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Dossier Lectures d’été: sous le soleil exactement

Olivier Dion

Dossier Lectures d’été: sous le soleil exactement

La vogue du feel-good book et du roman féminin contemporain renforce le phénomène des lectures d’été, incitant les éditeurs de grand format à rejoindre ceux de poche dans une proposition éditoriale adaptée à une saison où le livre touche plus largement le public.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 10.06.2016 à 02h30 ,
Mis à jour le 10.06.2016 à 10h41

Chaque année à l’approche de l’été, fleurissent sur les tables des librairies et les linéaires des supermarchés des livres aux couvertures pimpantes et aux thèmes légers. Romances sentimentales, policiers décoiffants ou glaçants, comédies légères aux titres à rallonge… ces lectures dites estivales se côtoient pour séduire un public réputé plus friand de lecture en été qu’à n’importe quelle autre saison. "L’été, on touche tous les lecteurs, des plus gros aux plus occasionnels. Ceux qui ne lisent qu’un livre dans l’année le font à cette période-là", observe Sylvie Navellou, directrice marketing au Livre de poche.

"L’été, on touche tous les lecteurs, des plus gros aux plus occasionnels. Ceux qui ne lisent qu’un livre dans l’année le font à cette période-là." Sylvie Navellou, Le Livre de poche- Photo OLIVIER DION

Programme musclé

Favorisés par le format de leur production, propice aux vacances et aux voyages, les éditeurs de poches se sont installés de longue date sur ce marché des lectures d’été, multipliant, selon un rituel désormais bien établi et une mécanique parfaitement huilée, opérations commerciales et partenariats avec des grandes enseignes ou des libraires indépendants. Mais, depuis plusieurs années, de plus en plus d’éditeurs de grand format et de maisons de littérature générale s’intéressent au phénomène. "Nous sommes un certain nombre à avoir bien compris qu’un peu plus de gens lisent à cette époque de l’année", pointe Nicolas Watrin, directeur marketing littérature, poche et sciences humaines chez Flammarion. "C’est effectivement la période où le nombre de points de vente est démultiplié et où la notion de grand public offre son acception la plus large", précise Sylvie Navellou.

"Le phénomène des lectures d’été a véritablement commencé avec Marc Levy et Guillaume Musso. Depuis, il ne cesse de prendre de l’ampleur." Valérie Miguel-Kraak, Univers Poche- Photo OLIVIER DION

Pour répondre à ce public élargi, qui dispose aussi de davantage de temps, les éditeurs de grands formats musclent leur programme de parutions printanières, espérant que les libraires les portent pour en faire les lectures de l’été. Ils misent sur des auteurs bien établis, qui n’ont pas besoin, pour se vendre, de la prescription de la presse, déjà mobilisée par la rentrée littéraire.

Habitué des rentrées de janvier ou de septembre, David Foenkinos (Le mystère Henri Pick, Gallimard) a ainsi été programmé cette année en mai. En 2015, Fleuve éditions a avancé d’octobre à juin la nouveauté de l’auteur de romans policiers Franck Thilliez. La stratégie, "couronnée de succès", assure Valérie Miguel-Kraak, directrice éditoriale de la marque d’Univers Poche, a été reconduite en 2016, "d’autant que le sujet, un portrait de femme, colle parfaitement à l’ambiance estivale", plaide l’éditrice. Rêver a donc été lancé en librairie dès le 26 mai. Revers de la médaille, il se trouve en rivalité avec une série de poids lourds dont les sorties se sont échelonnées tout au long de ce mois, au risque de provoquer un certain encombrement. Mais "le succès appelle le succès, rappelle Valérie Miguel-Kraak. Le phénomène des lectures d’été a véritablement commencé avec Marc Levy et Guillaume Musso. Depuis, il ne cesse de prendre de l’ampleur." Désormais coutimiers des sorties printanières, Michel Bussi (Le temps est assassin, Presses de la Cité) et Jean-Christophe Grangé (Congo requiem, Albin Michel) ont ouvert le bal. Ils ont été suivis par Didier van Cauwelaert (On dirait nous, Albin Michel), Camilla Läckberg (Le dompteur de lions, Actes Sud) et Giacometti/Ravenne (L’empire du Graal, Lattès). Avec Le coma des mortels (Albin Michel), Maxime Chattam clôt la marche le 1er juin.

Hélène Fiamma salue cette abondance. "Auparavant, le mois de mai était relativement sinistré pour la littérature, les éditeurs et les journalistes ayant déjà le regard tourné vers la rentrée littéraire, analyse la directrice de Payot & Rivages. Mais c’était oublier qu’en librairie se vendaient les livres du printemps et que les libraires les tenaient tout l’été. Aujourd’hui, en publiant des nouveautés fortes à cette période de l’année, on revient finalement à une temporalité de librairie." Elle-même adopte une stratégie à rebours de la politique du grand auteur. Parce que son catalogue de littérature, française notamment, reste encore en construction, elle préfère parier sur "des livres d’une certaine facture et d’une grande tenue littéraire, avec un pouvoir narratif particulièrement prenant. Les gens n’ont pas forcément envie de lire du roman de plage", estime l’éditrice qui, pour défendre les couleurs de Rivages pendant l’été, a choisi le troisième roman d’Olivier Sebban, Sécessions, et Les petites consolations du primo-romancier américain Eddie Joyce, tous deux publiés le 4 mai.

Coller à l’ambiance estivale

Dans le même office, les libraires ont trouvé, chez Autrement, Bons baisers de Mesménie, un premier roman écrit par une chercheuse dans le domaine médical, Fabienne Betting. La directrice de la maison, Emmanuelle Vial, a moins obéi à une stratégie éditoriale estivale qu’à un certain "bon sens" et à son "expérience de lectrice" : "Avec Raphaëlle Liebaert, ma responsable éditoriale littérature, nous nous sommes demandé à quel moment nous serions enchantées de tomber sur un tel roman, intelligent, bourré d’humour et remarquablement écrit, explique-t-elle. La réponse s’est imposée : juste avant les vacances, parce qu’on est las et qu’on en a marre de la vie quotidienne et du travail en général."

"Nous restons très sélectifs et veillons particulièrement à la qualité du texte. Il est très difficile de fabriquer du bon grand public." Nicolas Watrin, Flammarion- Photo OLIVIER DION

Intégrer au catalogue des romans plus légers, qui favorisent l’intrigue et les personnages, un traitement humoristique ou des thématiques censées coller à l’ambiance estivale, constitue l’autre stratégie des maisons pour s’inviter dans le ballet des lectures de l’été. Editeur de beaux livres, de littérature et de polars, Le Passage réserve traditionnellement l’été à Michèle Kahn, auteure de romans historiques "à l’intrigue forte et au souffle romanesque", précise Yann Briand, directeur littéraire. Avec Une île bien tranquille (Pascale Dietrich, 2 mai), Liana Levi a fait le choix cette année de l’humour et de l’irrespect teintés d’un zeste de noirceur, le tout implanté sur une île bretonne, alors que Flammarion promet l’évasion et le dépaysement en compagnie d’Isabelle Artus et de La petite boutique japonaise, sous-titré Aventures et mésaventures de la geisha de Melun. "Si les ventes se concentrent sur les poids lourds, l’été reste aussi la période des découvertes, rappelle Nicolas Watrin. Mais comme nous avons besoin de convaincre les libraires pour bénéficier de leur capacité de prescription, nous restons très sélectifs et veillons particulièrement à la qualité du texte. Il est très difficile de fabriquer du bon grand public."

La directrice de Denoël, Béatrice Duval, a, elle, carrément opté pour la contre-programmation en publiant, le 2 mai, Joyeux suicide et bonne année !, premier roman de l’auteure de BD Sophie de Villenoisy, cynique et décalé, et dont l’action se situe à la période de Noël. Pour nourrir son programme estival, l’éditrice s’appuie également sur la tendance des feel-good books (1), "un phénomène qui se superpose directement aux lectures d’été", relève-t-elle. Alors qu’elle avait publié en janvier 2015 La bibliothèque des cœurs cabossés, pour lequel elle "n’imaginait pas un instant un tel succès", elle a placé en mai de cette année le second texte de Katarina Bivald, Le jour où Anita envoya tout balader. Sur le même modèle et forte du succès de La dernière conquête du major Pettigrew, paru en 2013, Maggie Doyle, directrice littéraire étranger de Robert Laffont, a envoyé le 19 mai le second texte d’Helen Simonson, L’été avant la guerre, à la conquête des lecteurs.

Déconnexion

Figurant parmi les pionniers sur ce terrain avec Agnès Martin-Lugand, dont le quatrième livre a paru en avril et devrait permettre à la maison "de monter encore une marche", espère Elsa Lafon, directrice éditoriale, Michel Lafon creuse aussi le sillon avec Aurélie Valognes (Nos adorables belles-filles, 4 mai), l’écrivain italien Fabio Volo (Ainsi va la vie, 19 mai) et l’Américaine Hannah Kristin (Le chant du rossignol, 7 avril). "Les thématiques porteuses d’évasion, qui permettent de se déconnecter de son quotidien et qui offrent une atmosphère lumineuse, enregistrent toujours de bonnes ventes", indique Elsa Lafon.

C’est d’ailleurs parce que l’été permet cette déconnexion que Jouvence, spécialisé en développement personnel et bien-être, a choisi cette période pour lancer son premier roman. Sur les rayonnages le 7 juin, Celle qui écrivait des poèmes au sommet des montagnes de Nicolas Fougerousse propose "une réflexion sur le pardon et l’amour inconditionnel idéale à lire en vacances, un moment particulièrement propice pour accueillir le changement", considère Charlène Guinoiseau-Ferré, responsable éditoriale de la maison suisse. Coup de cœur de l’équipe, ce roman pourrait, si l’accueil qui lui est réservé est bon, incarner une nouvelle ligne éditoriale chez Jouvence.

Reste toutefois à rendre cette production visible. A l’image de Flammarion, beaucoup d’éditeurs jouent la carte de la prescription et envoient nombre d’épreuves aux libraires. Plus discrets que chez leurs confrères du poche, les dispositifs commerciaux maniés par les éditeurs de grands formats utilisent toutefois des mécaniques similaires : campagnes d’affichages et partenariats avec la presse, jeux concours impliquant lecteurs et libraires et opérations webmarketing. Outre l’envoi aux libraires de cartes postales et de boîtes à thé à l’effigie de L’été avant la guerre, Maggie Doyle emmène une blogueuse et une youtubeuse rencontrer Helen Simonson à Londres. Pour porter La petite boutique japonaise, Nicolas Watrin a notamment organisé une rencontre avec le site communautaire Babelio doublée d’un jeu concours en partenariat avec Livres Hebdo. Plus original, il offre également, jusqu’au 31 août, à toute lectrice qui acceptera de verser un euro supplémentaire pour l’achat du livre de Cassandra O’Donnell, publiée pour la première fois en grand format chez Pygmalion, un soin en institut, censé prolonger, ou anticiper, les bienfaits de l’été.

(1) Voir notre dossier consacré aux feel-good books, "Quand la fiction réconforte", LH 1078, du 25.3.2016, p. 52-65.

Les poches sont de sortie

 

Acteurs historiques du marché des lectures de l’été, les éditeurs de livres de poche rivalisent d’imagination pour renouveler, au plus près du public, leurs opérations promotionnelles, et consolider leurs positions.

 

Photo OLIVIER DION

L’été reste incontestablement la saison du poche. Plébiscité par le public estival pour sa praticité et son coût modeste, il s’épanouit sur les tables et les présentoirs de tous les points de vente du livre, des hypermarchés à la librairie indépendante. A tel point que pour les éditeurs, cette période représente l’un des deux temps forts de l’année, talonnant de très près les ventes de Noël. Le Livre de poche y réalise entre 25 et 30 % de son chiffre d’affaires global. Points annonce 1,6 million de volumes vendus entre juillet et août, et Pocket, leader du secteur avec 20,9 % de part de marché, accroît ce poids de trois points pendant l’été grâce à "un catalogue particulièrement propice à cette saison", se félicite Carine Fannius, directrice éditoriale du pôle poche d’Univers Poche.

"Nous avons à cœur de proposer plusieurs types de livres, la diversité est extrêmement importante pendant l’été." Catherine Lauprêtre, Points- Photo OLIVIER DION

Cruciale dans la vie d’une maison de poche, la saison estivale est préparée très soigneusement par les éditeurs, tant sur le plan commercial, où ils ont engrangé un savoir-faire reconnu, qu’éditorial. "Nous avons à cœur de proposer plusieurs types de livres, la diversité est extrêmement importante pendant l’été", souligne Catherine Lauprêtre, directrice marketing de Points. Plutôt que le nombre, les programmes de parutions cultivent la variété des genres et des auteurs, et marient best-sellers attendus et paris sur des romans restés plus confidentiels en grand format mais "dont la sortie en poche peut provoquer la démultiplication des ventes", indique Sylvie Navellou, directrice marketing et communication au Livre de poche. "Il est important d’avoir des titres forts, mais il ne faut pas oublier que l’été constitue aussi la période la plus favorable pour saisir des opportunités de découverte, l’investissement en poche étant moins coûteux", observe Carine Fannius.

S’appuyer sur le feel-good book

Pour nourrir cet appétit de découvertes, les éditeurs s’appuient, comme leurs confrères en grand format, sur la vogue du "feel-good book". J’ai lu joue sur cette envie de se faire du bien pour renouveler sa campagne promotionnelle de l’été. S’inspirant de La bibliothèque des cœurs cabossés de Katarina Bivald, commercialisé chez J’ai lu le mois dernier, Stéphanie Vincendeau, directrice éditoriale de la filiale poche de Flammarion, et Florence Salvador, sa responsable marketing, ont concocté un "Guide de lecture Bibliothérapie". "Ce livre nous offrait une double opportunité : il est dans l’air du temps et il fait aimer les livres. Nous en avons donc profité pour innover en thématisant notre offre de l’été", explique Stéphanie Vincendeau. Réalisé en partenariat avec Psychologies magazine, le livret propose un test fait de dix questions permettant de déterminer cinq désirs de lecture. A chaque profil correspond une bibliographie de cinq titres. Test et sélection se retrouvent également sur le site du magazine et sur Bibliotherapie-jailu.com, un site créé pour l’opération et qui propose en outre des verbatim de libraires.

"Se réinventer tout en adoptant la même mécanique constitue l’un des principaux enjeux des opérations de l’été", juge Véronique Cardi, directrice du Livre de poche qui édite également un guide sélectif de 32 pages baptisé "J’ai plus d’un tour du monde dans ma poche". Au-delà des traditionnels gratuits et autres primes plus ou moins originales, les éditeurs, comme les libraires, sortent désormais de leurs murs et cherchent à travailler plus étroitement avec ces derniers. Pour la troisième année, la filiale poche d’Hachette lance sur les routes son Camion qui livre. Dès le 3 juillet et pendant six semaines, il s’arrêtera sur 14 plages de France pour "aller au-devant du grand public là où il se trouve et faire de ces lectures d’été un temps festif", indique Sylvie Navellou. Toujours rempli par les libraires locaux partenaires, le Camion qui livre voit en outre son offre d’animations renforcée par une association avec le Labo des histoires, qui organisera à chaque étape un atelier d’écriture.

Dans la roue du Livre de poche, Folio a créé l’année dernière la tournée Folio sur mer. Un triporteur, rempli de poches sélectionnés là aussi par des libraires locaux, accompagne les lecteurs sur leurs lieux de vacances. Cette année, le vélo démarrera sa tournée le 29 juin à La Garenne-Colombes, où Nathalie Iris, propriétaire de Mots en marge, organise une "Nuit blanche des livres". Il passera ensuite par la librairie du BHV, à Paris, puis chez Laurence Daveau, qui dirige la librairie Les Passeurs de mots, à Sarzeau, cité balnéaire du golfe du Morbihan, avant de suivre le festival Nocturnes littéraires dans le Morbihan et sur la Côte d’Azur.


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