père désemparé qui se demande où il a eu faux pour que son enfant chérie devienne une criminelle, et rende feu pour feu. «Mais j’aurais dû le savoir, ce qu’on ne regarde pas ne cesse pas pour autant d’exister. […] Je ne me pardonne pas d’avoir cru que toi et moi, parce que nous en avions eu notre content, de drame, nous en avions fini. »

La force du roman est là : d’avoir su donner voix non à un élément représentatif des statistiques ou à une victime du système sur laquelle s’apitoyer, mais à un homme entier, avec ses doutes et ses douleurs. C’est dans une langue ciselée qu’il s’exprime, parfois interrompue par celle de sa fille, tout autre, argotique et saccadée - comme deux mondes qui se confrontent après s’être portés, comme la rencontre entre la chanson de l’émigrant et celle des générations.

Fanny Taillandier

22.11 2013

Auteurs cités

Les dernières
actualités