Jeunesse

Dossier Jeunesse : les Français misent sur la fiction

Olivier Dion

Dossier Jeunesse : les Français misent sur la fiction

Stimulés par le succès des adaptations de la littérature pour la jeunesse au cinéma, les éditeurs français abordent la Foire de Bologne en ayant à cœur de défendre la fiction

J’achète l’article 4.5 €

Par Claude Combet,
Créé le 13.03.2015 à 00h34 ,
Mis à jour le 13.03.2015 à 09h51

L’adaptation au cinéma d’Hunger games de Suzanne Collins, celles de Nos étoiles contraires de John Green, de Divergente de Veronica Roth ou de L’épreuve de James Dashner ont fait les meilleures ventes de l’année 2014 du secteur jeunesse. Défendre les romans français auprès des éditeurs étrangers et des producteurs de cinéma, de télévision, de dessins animés sera l’un des enjeux de la prochaine Foire du livre de jeunesse de Bologne, qui se déroulera du 30 mars au 2 avril.

"Avec Anne Risaliti, responsable des droits d’Hatier et de Didier Jeunesse, nous avons noté un vrai regain d’intérêt pour la fiction jeunesse."Michèle Moreau, Didier Jeunesse- Photo DR

Même si les négociations et l’aboutissement des projets sont beaucoup plus lents dans l’audiovisuel, les éditeurs français rêvent d’adaptations. Une dizaine d’entre eux (Didier Jeunesse, Gallimard Jeunesse, Gulf Stream, Hachette Jeunesse Romans, Rageot notamment) ont choisi de participer aux Rencontres Scelf de l’audiovisuel qui auront lieu le vendredi 20 mars au Salon du livre de Paris pour y rencontrer des producteurs de cinéma et de télévision. On les retrouvera à la Foire du livre de jeunesse de Bologne. L’affaire est sérieuse : même si Bologne reste une foire de droits entre éditeurs, la cession d’un titre à un producteur peut générer des ventes colossales à la sortie du film. Alors les éditeurs misent sur la fiction et sur leurs auteurs, en ayant à cœur d’en montrer la diversité des genres (science-fiction, thriller, récit réaliste, roman historique) et des âges concernés, depuis les premières lectures jusqu’aux adolescents. D’autant plus que, depuis deux ou trois ans, les maisons se sont donné les moyens de développer leurs collections de romans, comme Albin Michel Jeunesse sous l’impulsion de Karine Van Wormhoudt, nouvellement arrivée, ou à travers des concours d’écriture pour Hachette Jeunesse Romans et Gallimard Jeunesse. "Avec Anne Risaliti, responsable des droits d’Hatier et de Didier Jeunesse, nous avons noté un vrai regain d’intérêt pour la fiction jeunesse", confirme Michèle Moreau, directrice de Didier Jeunesse, dont Le cœur en braille va être mis en images par Michel Boujenah cet été. "Le cinéma a fait vendre mais il s’agit des gros blockbusters américains avec un marketing difficile à reproduire en France. Gallimard s’y essaie avec Le Petit Prince et a la volonté d’être au niveau des Américains avec un lancement mondial, mais c’est un travail de titan. En revanche, il serait intéressant d’imaginer un système à la française comme pour le cinéma, qui nous permette de conserver notre identité et ce qui fait la spécificité de l’édition pour la jeunesse française", précise Marion Jablonski,responsable d’Albin Michel Jeunesse, qui aimerait travailler avec des producteurs européens.

"Le cinéma a fait vendre mais il s’agit des gros blockbusters américains avec un marketing difficile à reproduire en France."Marion Jablonski, Albin Michel Jeunesse - Photo OLIVIER DION

A la mesure des Américains

Pour affronter les géants hollywoodiens, nombreux sont les éditeurs français qui ont à cœur de prouver que la science-fiction et le fantastique français n’ont rien à envier aux Anglo-Saxons. Ainsi chez Magnard, Aurélie Lapautre défendra la trilogie de science-fiction d’Hélène Montardre, Mirapolis ; Gallimard Jeunesse, les deux tomes de la nouvelle trilogie d’Erik L’Homme, Terre-Dragon ; et Rageot, la trilogie vampiresque d’Olivier Gay, Le noir est ma couleur, ainsi que les sept tomes de Monstre d’Hervé Jubert. Le Rouergue propose la trilogie de science-fiction Les autodafeurs de Marine Carteron (dont le troisième volet sort en mai) ainsi que les droits audiovisuels de La voix de la meute de Gaïa Guasti chez Thierry Magnier (la maison n’a pas les droits étrangers). Actes Sud Junior fait sa première incursion dans le steampunk avec Les filles finemouche et le balafré de Juliette Vallery et Annabelle Fati, illustré par Tanguy Dumont, des petits romans illustrés mettant en scène des histoires policières rigolotes dans un Londres de science-fiction (à paraître en mai). Rue du Monde défendra La cité, une fiction en 5 volumes de Karim Ressouni-Demigneux, "très contemporaine dans ses problématiques, car elle allie science-fiction et critique sociale du monde Internet à travers un jeu qui fascine la planète".

Cécile Terouanne, Hachette Jeunesse Romans.- Photo OLIVIER DION

Autre genre prisé, les romans historiques. Parmi les thématiques, Versailles a le vent en poupe : après les livres d’Annie Pietri et d’Anne-Marie Desplat-Duc, on voit arriver chez Hachette Jeunesse Romans Les intrigantes, d’après une idée de Charlotte Ruffault (qui fut directrice d’Hachette Jeunesse Romans), écrite par Christine Féret-Fleury, des "gossip girls à la cour de Louis XIV", un projet prévu pour mai ; chez Albin Michel Jeunesse, Aurélie Lapautre, responsable des droits, croit beaucoup dans Elisabeth, princesse rebelle, une série à la manière des Malheurs de Sophie à la cour de Versailles sous Louis XIII. Chez Syros, signalons Celle qui sentait venir l’orage, un roman historique signé Yves Grevet (l’auteur de Méto), l’histoire d’une petite fille en Italie du Nord, dont les parents sont accusés de sorcellerie aux débuts de la criminologie.

Les romans réalistes ne sont pas en reste avec des séries girly ou humoristiques comme Le bloc-notes de Louise de Marion Michaud et Charlotte Marin (Albin Michel Jeunesse), Mentine de Jo Witek, 2 amies pour la vie ! d’Anne-Marie Pol et Isabelle Maroger, et la trilogie de Bernard Friot, Le livre de mes records nuls, Le cahier de mes vacances nulles et Le journal nul de mes amours nulles (Flammarion Jeunesse). On retrouve aussi des titres one-shot comme Le fils des instituteurs de Jean-Paul Nozière et Ronde comme la lune de Mireille Disdero (Seuil Jeunesse), La coloc de Jean-Philippe Blondel pour les ados (Actes Sud Junior) ou, plus grave, Refuges d’Annelise Heurtier, l’auteure de Sweet sixteen, sur les réfugiés de l’île de Lampedusa (Casterman). D’autres comme Rue du Monde avec la trilogie, Je veux un python pour mon anniversaire, Python, chaton et compagnie et Un python à la maison de Raphaële Frier et Solenn Larnicol, se positionnent sur les premières lectures très illustrées et humoristiques.

Avec les auteurs maison

Les éditeurs travaillent aussi les auteurs maison comme Pauline Alphen et Bertrand Puard, l’auteur des Effacés, dont le thriller Vol 1618 intéresse déjà un producteur pour une série télévisée en 8 épisodes, chez Hachette Jeunesse Romans ; Fabrice Colin (Le pays qui te ressemble) et Audren (Millie Burnett, fille du Far West et Mon chien est raciste) chez Albin Michel Jeunesse ; Timothée de Fombelle (Le livre de Perle, déjà vendu dans dix pays), Anne-Laure Bondoux (Tant que nous sommes vivants), Jean-Philippe Arrou-Vignod (Mimsy Pocket et les enfants sans nom, la suite de Magnus Million et le dortoir des cauchemars), François Place avec une nouvelle série en "Folio cadet" (Panique dans le bayou et Le carnaval des squelettes), Jean-François Chabas (Les rêves rouges, en "Scripto") et Aurélie Gerlach, l’auteure de Où est passée Lola Frizmuth ? (La légende de Lee-Roy Gordon) chez Gallimard Jeunesse. Michèle Moreau chez Didier Jeunesse défendra Elyssa de Carthage d’Eric Senabre, l’auteur de Sublutetia, et deux titres de Tristan Koëgel, Les sandales de Rama et Le grillon. Tandis que chez Rageot, sera proposé dès avril un grand projet, "In love", pour lequel les auteurs maison Camille Brissot, Charlotte Bousquet, Fabien Clavel, Michel Honacker, Claire Gratias, ont revisité les grands classiques.

A L’Ecole des loisirs qui fêtera ses 50 ans à Bologne, Isabelle Dharty proposera les nouveautés de Malika Ferdjoukh, Sigrid Basseurt, Stéphani Leclerc, Susie Morgenstern, Caroline Solé, Bruno Gibert et un Chien pourri à Paris qui devrait faire fueur.

Avec la même constance, il s’agit aussi de faire découvrir de nouveaux auteurs. Ainsi chez Hachette Jeunesse Romans, Cécile Terouanne, la directrice, et Mathilde Jablonski, responsable des droits, défendront les premiers romans de Yann Rambaud (Gaspard des profondeurs), B. F. Parry (Oniria), Gabrielle Massat (L’enfant papillon), qui fut finaliste du concours Black Moon, et Franck Krebs (Anna et son fantôme). Chez Gallimard Jeunesse, Anne Bouteloup, responsable des droits, aura dans ses cartons Roland Godel (Dans les yeux d’Anouch, un livre sur le génocide arménien) et Yann Darko, avec les deux premiers volumes de sa trilogie Chat noir.

 

Déclinaisons en séries

Voir un héros des tout-petits adapté en dessin animé est le rêve de tout éditeur. Mais cela prend du temps. Certains le sont déjà comme l’âne Trotro (Gallimard Jeunesse-Giboulées), Mini-Loup (Hachette Jeunesse) et Boris (Thierry Magnier), actuellement sur France 5. On attend une série de 26 épisodes d’Ernest et Célestine (Casterman), et une seconde saison de Martine (Casterman, 52 épisodes de 11 minutes produite par Les Armateurs) et, déjà réalisée, Les pyjamasques (Gallimard Jeunesse-Giboulées), annoncée pour Noël 2015. Bologne sera donc l’occasion de découvrir les petits nouveaux comme Eliott, le petit tigre d’Olivier Latyk (Gallimard Jeunesse), Oops et Ohlala (Talents hauts), Lou P’tit loup d’Antoon Krings (Gallimard Jeunesse-Giboulées), Les Ptimounes de Madeleine Brunelet (Casterman), Les Trop Super d’Henri Meunier et Nathalie Choux (Actes Sud Junior), Yoki le doudou d’Olivier Latyk (Actes Sud Junior), tandis qu’Hélium parie sur Poupoupidours de Benjamin Chaud (trois titres) pour lesquels l’éditeur développe tout un univers. "Pour la petite enfance, il faut un personnage, constate Marion Jablonski. Or, le marché est de plus en plus difficile et de plus en plus orienté sur le livre-concept qui n’est pas adapté à l’audiovisuel. Mais nous avons connu de belles aventures avec La fée Coquillette de Benjamin Chaud, et avec Le tour du monde de Mouk de Marc Boutavant, pour lequel le producteur a pu envisager une série parce que c’était un univers en soi, qui contient dix albums à lui seul." Mouk est en effet un cas d’école : Albin Michel Jeunesse développe actuellement avec le producteur une gamme tirée du dessin animé, tandis que le producteur proposera à Bologne les novellisations des épisodes.

"La stratégie Bayard est multiplateforme. Nous développons nos héros dans la presse, l’édition, l’audiovisuel est le numérique", dévoile Emmanuelle Marie, responsable des droits de Bayard-Milan. Polo, le petit lapin de Régis Fale, diffusé sur Piwi, a son programme éditorial et son application, comme Ariol dont la deuxième saison est lancée.

Albums et découvertes

Pour le reste, les éditeurs français mettront en valeur leurs albums et leurs documentaires en souhaitant créer le buzz… "Il y a une logique à ce que l’illustration française, appréciée dans le monde entier et considérée comme un des fleurons de l’édition, soit regardée par les producteurs", note Sophie Giraud, fondatrice d’Hélium. Ainsi, Actes Sud Junior compte sur un documentaire qui devrait faire fureur, Chiens et chats, sous la loupe des scientifiques d’Antonio Fischetti, illustré par Sébastien Morin (avec la Cité des sciences et de l’industrie) ; et Albin Michel Jeunesse sur L’arbre à gâteaux d’Etsuko Watanabe ou les collections de la petite enfance, "Qui se cache… ?", "Livre à déplier" ou la nouvelle "Ouvre la porte" par Mim et Nathalie Choux, un pop-up Neuf mois de Jean-Marc Fiess (l’auteur de l’ABC 5 langues) et la nouvelle collection "Le spectacle de la nature" des auteures de la série Inventaire illustré…, Virginie Aladjidi et Emmanuelle Tchoukriel. Gallimard Jeunesse mise, entre autres albums, sur La valise rose de Susie Morgenstern, La main de maman de Claire Babin et Marguerite Courtieu, Rendez-moi mes totottes ! de Fanny Joly et Fred Benaglia ; et sur un pop-up, Le chaperon rouge de Georg Hallensleben, l’auteur de Pénélope. Gautier-Languereau fait événement avec Une Bible de Philippe Lechermeier et Rébecca Dautremer, et annonce un King Kong par Antoine Guilloppé. Hélium montrera à quelques privilégiés en avant-première internationale le nouvel album de Jean-Luc Fromental et Joëlle Jolivet, dans la lignée des 365 pingouins…, mais aura aussi le pop-up Oh ! mon chapeau d’Anouck Boisrobert et Louis Rigaud et Serafina la girafe de Laurent de Brunhoff. Thierry Magnier fera découvrir la jeune illustratrice Fanny Ducassé et son album De la tarte au citron, du thé et des étoiles. La Martinière Jeunesse, à côté de Mes petites peurs de Christine Roussey et Jo Witek pour les petits, défend ses documentaires, Constellations, Animaux super héros et L’atlas des grands curieux. Le Rouergue apportera Monsieur Hulot sur la plage de David Merveille, Louison Mignon cherche son chiot d’Alex Cousseau et Charles Dutertre, Les mous de Delphine Durand, un album très drôle… Outre Madame Cocotte d’Edouard Manceau pour les petits, le Seuil portera ses efforts sur C’est chic ! de Marie Dorléans, Ernest, maître du monde d’André Bouchard et C’est mon croncron de Lionel Le Néouanic. Entre autres.

Le groupe Bayard, toujours, a développé un nouveau concept avec Milan , "Un jour, une actu", composé d’un site, de 200 vidéos et d’un journal avec infographies et poster.

"Les documentaires d’Actes Sud Junior ont un ton décalé, de belles illustrations : il y a de quoi en tirer partie", soutient Johanna Brock-Lacassin, responsable des droits d’Actes Sud. Pourquoi ne pas imaginer des programmes courts, des mini-séries, des pastilles d’une ou deux minutes autour d’un titre comme Le livre qui explique enfin tout sur les parents de Françoize Boucher (Nathan), le Larousse des records et le Larousse des inventions, Contes extraordinaires d’ici et d’ailleurs ou la série Même pas peur… ! (Larousse), la nouvelle série de Marion Billet Paco pour apprendre la musique (Gallimard Jeunesse), "Les petits chaussons" par Julia Chausson, des comptines du patrimoine dont la fin a été revisitée (Rue du Monde), ou la nouvelle collection de Thierry Dedieu, "Bon pour les bébés", pour donner aux tout-petits le goût des mots et des mathématiques (Seuil Jeunesse) ? Face à la richesse de la production française sur les stands de la Foire de Bologne, on se prend à rêver.

Numérique jeunesse : état des lieux

 

La crise économique a refroidi l’enthousiasme pour le numérique des éditeurs de jeunesse, qui peinent à trouver un modèle économique.

 

"Il est difficile d’imposer une marque et d’habituer les gens à aller voir les nouvelles applications de cette marque dans l’App Store ou dans iTunes."Albin Quéru,Quelle histoire- Photo OLIVIER DION

Tous les acteurs du livre vont-ils investir sur le numérique pour que les enfants de demain retrouvent la qualité de la littérature pour la jeunesse d’aujourd’hui sur un support qu’ils auront obligatoirement ?" s’est interrogée Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil lors du colloque du Crilj sur "50 ans de littérature pour la jeunesse". La question est d’importance. Alors que les éditeurs pour la jeunesse se sont immergés dans le numérique avec entrain dans les années 2010-2012, les investissements marquent le pas depuis 2013 et la Foire du livre de jeunesse de Bologne n’y consacre plus qu’une master class. La crise économique est passée par là. Les éditeurs sont désormais frileux et hésitent à se lancer dans une production qui reste très coûteuse.

"Nous proposerons des abonnements au public parce que le paiement à l’acte ne fonctionne pas."Françoise Prêtre, La Souris qui raconte- Photo OLIVIER DION

Le bilan n’est pas négatif et les éditeurs louent l’interactivité et la richesse de la lecture numérique, "à la conception plus participative et plus collective", comme l’a souligné Sylvie Vassallo. Comme en littérature pour adultes, les romans pour la jeunesse sont désormais publiés simultanément dans les deux formats. Nombre d’éditeurs ont développé des applications comme Nathan, Gallimard Jeunesse (4 "Premières découvertes", 4 contes avec Noisy Crow), Naïve ou Usborne ont leurs applications, tandis que d’autres tels que Albin Michel ont adopté une stratégie "tout ePub" (voir encadré ci-contre). Des maisons uniquement numériques sont aussi apparues comme Quelle histoire éditions (30 applications sur des personnages historiques), e-Toiles, La Souris qui raconte, L’Apprimerie et les Editions volumiques.

Evolution perpétuelle

Mais les obstacles se dressent sur la route du numérique. Les technologies changent à la vitesse de l’éclair, comme les supports de lecture. Les réglementations sont difficiles à suivre et l’annonce que l’abonnement illimité, tel qu’il est pratiqué par les majors d’Internet, serait illégal a encore entamé les ardeurs. "Les évolutions technologiques, les plateformes changent tous les dix mois et nous devons adapter nos applications en permanence. Sans parler du référencement par Apple ou Amazon. Il est difficile d’imposer une marque et d’habituer les gens à aller voir les nouvelles applications de cette marque dans l’App Store ou dans iTunes", raconte le graphiste Albin Quéru, 27 ans, cofondateur de la start-up Quelle histoire. "Les applications et autres propositions de qualité se retrouvent noyées dans une production à la qualité discutable des grands acteurs mondiaux", renchérit Françoise Prêtre, fondatrice du site La Souris qui raconte, qui propose des histoires inédites. "Les tablettes et certains ordinateurs n’ont plus de lecteur CD, il faut pouvoir jouer directement sur le Net", précise Sophie Giraud, directrice d’Hélium, qui sort une nouvelle édition de Tip tap, mon imagier interactif d’Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, accompagné d’un site. Nathan a testé les flashcodes pour Comprendre comment ça marche… : la vie connectée, renvoyant à de petits films vidéo de Joël de Rosnay (en partenariat avec la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette). L’éditeur a aussi commercialisé la version numérique de Divergente, sur une carte vendue en librairie.

Mais le modèle économique n’est pas encore trouvé. "Le marché n’est pas mûr. Les gens ne savent pas encore ce qu’est le livre numérique, et par conséquent n’en achètent pas", souligne le consultant Terence Mosca, éditeur de la TotamBox. "Il faut aussi compter avec les habitudes des utilisateurs. Les gens n’aiment pas payer pour le Net et s’attendent à ce que tout soit gratuit", explique Albin Quéru, qui a vendu sa première application sur Napoléon à 5 000 exemplaires depuis 2011 et en a écoulé… 100 000 en téléchargement gratuit.

Innover pour survivre

"Les pure players disparaissent les uns après les autres. On leur demande d’investir dans un marché qu’on est en train de tuer, pronostique Terence Mosca. Il faut être dynamique à la fois dans l’offre et dans le modèle économique." Alors les éditeurs expérimentent. Terence Mosca s’apprête à lancer la TotamBox (des histoires sur abonnement) pour tablettes Kurio, commercialisées par Gulli et Fnac Kids. "Nous jouons notre dernière carte. Nous lançons une campagne de crowdfunding en avril pour sortir à la rentrée une collection d’applications pour smartphones pour les apprentis lecteurs de 6-7 ans, qui fonctionnent comme un jeu, pas chères (0,99 euro ou 1,99 euro), parce que nous sommes partis du principe que les parents passent leur téléphone aux enfants pour les occuper", annonce Claire Gervaise, fondatrice des éditions e-Toiles. Parallèlement, elle lancera en avril un format ePub, Le lapin bricoleur, illustré par Stéphane Kiehl et Michäel Leblond, aidé par le CNL et le SLPJ. "Pour l’instant, les abonnements des bibliothèques me sauvent. Nous sommes en train de refondre notre site et nous changeons de formule. Nous proposerons des abonnements au public parce que le paiement à l’acte ne fonctionne pas", déclare Françoise Prêtre.

Preuve de ces difficultés, Quelle histoire s’est mis à publier des livres papier en 2013. Ce mois-ci, il élargit aussi son offre avec des ebooks tirés des livres papier de son catalogue, moins interactifs que ses applications mais dans un format adapté aux tablettes, vendus 2,99 euros sur l’eBook Store. "Le côté créatif du numérique est génial, mais on n’a pas encore trouvé toutes les clés du business", conclut Albin Quéru.

Anouck et Louis, maîtres du pop-up

 

Auteurs de pop-ups chez Hélium, le très jeune duo a développé un savoir-faire et une griffe qui n’appartiennent qu’à eux.

 

Louis Rigaud et Anouck Boisrobert.- Photo DR

Nous recherchons avant tout la simplicité, pour le graphisme comme pour le mécanisme. Nous voulons être dans l’efficacité." Tel est le credo d’Anouck Boisrobert et de Louis Rigaud, un duo de choc et de 29 ans (chacun). En cinq livres, tous publiés par Hélium et vendus aux éditeurs du monde entier, ils se sont imposés dans le petit monde du pop-up. A n’en pas douter, leur petit dernier, Oh ! Mon chapeau, paru en novembre 2014, sera l’attraction à Bologne.

Oh ! Mon chapeau, album pop-up paru chez Hélium.

L’aventure a commencé par un projet d’étudiant à l’école des Arts décoratifs de Strasbourg en 2007, et qui a donné Popville, publié en 2009 par Sophie Giraud chez Hélium. "Laurent Seys, intervenu à l’école pendant une semaine pour nous apprendre les techniques de base, nous a donné le virus", raconte Louis Rigaud.

"Un pop-up ne doit pas être gratuit, ni démonstratif", déclare ce dernier. "L’idée doit être portée par la technique", confirme Anouck Boisrobert. Ainsi Popville s’appuie sur "une idée toute simple au départ, celle d’un jeu de construction fait de cubes qu’on empile" et raconte aux enfants, qui la voient grandir de page en page, comment se construit une ville. Le deuxième, Dans la forêt du paresseux, reprend le système à l’envers et explique la déforestation. "Le texte est venu ensuite parce que nous voulions que le lecteur passe plus de temps sur les images ; nous avons ajouté le paresseux", commentent-ils. Si Océano est plus illustré et davantage destiné au grand public, la technique en est "plus spectaculaire". "Avec Oh ! Mon chapeau, on a voulu revenir à quelque chose de basique. Nous n’étions pas partis pour faire un pop-up, mais nous avons trouvé une nouvelle astuce. Nous voulions aussi raconter une histoire et il nous fallait davantage de pages", explique Anouck Boisrobert. Entre-temps est né Tip tap, qui fut d’abord un imagier et qui est en train de devenir un univers à lui tout seul avec un jeu interactif et des cahiers d’activités.

Le pop-up est un moyen de travailler ensemble, "de se retrouver sur un projet", alors que chacun mène ses activités indépendamment de l’autre. Anouck Boisrobert est illustratrice, notamment pour la presse ; Louis Rigaud développe des jeux vidéo, des films d’animation et des applications. Chaque pop-up apporte son lot de maquettes qui envahissent l’appartement, de bandes collées, d’essais de pliages. "L’ingénieur papier nous a maudits mais il nous a aidés. Nous n’avions pas tout le savoir-faire. Parfois le pop-up ne se dépliait pas dans le bon sens", raconte Louis. Il se charge des maquettes et des tests, "recommence quand ça ne marche pas" puis retrace les plans sur l’ordinateur. "C’est très technique. Il faut dessiner les traits de coupe, les traits de pli, et rédiger les consignes pour expliquer le montage", souligne-t-il. Ils travaillent à l’échelle du livre, car "le papier ne réagit pas de la même façon selon l’échelle". Mais ils ont parfois le sentiment "de se réfugier dans le pop-up pour ne pas se confronter aux vrais challenges" et de perdre de vue leur premier métier.

Leurs influences sont très graphiques. Anouck cite Kveta Pakovska, Katsumi Komagata, Bruno Munari, Enzo Mari, tandis que Louis se dit marqué par sa première console Nintendo à l’âge de 7 ans et le jeu Castlevania : "Le bonhomme était en pixels, dix pixels sur dix, et le méchant était une boule qui balayait tout sur son passage. La technique était sommaire mais laissait la place à l’interprétation et à l’imagination", se souvient-il.

La visite de Laurent Seys aux Arts décos de Strasbourg a suscité d’autres vocations. Dans la même promotion qu’Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, Iris de Véricourt a réalisé Carnaval animal pour Hélium, et Vincent Godeau Avec quelques briques pour L’Agrume. Les pionniers d’une école française du pop-up ?

Le règne de "La reine des neiges"

La reine des neiges, le plus gros succès de l’histoire du dessin animé, signé Disney (sorti sur les écrans français pour Noël 2013), a été un véritable raz-de-marée dans les librairies en 2014. Treize des 18 titres publiés par Disney Hachette édition figurent dans la liste, représentant toute la gamme publiée autour du film, du titre publié dans "Les grands classiques", à 8,90 euros, à l’album de stickers, à 5,90 euros. Le phénomène devrait se poursuivre en 2015 car l’éditeur annonce 12 nouveautés entre janvier et mai (sans compter les titres en "Bibliothèque rose" chez Hachette Jeunesse et les cahiers de vacances).

L’autre phénomène de l’année est Minecraft. Ces livres, tirés d’un jeu vidéo du même nom bien connu des jeunes, connaissent aussi un grand succès dans le monde entier et l’on retrouve sur la liste les quatre titres publiés par Gallimard Jeunesse en 2014.

Les deux héros, Loup d’Oriane Lallemand et Eléonore Thuillier, né en 2009 (8 titres, Auzou), et T’choupi, imaginé par Thierry Courtin en 1997 (7 titres, Nathan), résistent bien, fortement ancrés dans la culture des tout-petits, tandis que Violetta reste un phénomène important en librairie (5 titres). Coqueluche des 8-12 ans, Violetta est l’héroïne d’une série télévisée, qui raconte les aventures d’une jeune fille venue en Argentine apprendre le chant et la danse après le décès de sa mère. Comme La reine des neiges, Violetta est accompagné de nombreux produits dérivés, sans oublier un tour de chant de l’actrice Martina Stoessel qui incarne le personnage.


Les dernières
actualités