Droit

Dossier Droit : la tête hors de l’eau

Olivier Dion

Dossier Droit : la tête hors de l’eau

Les éditeurs juridiques repartent de l’avant après avoir encaissé les faillites des chaînes de librairies Chapitre et Virgin. Le marché universitaire fait mieux que résister, porté par la concurrence toujours forte entre Dalloz et LexisNexis sur le segment des codes. L’offre numérique, déjà importante sur le marché professionnel, se renforce en direction des étudiants.

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Par Charles Knappek
Créé le 04.09.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 04.09.2015 à 10h45

Le marché du livre juridique encaisse bien. Après avoir subi le contrecoup de la disparition de Virgin et la fermeture des librairies Chapitre, la plupart des éditeurs observent un retour à la normale, en particulier sur le marché universitaire, très porté par les codes juridiques. "Les codes fonctionnent d’autant mieux qu’ils intéressent à la fois les étudiants et les professionnels", souligne Caroline Sordet, directrice éditoriale chez LexisNexis.

"Si on veut que les ouvrages intègrent les bibliographies et s’installent dans la durée, il faut travailler avec de bons auteurs, tout simplement."Julie Pelpel-Moulian, Hachette- Photo OLIVIER DION

"On constate globalement une bonne résistance de notre fonds et de nos parutions en librairie", indique Hélène Hoch, directrice éditoriale universitaire chez Dalloz. Hani Féghali, directeur éditorial des ouvrages professionnels également chez Dalloz, note de son côté toujours des écarts importants en fonction des titres. "Un tiers de notre offre souffre, un tiers est stable et le dernier tiers enregistre de bons résultats, illustrés notamment par Le guide des infractions qui reste notre best-seller." La P-DG de Lextenso, Emmanuelle Filiberti, évoque un "bilan positif" avec notamment une forte progression du fonds Gualino. Côté professionnel, un important volume de nouveautés est prévu pour 2016 afin de couvrir la réforme du droit des contrats.

"Les habitudes des étudiants changent. Ils veulent du prêt- à-consommer et ont du mal à s’orienter vers les livres."Enrick Barbillon, Enrick B. éditions- Photo OLIVIER DION

"Le marché s’est maintenu chez nous. Si on veut que les ouvrages intègrent les bibliographies et s’installent dans la durée, il faut travailler avec de bons auteurs, tout simplement", estime Julie Pelpel-Moulian, responsable éditoriale supérieur, technique et numérique chez Hachette Supérieur. L’éditeur, qui met l’accent sur la collection "Les fondamentaux", effectue un "important travail de refonte sur les titres phares" pour la rentrée et publiera quelques nouveautés début 2016.

"Le marché étudiant est plutôt dynamique alors que, du côté des praticiens, les ventes papier sont moins bonnes. C’est pour cela que nous allons vers les services numériques."Emmanuelle Filiberti, Lextenso éditions- Photo OLIVIER DION

"L’activité se maintient à condition d’être à l’écoute des clients et des libraires, note Caroline Sordet, chez LexisNexis. Cela se traduit par une réponse aux attentes élevées sur des contenus pratiques et cela transcende toutes nos lignes de produits, dont le livre fait partie." Sur le marché professionnel, l’éditeur s’appuie notamment sur le Précis de fiscalité des entreprises, le Code de l’arbitrage commenté, ou encore le Guide du procès civil en appel, initié pour répondre aux attentes des professionnels après le transfert aux avocats de la charge et du suivi de l’appel.

A la rencontre des étudiants

La bonne tenue du marché universitaire conduit les éditeurs à renforcer leurs interventions en direction des étudiants. Lextenso éditions a lancé en février dernier le site Etudiant.lextenso.fr, qui a vocation à promouvoir ses ouvrages papier. Les étudiants peuvent néanmoins se procurer les titres au format ebook à partir de cette rentrée ; le site propose aussi des informations relatives à leur université et un guide des professions juridiques et judiciaires.

Aux Presses universitaires de France (Puf), le droit reste aussi un marché porteur. "Il est plus dynamique que d’autres matières car les manuels deviennent vite obsolètes et les prescriptions se maintiennent un peu mieux. Du coup, les étudiants continuent d’acheter", souligne Anne-Laure Génin, éditrice chargée des manuels universitaires. Au Salon du livre juridique, le 10 octobre prochain au Conseil constitutionnel à Paris, les Puf organiseront des rencontres avec leurs auteurs. La manifestation donnera aussi lieu à la remise de packs étudiants offerts lors de jeux-concours pilotés par les organisateurs du salon, le Club des juristes et le Conseil constitutionnel. D’autres acteurs misent sur les rencontres avec les étudiants. LexisNexis, notamment, a organisé cette année une trentaine de salons du livre juridique dans les facultés de droit. "Le principe est de monter un partenariat avec les librairies locales, lesquelles viennent avec l’ensemble de leur offre en droit à la rencontre des étudiants. Tous les éditeurs sont conviés à cette initiative", explique Caroline Sordet chez LexisNexis. De son côté, Lextenso éditions déploie une campagne de communication auprès des étudiants de première année en leur offrant un ouvrage qui reprend la Constitution et les fondamentaux de la Ve République. "C’est la première fois que nous lançons une campagne de cette importance", précise Emmanuelle Filiberti.

Le marché universitaire offre une perspective de diversification pour les éditeurs juridiques. Pour la rentrée, les éditions Francis Lefebvre (EFL) proposent en édition limitée (2 000 exemplaires tirés) le Mémento fiscal et le Mémento social à un tarif plus abordable pour les étudiants. Ces mémentos ne proposent pas de version multisupport, contrairement aux mémentos professionnels, et disposent d’une couverture cartonnée, mais le contenu est le même. "Le lectorat étudiant nous intéresse, mais nous ne deviendrons pas un éditeur universitaire, précise Renaud Lefebvre, gérant d’EFL. Notre but est surtout de nous adresser aux étudiants d’un niveau avancé pour leur donner certaines habitudes de lecture." Un effort d’autant plus nécessaire que "les habitudes des étudiants changent. Ils veulent du prêt-à-consommer et ont du mal à s’orienter vers les livres", estime Enrick Barbillon, dirigeant fondateur d’Enrick B. éditions, dont l’offre en droit se résume à la collection "Lexifiche", laquelle propose des fiches bénéficiant de mises à jour en ligne via un QR code. En décembre, Enrick B. éditions publiera une brochure traitant de la façon d’optimiser ses révisions, destinée aux étudiants en droit. "Ce fascicule sera distribué gratuitement en librairie, annonce Enrick Barbillon. Nous lançons aussi un concours à la rentrée, intitulé Jamais sans ma fiche, qui propose aux étudiants de se photographier et de poster la photo sur notre page Facebook pour gagner un iPad." L’éditeur signale également qu’il planche sur une nouvelle collection juridique à l’horizon 2017, cette fois sous forme de livres contenant des schémas et des quiz.

Peu présent sur le marché universitaire, Wolters Kluwer France (WKF) poursuit néanmoins sa stratégie de pénétration a à travers plusieurs actions. "Notre objectif principal est de faire connaître nos produits aux étudiants, en particulier nos produits numériques (logiciels, base de données, bibliothèque digitale), en travaillant étroitement avec les universités et les écoles d’avocats", explique Isabelle Bussel, directrice générale du pôle droit et réglementation. L’éditeur s’appuie également toujours sur son best-seller Droit du travail, droit vivant de Jean-Emmanuel Ray, dont la 24e édition, qui paraît le 10 septembre, commente les dernières lois, dites loi Macron (travail du dimanche, "barémisation") et loi Rebsamen sur la refonte des instances représentatives du personnel. L’ouvrage tiendra compte des dernières évolutions après la censure du Conseil constitutionnel en date du 5 août.

De son côté, Lextenso éditions annonce plusieurs nouveautés en direction des étudiants. Dans les précis "Domat droit privé" : Droit de la consommation et Droit des personnes. En "Manuel" LGDJ : Droit des biens, Droit public de la concurrence, Droit de la bioéthique, Histoire constitutionnelle française. Dalloz enrichit également son catalogue. En "Hypercours", l’éditeur publie Droit des finances publiques et Droit de la famille. Dalloz réitère également son offre "Les fondamentaux de votre réussite", un pack qui inclut le Lexique des termes juridiques et le Code civil en édition limitée. "Nous avons noté que l’activation des compléments numériques a beaucoup progressé depuis l’an dernier", confie Hélène Hoch. Pour améliorer le taux d’activation, l’éditeur organise un jeu-concours destiné aux acquéreurs de codes classiques : il fait gagner 50 iPad par tirage au sort à tous les acheteurs qui auront activé les services numériques de leur ouvrage entre le 19 août et le 31 décembre. Chez LexisNexis, l’accent est mis sur les deux collections majeures "Manuel" et "Objectif droit". L’éditeur publie en tout une centaine de nouveautés et nouvelles éditions chaque année.

Le numérique décolle

Côté ebook, les perspectives sont encore modestes, mais elles sont structurellement haussières. "Nous avons réalisé en volume + 60 % d’exemplaires vendus par rapport à l’année 2014 sur la même période et nous vendons en moyenne 250 ebooks par mois cette année", indique Hélène Hoch, chez Dalloz. L’éditeur parie aussi sur le bundle (offre groupée papier et numérique) avec un programme bimédia de ses "Précis". Dans la foulée de la refonte des couvertures de cette collection, effective en juillet dernier, 5 titres papier incluent pour la rentrée une version PDF feuilletable. Chez LexisNexis, le développement à moyen terme de l’ebook ne fait guère de doute et l’éditeur lance donc l’application Lexis eLivres qui permet l’achat et la consultation de codes et d’ouvrages numériques. Le livre numérique permet également à LexisNexis de mener des projets ambitieux, à l’image de l’ouvrage augmenté Le procès civil en version originale, dirigé par Antoine Garapon, qui traite d’un sujet de droit comparé avec textes et vidéos (30 vidéos, 50 images, 30 commentaires audio). Si la demande de manuels au format numérique est encore modeste, Lextenso éditions a également décidé de l’anticiper en proposant désormais des ebooks de ses ouvrages sur Lgdj.fr et sur les plateformes de vente en ligne.

Sur le front du marché professionnel, EFL lance La Quotidienne, produit "purement numérique", explique Renaud Lefebvre, dont l’ambition est de publier tous les jours une synthèse de l’activité pour les lecteurs et utilisateurs des contenus EFL. Plus qu’une source de revenus en tant que telle, La Quotidienne constitue un enjeu de présence et une vitrine du savoir-faire de l’éditeur qui attend un trafic plus important sur son site. "C’est un pari sur la qualité de notre présence sur Internet", résume Renaud Lefebvre. Chez WKF, la collection "Lamy axe droit" accueille au total une dizaine de parutions en 2015, tandis que Lextenso éditions affiche quelques nouveautés dans la collection "Les intégrales" : Informatique et libertés, Les sociétés civiles immobilières, Les restructurations en droit du travail. Début 2016 devrait notamment paraître un Guide de la gouvernance des sociétés chez Dalloz. "C’est un livre très original, dont l’auteur a été directeur juridique d’une entreprise du Cac 40 et qui jouit d’une excellente expérience européenne et internationale des modes de gouvernance", détaille Hani Féghali.

Mais c’est surtout le volet numérique qui porte la production à destination des professionnels. EFL a lancé Lefebvre mobile en mars dernier, service qui constitue le point d’entrée de l’ensemble de ses ressources numériques en mobilité. Il concerne les revues et intégrera "bientôt" les mémentos. EFL va aussi lancer une nouvelle version d’iMemento. "Les nouvelles offres sont conçues pour les natifs du numérique, souligne Renaud Lefebvre. Elles se traduisent par le passage progressif de l’univers des mass media, produits génériques de ralliement, vers des produits numériques beaucoup plus adaptés aux besoins précis des différents types d’utilisateurs."

Lextenso éditions se lance à son tour dans la modernisation de ses offres numériques par métier avec 13 services au total pour fin 2015 : trois packs métiers (notaires, avocats et avocats d’affaires) et des packs matières incluant les revues spécialisées et un moteur de recherche performant. "Jusqu’à présent, notre offre n’incluait pas nos ouvrages, ni la jurisprudence, et elle datait de 2003. Cela devenait urgent pour les professionnels", indique Emmanuelle Filiberti. Car "le marché étudiant est plutôt dynamique alors que, du côté des praticiens, les ventes papier sont moins bonnes. C’est pour cela que nous allons vers les services numériques", conclut-elle.

Le droit en chiffres

L’ère des codes à petit prix

 

Attaqué depuis 2012 par LexisNexis sur le marché des codes napoléoniens, Dalloz a répondu à la rentrée 2014 en lançant à son tour une offre à prix réduit. Les deux éditeurs revendiquent chacun un bilan favorable et abordent cette rentrée 2015 avec de nouvelles armes.

 

Super Dalloz met à jour les codes Dalloz sur YouTube.- Photo DALLOZ

La guerre des codes se poursuit. Dalloz et LexisNexis proposent désormais chacun les cinq codes napoléoniens (civil, procédure civile, pénal, procédure pénale, commerce) en tarif réduit : LexisNexis à des prix de lancement compris entre 19,90 et 29,90 euros ; Dalloz sous forme d’éditions limitées vendues de 20 à 30 euros. LexisNexis avait ouvert les hostilités à la rentrée 2012 avec des codes moins chers pourvus de jaquettes fantaisie. Dalloz s’était finalement décidé à répondre lors de la rentrée 2014.

D’un côté comme de l’autre, les éditeurs dressent un bilan positif de leur dernière passe d’armes. "Nous avons récupéré 5 points de parts de marché par rapport à la rentrée 2013", se félicite Guilhem Cros, directeur éditorial des codes et de l’encyclopédie chez Dalloz. LexisNexis assure cependant avoir conservé les positions conquises les années précédentes. "Nous avons élargi le marché, souligne Caroline Sordet, directrice éditoriale chez LexisNexis. Le fait d’avoir mis l’accent sur le prix a permis de lever le frein du renouvellement annuel. Les professionnels ne se posent plus la question et achètent désormais un code tous les ans car les prix sont devenus très accessibles." En librairie, les effets de la lutte entre les deux éditeurs se font aussi sentir : "Cela a fait revenir une clientèle qui avait presque disparu, notamment les étudiants qui préparent le barreau et qui passent leurs épreuves en septembre. Habituellement, ils conservaient leur code de l’année précédente, désormais ils achètent l’édition la plus récente, observe Laurent Golfier, responsable du rayon droit et éco-gestion à la librairie Durance, à Nantes. Il y a aussi un effet induit sur la vente de livres. Le simple fait de venir en librairie pour acheter un code permet aux étudiants de se rendre compte de l’offre et en conduit certains à acheter des manuels."

Challenger sur ce marché historiquement dominé par Dalloz, LexisNexis propose un seul produit - avec différents types de jaquettes - dont le prix varie dans le temps. A l’inverse, Dalloz a lancé l’an dernier des codes à couverture souple en tirage limité tout en continuant de miser sur son édition classique qui bénéficie de prestations associées plus riches. L’éditeur avait aussi lancé une troisième version intitulée Code 3.0, entièrement numérique, dont les fonctionnalités numériques sont les mêmes que pour l’édition classique, avec en plus des liens vers les revues Dalloz et la doctrine Dalloz des revues et de l’encyclopédie. Mais ces codes valables douze mois et vendus 99 euros n’ont pas fonctionné en librairie. "Les libraires n’ont pas beaucoup mis en avant cette offre qui a été occultée par les éditions limitées et classiques de nos codes", explique Delphine Levêque, directrice des marchés juridiques. Dalloz ne mettra donc plus l’accent sur le Code 3.0, qui reste néanmoins disponible en ligne.

Cette année, LexisNexis poursuit l’offensive et propose deux nouvelles séries de jaquettes (l’une avec des couvertures de Yak, et l’autre baptisée "Trendy"). L’éditeur maintient son offre de lancement jusqu’à fin décembre quand l’an dernier celle-ci expirait fin octobre. LexisNexis profite également de la rentrée 2015 pour coupler ses codes avec une application Lexis eLivres Android/Apple. Le couplage est justifié par la difficulté à percer que rencontrent les versions numériques seules. "A ce jour, les lecteurs souhaitent majoritairement disposer des deux formats (papier et numérique) car ceux-ci correspondent à des cas d’usage et des expériences différents et complémentaires", décrypte Caroline Sordet.

De son côté, s’il reste fidèle à la couleur rouge de ses couvertures, Dalloz fait appel au personnage Super Dalloz dans des vidéos qu’il diffuse sur les réseaux sociaux. Surtout, l’éditeur renforce la dimension numérique de son offre. Déjà, l’an dernier, outre les newsletters, l’édition classique de Dalloz s’enrichissait d’un accès en ligne avec des mises à jour hebdomadaires, et sur iPad via une application avec une actualisation mensuelle. Désormais, l’appli est compatible avec les iPhone et les smartphones Android. "C’est plus difficile techniquement car il existe une grande variété de tailles et de formats d’appareils Android, mais nous ne pouvions pas faire l’impasse", explique Delphine Levêque. La mise à jour hebdomadaire vaut pour l’offre classique des codes rouges. L’édition limitée propose, elle, une mise à jour mensuelle via l’envoi d’une newsletter.

Pour cette rentrée, les deux éditeurs tiennent aussi compte de la réforme du droit des contrats, qui sera effective en 2016, mais dont les grandes lignes sont déjà connues. Dalloz et LexisNexis proposent chacun un supplément à leur Code civil qui commente les articles concernés par la réforme. Chez Dalloz, ce supplément n’est offert qu’avec l’édition classique du Code civil. L’édition limitée, elle, comprendra aussi un supplément relatif à la réforme, mais moins exhaustif. "L’édition limitée permet d’accéder à la qualité Dalloz à un prix étudiant, mais notre meilleure proposition reste l’édition classique", justifie Delphine Levêque.


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