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Dossier autoédition : le temps de l'organisation

Autoédition - Samedi 17 mars 2018 - Livre Paris 2018 - Photo Olivier Dion -

Dossier autoédition : le temps de l'organisation

En croissance depuis plusieurs années, le secteur de l'autoédition se structure, tente d'innover et commence à acquérir ses lettres de noblesse. Mais les acteurs du marché doivent toujours surmonter le défi de la diffusion. 

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Par Cécilia Lacour,
Créé le 17.01.2020 à 03h16

Depuis 2016, environ 17 % des livres enregistrés au dépôt légal chaque année sont issus de l'autoédition, contre 10 % en 2010, selon les bilans publiés par l'Observatoire du dépôt légal. Ces chiffres sont vraisemblablement en deçà de la réalité puisque certains auteurs n'effectuent pas cet enregistrement. « Ce pourcentage est stable depuis trois ans, mais le nombre total de livres déposés chaque année augmente. La production de livres autoédités est donc en hausse », remarque Émilie Le Coguiec, cofondatrice et responsable marketing et communication de Bookelis.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Le poids du secteur s'illustre aussi par la présence, depuis 2017, de Books on Demand à la cinquième place des éditeurs qui ont effectué le plus grand nombre de dépôts. « Entre 120 et 150 titres sont déposés chaque mois », pointe Noémie Machner, responsable marketing de cette plateforme. « L'engouement pour l'autoédition ne se dément pas », confirme Jean Vahl. Le responsable des contenus numérique et de l'autoédition chez Kindle Direct Publishing (KDP, Amazon) recense « entre 40 et 50 % de livres autoédités dans le Top 100 des meilleures ventes d'Amazon ». Plusieurs plateformes revendiquent une croissance à deux chiffres aussi bien en termes de revenus qu'en nombre de titres présents dans leurs catalogues.

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La présence des plateformes, des auteurs autoédités et l'organisation de tables rondes sur le sujet à Livre Paris 2019 ont permis à l'autoédition de « passer un cap » et d'être mieux « connue et prise en compte », estime Emilie Le Coguiec. L'intégration du secteur se remarque aussi lors d'autres événements professionnels comme les Assises du livre numérique pendant lesquelles « les éditeurs traditionnels étaient assis à côté d'autoéditeurs », souligne Noémie Machner, qui repère un nombre croissant de professionnels de l'édition, comme des correcteurs ou des graphistes, au sein de ce segment. Et « les blogueurs et les journalistes sont plus attentifs à l'autoédition », ajoute-t-elle.

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Installée dans le paysage éditorial, l'autoédition se structure. « Le marché a complètement changé de visage. Quand TheBookEdition a été créé il y a douze ans, nous étions tout seuls. Depuis cinq ans, nous sommes en concurrence avec une dizaine d'acteurs », observe son directeur Guillaume Mercier. « Auparavant, les auteurs avaient le réflexe d'aller sur Amazon, Kobo ou Google, sans chercher plus loin. Aujourd'hui, des plateformes comme Librinova et Bookelis ont réussi à se faire une place sur le marché », confirme Camille Mofidi, responsable de Kobo Writing Life pour l'Europe.

Profs de yoga

Le polar, la romance et la science-fiction restent majoritaires sur les plateformes d'autoédition, mais celles-ci disposent désormais de riches catalogues comprenant de la littérature générale, de la non-fiction, du théâtre, des beaux livres ou encore de la bande dessinée.

La diversité s'observe aussi dans le profil des auteurs auto-édités. « Deux types de public ressortent : l'auteur qui écrit des textes littéraires et l'auteur-expert qui veut partager ses connaissances », commente Noémie Machner. Les plateformes voient arriver, de plus en plus nombreux, des médecins, des vétérinaires ou des professeurs de yoga qui « complètent leur activité avec la publication d'un livre vendu à leurs patients ou leurs clients », note Émilie Le Coguiec.

Les plateformes sont par ailleurs sollicitées par des organismes professionnels. IggyBook collabore avec la Fédération internationale des professeurs de français. « Le travail que nous faisons pour ces professionnels nous fait monter en compétence », remarque Patricia Duliscouët, présidente et cofondatrice d'IggyBook. Peu à peu, les plateformes d'autoédition ont proposé des services payants comme la correction, la mise en page ou la création d'une couverture, misent sur l'impression à la demande pour satisfaire les envies de leurs auteurs.

Passerelles

Chez Kindle, Jean Vahl note que « l 'offre est telle qu'elle pousse les auteurs à se professionnaliser pour pouvoir exister ». « Avant, les auteurs voulaient juste être publiés. Maintenant, ils veulent aussi être distribués. Ils ont de vraies attentes sur la qualité du livre », abonde Patricia Duliscouët. Sans compter que « grâce aux salons littéraires, une communauté d'auteurs se construit et tire le niveau d'exigence vers le haut », analyse Jean-Paul Lafont, directeur de Publishroom Factory.

Parmi ces auteurs, certains rencontreront le succès dans le circuit traditionnel, à l'image des célèbres exemples d'Aurélie Valognes et d'Agnès Martin-Lugand, toutes deux repérées sur KDP par Michel Lafon. Librinova, qui revendique sa casquette d'agent littéraire, annonce 70 contrats signés avec des éditeurs, soit un auteur sur 50 qui passe dans l'édition traditionnelle. Pour la rentrée d'hiver, « trois auteures Librinova ont été publiées chez Plon, HarperCollins et Fleuve », souligne Charlotte Allibert, cofondatrice et directrice générale.

Les plateformes s'allient également avec des maisons pour lancer des concours d'écriture. Après un appel à manuscrits lancé début 2019, Kindle Direct Publishing et Prisma ont désigné Florence Kious lauréate du prix du concours d'écriture de développement personnel. Son roman Clair de bulle a été publié chez Prisma le 2 janvier et produit en livre audio par Audible. Il bénéficie d'un dispositif de promotion sur Amazon, Femme Actuelle et tous les médias du groupe de presse. Jusqu'au 30 avril, Librinova et Jouvence se lancent à leur tour en quête de récits fictifs sur les thèmes de la communication non-violente, du lâcher-prise, de la sororité ou inspirés par Les quatre accords toltèques. Le lauréat, dont le nom sera dévoilé en juin, « verra son texte publié à l'automne 2020 et bénéficiera de l'expertise de communication de Jouvence », précise Librinova sur son site.

Préjugés

D'autres défis attendent encore d'être relevés, comme celui de la diffusion et de la communication auprès du public. Et puis, malgré son succès, sa visibilité et sa démocratisation, le secteur souffre encore d'un déficit d'image. « Les préjugés sur l'autoédition se sont beaucoup estompés mais n'ont peut-être pas encore tout à fait disparu », reconnaît Camille Mofidi. Noémie Machner réfute le stéréotype d'une voie réservée aux auteurs rejetés par les maisons d'édition : « Il y aura toujours des textes pas forcément très bons dans l'autoédition, tout comme il y en a dans l'édition traditionnelle. Mais il existe aussi de très beaux textes. Pourquoi des personnes qui ont parfois une jolie plume et qui ont envie de partager des choses n'auraient-elles pas le droit de le faire ? » De son côté, Emilie Le Coguiec présente l'auto-édition comme une « alternative » : « Nous sentions que certains éditeurs nous voyaient comme une menace alors que nous ne nous sommes jamais positionnés contre l'édition traditionnelle. La chaîne du livre est grande. »

Reste que « l'autoédition est encore confondue avec l'édition à compte d'auteur qui est vue comme une arnaque », déplore Jean-Paul Lafont. Vis-à-vis de l'auteur, l'autoédition a le-mérite d'être transparente sur ses prestations payantes contrairement aux ambiguïtés longtemps entretenues par l'édition à compte d'auteur. Demeure toutefois dans un cas comme dans l'autre une absence de validation éditoriale qui, aux yeux du circuit traditionnel, déprécie la réputation de la production. 

La librairie, terre de mission

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Après avoir créé des liens avec une partie des imprimeurs, avec des éditeurs traditionnels et des salons littéraires, les acteurs de l'autoédition doivent maintenant parvenir à établir une relation durable avec la librairie. « Le problème est la mauvaise image que les libraires peuvent avoir de l'autoédition », regrette Guillaume Mercier, directeur de TheBookEdition. Pour autant, de nombreux interlocuteurs reconnaissent un intérêt croissant de la part des librairies locales. « Quand un auteur autoédité se déplace en librairie, il suscite souvent la curiosité », nuance Guillaume Mercier. « La diffusion au niveau local ou régional fonctionne parfois bien pour les auteurs très actifs », confirme Emilie Le Coguiec. Pour tenter de résoudre la question de la diffusion, certaines plateformes s'associent avec des enseignes nationales. Partenaires historiques, Kobo Writing Life et la Fnac garantissent depuis la fin de l'année 2019 un soutien marketing aux auteurs de textes publiés dépassant 1 200 ventes (formats papier et numérique confondus).

Librinova, de son côté, soigne sa relation avec Cultura. Les deux marques ont dévoilé en septembre un « pack Cultura » qui permet d'organiser des dédicaces dans les points de vente de l'enseigne. La deuxième partie du partenariat réside dans la constitution d'un comité de lecture composé des libraires et des clients de l'enseigne. « Nous leur envoyons cinq titres par mois, sélectionnés parmi nos coups de cœur. Si le comité a, lui aussi, un coup de cœur, nous le signalerons sur notre site », explique Charlotte Allibert, cofondatrice et directrice générale. Pour Librinova, qui développe une activité d'agent littéraire, c'est un argument de poids quand vient le moment de proposer un texte à des éditeurs traditionnels. « Nous pouvons leur signifier qu'ils auront l'appui de Cultura en cas de signature d'un contrat d'édition avec un auteur. »

« La vente en ligne ne suffit pas »

Les acteurs de l'autoédition ont bien compris que la librairie est un maillon essentiel. Comme le dit Emilie Le Coguiec, « la vente en ligne ne suffit pas. Le contact et le conseil du libraire sont très importants. »

Mais tous sont conscients des contraintes des libraires. « Le manque de place explique en partie l'absence de livres autoédités en rayon, les libraires donnent naturellement la priorité à la chaîne traditionnelle », constate Camille Mofidi, responsable de Kobo Writing Life pour l'Europe. « Les libraires manquent aussi de temps et ne peuvent pas négocier avec chaque auteur autoédité », relève Jean-Paul Lafont, directeur de Publishroom Factory.

Pour simplifier la tâche des libraires et leur éviter une gestion des stocks, les plateformes d'autoédition optent pour l'impression à la demande et s'associent avec des distributeurs comme Hachette Livre pour référencer leurs titres. Certaines d'entre elles, comme Books on Demand ou Bookelis, ont mis en place une option de droits de retour afin de limiter la prise de risque en librairie.

Les plateformes savent qu'elles doivent faire preuve de pédagogie. « Les premières séances de dédicace dans les enseignes Cultura ont eu lieu en novembre et les libraires nous ont bien suivis. Nous avons effectué une formation auprès d'eux pour leur expliquer notre activité, de façon à ce que notre approche soit transparente et acceptée », raconte Charlotte Allibert. Chez Bookelis, Emilie Le Coguiec explique être « régulièrement en contact avec des libraires pour qui il n'est pas intuitif de chercher un titre autoédité dans leurs bases de données ».

Pour l'heure, l'idée de proposer un stock de livres autoédités en librairie ne fait pas partie des projets envisagés. « Les portes commencent à s'ouvrir mais il faut que l'autoédition soit bien installée et identifiée avant de penser à d'autres développements », assure Camille Mofidi. Et puis, ajoute Charlotte Allibert, « le jour où nous serons diffusés en librairie, cela supposera une sélection qui va à l'encontre du principe même de l'autoédition, aujourd'hui ouverte à tous ». 

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