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Dossier Nature et jardinage: le bonheur est dans le pré

Olivier Dion

Dossier Nature et jardinage: le bonheur est dans le pré

Stimulés par l’engouement pour le bien-être et l’alimentation saine, les éditeurs parient sur les bienfaits psychologiques et physiologiques de la nature et du jardin pour dynamiser un marché qui a progressé en 2015 de manière contrastée.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 04.03.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 04.03.2016 à 08h37

Le marché des livres de nature et de jardinage aurait-il retrouvé des couleurs ? Après trois années de baisse consécutives, les ventes en valeur auraient progressé de 3,1 % en 2015 selon GFK. Toutefois, selon les éditeurs, la situation est bien plus contrastée. Le dynamisme du marché a en effet davantage profité au secteur nature, et plus particulièrement aux livres d’écologie, portés par une actualité riche en 2015, qu’au jardin, où les ventes sont restées atones. Et si, pour Philippe J. Dubois, directeur de Delachaux et Niestlé, les ventes des nouveautés ont effectivement "cessé de chuter, le fonds continue de s’éroder, lentement mais sûrement".

"Un retournement de catalogue nous a permis de surperformer en 2015 sur le jardin avec une croissance de 14 %."Elisabeth Pegeon, Rustica- Photo OLIVIER DION

 

Bien-être au jardin

Dans ces conditions, les éditeurs sont contraints de se réinventer, toujours en quête de la formule qui attirera à nouveau dans les librairies les deux tiers des Français disposant d’un balcon ou d’un jardin, privé ou partagé. "Il nous faut comprendre les besoins des consommateurs, mais la clé d’entrée est difficile à trouver et le marché demeure en gestation", considère Elisabeth Darets, DG de Marabout, qui, cette année encore, a choisi de rester en retrait. Une gestation qui a toutefois abouti chez Rustica : "Un retournement de catalogue, désormais bien installé après trois années d’expérimentation, et qui nous a permis de surperformer en 2015 sur le jardin avec une croissance de 14 %", annonce Elisabeth Pegeon, directrice éditoriale de la maison. Outre la diversification vers des secteurs porteurs mais proches de l’univers Rustica, comme la cuisine, le bien-être et la jeunesse, elle a, au jardin, travaillé sur deux axes : la recherche de thématiques percutantes liées aux nouvelles pratiques, notamment au potager, et l’expérimentation de formes innovantes, plus adaptées au marché. "Aujourd’hui, le contenu ne peut plus se suffire, il faut offrir un angle, une vision ou service, comme la découverte, l’écologie, la transmission, la motivation économique ou l’envie de manger sain", soutient l’éditrice.

"C’est en privilégiant le haut de gamme, les bibles et les livres sommes que la maison reste rentable." Philippe J. Dubois, Delachaux & Niestlé- Photo OLIVIER DION

Si Elisabeth Pegeon a choisi l’angle de la facilité pour porter ses deux nouvelles collections, "Les petits ABC" et "C’est facile !", nées en février avec deux titres chacune et destinées au très grand public, l’ensemble des éditeurs privilégient l’approche bien-être, testée au jardin dès 2014 mais qui s’installe durablement cette année. Artémis propose aux consommateurs une nouvelle gamme pratique, "Bien dans son jardin", à paraître en mars et qui réunit des ouvrages prodiguant des conseils pour jardiner agréablement (Jardiner sans ampoules et sans lumbago) et des livres mettant en avant les bienfaits du jardin (Un jardin de plantes médicinales).

La tendance se révèle encore plus forte en nature, où les éditeurs jouent sans complexe la carte du bien-être physiologique et psychologique lié à la nature. Dès février, Delachaux et Niestlé a ouvert le bal avec Je fais du sport avec mon chien, un guide pour transformer la balade en une séance sportive commune. La maison suisse sera suivie en mai par Marabout qui, avec 365 Nature, propose une activité quotidienne pour renouer avec la nature, en ville ou à la campagne, un livre très proche d’Envie de bien-être dans la nature, édité par Plume de carotte en avril. Toujours en phase de renouvellement après une année "pas encore satisfaisante", la maison dirigée par Frédéric Lisak creuse le sillon en invitant, en mai, les lecteurs à créer des mandalas nature en compagnie de Marc Pouyet, auteur de plusieurs livres consacrés au land art chez Plume de carotte.

Bio et permaculture

Liée à l’envie de vivre dans un environnement naturel et de manger sain, la permaculture constitue l’autre phénomène phare du secteur. Système complexe d’agriculture écologique, elle se démocratise et donne naissance à des ouvrages de plus en plus pratiques. La permaculture pour tous de Sepp et Margit Brunner, édité en février au Rouergue, repose ainsi sur le témoignage de l’un des couples fondateurs de la méthode en Allemagne et présente "une dimension pédagogique forte", assure Nathalie Démoulin, directrice éditoriale de la filiale d’Actes Sud. Chez Rustica, Elisabeth Pegeon mise sur Découvrir la permaculture, petit manuel pratique pour commencer, un guide pour comprendre le système et le mettre à la portée de tous, également commercialisé en février. Persuadée que le système va s’installer durablement "parce qu’il donne les clés pour améliorer son environnement", l’éditrice a aussi parié sur les jardins oasis, une technique issue de la permaculture et détaillée dans Agroforesterie, sur les tables depuis la mi-février.

La tendance s’accentue depuis environ six mois selon Tigrane Hadengue, le gérant de Mama éditions, qui a publié début février Lebio grow book, référence en matière de culture biologique. Cet engouement pour le sain et le naturel donne naissance à de nouvelles thématiques. En mars, le Rouergue réédite, en changeant le titre, l’ouvrage de Wayne Lewis, Un sol vivant, un allié pour cultiver. Publié initialement en 2008, il est complété d’une préface de Lydia et Claude Bourguignon, spécialistes du sol en France. A la même période, Larousse programme trois livres sur le sujet, Jardiner sur sol vivant, Jardiner en terre argileuse et Jardiner en terrain sec. Toujours en mars, Plume de carotte choisit de faire l’Eloge de l’aridité, sous la plume de deux paysagistes, Arnaud Maurières et Eric Ossart et sous la forme d’un mooc revisité.

Conjuguant changement climatique et jardin contre la crise, Terre vivante expérimente au printemps, dans sa gamme "Facile & bio", Des salades toute l’année dans mon jardin et Mon potager de vivaces, publié en "Conseils d’expert". Le sujet est également traité par Ulmer avec Le potager perpétuel, de Philippe Collignon et Bernard Bureau, qui comporte en outre un aspect "de facilité, de laisser-faire, qui reste dans l’air du temps", souligne Antoine Isambert, directeur d’Ulmer. Autre sujet surveillé attentivement par les éditeurs, les microjardins et les terrariums, qui feront l’objet de publications chez Larousse, Marabout et Rustica.

Sortir des sentiers battus

Mais pour trouver la bonne équation, certains éditeurs n’hésitent pas à emprunter des modalités éditoriales différentes. Avec Renard à vélo (avril) et Tout le monde veut sauver la planète mais… qui descendra les poubelles ? (mars), qui convoque Lao-Tseu, Lavoisier ou La Fontaine pour s’occuper de la gestion des déchets, Rue de l’échiquier se tourne vers le roman graphique et la BD pour sensibiliser les plus jeunes à l’écologie. Un modèle de diversification qui est à l’étude dans d’autres maisons, mais qui n’a toutefois pas eu le succès escompté chez Plume de carotte. Mariant également dessinateurs de BD et nature, la collection "Carnets nature", lancée en 2015, n’aura pas de suite. "C’est l’exemple même de la fausse bonne idée, analyse Frédéric Lisak. Les livres sont beaux mais la niche est trop resserrée, et le marché quasi inexistant." En revanche, l’incursion vers la littérature testée en octobre grâce à Quand la nature inspire les écrivains s’est révélée plus prometteuse et devrait être déclinée sous forme d’une petite collection d’ici à la fin de l’année.

Piliers de l’édition de nature et jardinage, les guides généraux et d’identification connaissent aussi leur révolution. Leader du segment, le guide Truffaut a été entièrement retravaillé. "Pas une ligne ne survit des anciennes éditions", assure Catherine Delprat, directrice éditoriale de Larousse, qui a veillé à concevoir "un livre novateur dans sa forme. On y entre comme on navigue sur Internet, par modèles de jardins, qui nous permettent ensuite de décliner le mode d’emploi, les techniques et les espèces de plantes associés." Chez Belin, Catherine Allais, directrice éditoriale, parie également sur l’originalité des sujets et du traitement pour que ses guides se démarquent. "Petite flore de France n’est certes pas exhaustif, mais c’est le seul à donner clairement les étapes qui mènent à l’identification etnotre Guide des plus beaux papillons et leurs fleurs favorites accorde une importance inédite aux fleurs", précise l’éditrice. "Lorsque nous empruntons des sentiers moins fréquentés, nous trouvons le public. Mais c’est aussi en privilégiant le haut de gamme, les bibles et les livres sommes, que la maison reste rentable", affirme Philippe J. Dubois, qui conforte ses guides rouges d’identification et espère faire aboutir en 2016 celui sur les coléoptères, en gestation depuis six ans.

Nature et jardinage en chiffres

Olivier Blanche : "Une vision un peu plus consumériste"

 

Arrivé en août à la tête de Terre vivante, Olivier Blanche entend creuser le sillon des jardins urbains et des légumineuses.

 

Olivier Blanche.- Photo O. MAHDI

Olivier Blanche - Notre créneau, le jardin naturel et vivrier, est devenu la grande tendance du marché et touche un public de plus en plus large. Nous en bénéficions forcément, d’autant que notre marque a su s’installer dans le temps. Notre premier livre sur le jardin a été publié en 1982. Depuis, nous avons toujours veillé à la qualité de nos ouvrages, fondés pour la plupart sur les pratiques testées dans notre centre de formation et d’apprentissage de Mens, en Isère. Cette constance a généré chez les libraires de la confiance, et nous en récoltons aujourd’hui les fruits, sorte de prime au premier.

Je n’ai aucune raison de changer une équipe qui gagne, d’autant que je crois à un rebond du marché. Cette année, nous allons creuser le sillon de l’autonomie, des jardins urbains et des légumineuses, mises à l’honneur par l’Onu en 2016. Nous misons également sur le plan gouvernemental Ecophyto, qui vise à réduire progressivement l’utilisation des intrants phytosanitaires, pour dynamiser des titres du fonds. Nous testons aussi quelques sujets nouveaux, comme les vivaces au potager, et nous musclons notre diversification en mettant l’accent sur l’alimentation saine.

C’est à nous d’occuper le terrain avec la légitimité qui est la nôtre. Nos trois collections - "Facile & bio", "Conseils d’expert" et "Les guides" - sont désormais bien identifiées, mais nous avons encore besoin de capitaliser dessus. Dans le même temps, il nous faut trouver des éléments de différenciation pour continuer à fidéliser nos clients et en capter de nouveaux. J’aimerais notamment apporter ma pierre dans le jardin de la démocratisation du biologique en misant sur son coût, pas forcément plus élevé, un axe qui se conjugue parfaitement avec notre ADN : l’écologie pratique au quotidien accessible à tous. Cela signifie qu’à notre technicité nous allons ajouter une vision un peu plus consumériste. Mais la notion de réglage restera très fine et sur des thématiques qui s’y prêtent. Je ne veux pas devenir le Que choisir du jardin écologique.

Des idées pour se renouveler

 

En contact quotidien avec la clientèle, les libraires enregistrent une vive demande sur des segments encore peu ou pas exploités.

 

"En France, nous manquons d’ouvrages précis sur des jardins spécifiques, comme les jardins publics parisiens." Aurélien Delanoue, Librairie du jardin des Tuileries- Photo OLIVIER DION

Les libraires des rayons nature et jardins reconnaissent une diversification de l’offre éditoriale opérée depuis deux ou trois ans, notamment sur le potager, grâce à la démocratisation des nouvelles techniques biologiques. Cependant, de l’avis de ces professionnels, les éditeurs se font parfois moutonniers en se concentrant sur des sujets ultraexploités et en en délaissant d’autres qui mériteraient, vu la demande, d’être de nouveau explorés. "Il existe un effet de profusion sur certains sujets qui noie le reste de la production", constate Alain Renouf, fondateur de Lire au jardin à Tours. Conjugué à la difficulté des maisons à renouveler leurs approches, cet effet entraîne, selon Marie Sabourin, de la Librairie des Halles à Niort, la publication de "beaucoup de livres qui se ressemblent, qui ne donnent plus envie aux gens et qui finissent par les lasser et les détourner du rayon". Successeur de Françoise Simon à la Librairie du jardin des Tuileries, Aurélien Delanoue regrette également l’absence "de livres pointus et-ou originaux", et se voit contraint de recourir à l’édition anglo-saxonne pour satisfaire certaines demandes.

Au potager, les libraires pointent par exemple le manque "féroce" d’ouvrages sur la culture sous serre et sous abri. L’arrivée en mars de deux ouvrages sur le sujet, Cultiver sous serre et tunnel plastique chez Larousse et Cultiver ses légumes sous serre et autres abris publié par Ulmer dans sa collection "Je fais moi-même" et qui propose des techniques pour construire ses propres abris, devraient toutefois réparer cet oubli. Fondatrice de la librairie itinérante Les Chemins de traverse, qui rayonne de la région parisienne au Grand Ouest, Ariane Sentz note aussi l’absence d’ouvrages spécifiques sur les piments et les poivrons, ainsi que sur les techniques des maraîchers parisiens de la fin du XIXe siècle, qui reviennent au goût du jour depuis deux ans. Plus radicale que ses confrères, Véronique Gauduchon, directrice de La Bruyère vagabonde à Poitiers, a décidé de prendre la plume pour coécrire un Calendrier pratique des jardiniers (Métive) qu’elle ne trouvait pas dans ses rayonnages. "Ce genre d’ouvrage, certes un b.a.-ba mais ultraprécis et qui décrit mois après mois les travaux de saisons en incluant des pratiques naturelles, manque dans les poches des jardiniers et notamment des débutants", argumente la libraire.

Les professionnels peinent également à satisfaire leurs clients lorsqu’ils souhaitent des informations sur les plantations de bord de mer ou quand ils désirent des plans détaillés et des mises en situation pour aménager leur jardin. "Lorsqu’elle existe, l’offre est peu attrayante", déplore Ariane Sentz, qui pointe en outre la timidité de la production des livres dédiés à la décoration de jardins, une mode pourtant bien installée chez les Anglo-Saxons et portée en France par le mouvement du "faire-soi-même". Plus globalement, c’est tout le secteur des jardins d’ornement qui souffre d’une certaine pénurie. "En France, nous manquons d’ouvrages précis sur des jardins spécifiques, comme les jardins publics parisiens, cite en exemple Aurélien Delanoue. A contrario, les ouvrages offrant une vision générale font défaut sur certains pays étrangers, tels que l’Angleterre, l’Australie ou les Etats-Unis." L’exposition de L’Institut du monde arabe "Jardins d’Orient", qui se tiendra du 19 avril au 25 septembre, devrait toutefois ouvrir, pour cette partie du monde, de "belles perspectives", espère le libraire parisien.

Regorgeant d’idées, Aurélien Delanoue regrette aussi l’épuisement des livres de "grands paysagistes ou de grands noms de l’art floral". En dehors des roses, des orchidées et des ikebanas, les éditeurs s’aventurent peu sur les chemins des "azalées ou des rhododendrons, pourtant demandés", souligne le libraire, qui salue l’arrivée en avril de Pivoines (Ulmer), qui mêle botanique et histoire. Les flores de pays étrangers ou des Dom, tout comme les monographies par variétés de plantes, sont "trop souvent issues de traductions ou écrites par des journalistes, donc pas assez pointues pour les connaisseurs. Quoi qu’il en soit, l’offre est trop réduite", complète Ariane Sentz, consciente néanmoins que le public reste restreint pour ce genre de publication.

Meilleures ventes : écologie et permaculture au top

Evénement majeur de la fin 2015, la Cop 21 laisse son empreinte sur le classement GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes d’ouvrages de nature et de jardinage. Absents du palmarès en 2014, le climat et l’écologie y placent en 2015 pas moins de 13 titres, dont un dans le trio de tête. La puissance de la modération de Pierre Rabhi, publié le 15 octobre chez Hozhoni, s’intercale entre les deux valeurs sûres du palmarès, Jardinez avec la lune 2015 et Jardinez avec la lune 2016 chez Rustica. Véritable phare de l’agriculture écologique, dont il est l’un des pionniers en France, le fondateur du mouvement Colibris installe également en 6e position ses entretiens avec Jacques Caplat sur l’agroécologie, publiés chez Actes Sud. L’éditeur arlésien, reconnu dans ce domaine grâce à sa collection "Domaine du possible", place dans le classement quatre autres titres, dont Permaculture : guérir la Terre, nourrir les hommes de Perrine et Charles Hervé-Gruyer, paru en septembre 2014, qui gagne cette année 17 places pour se hisser au 17e rang.

Avec six références, la permaculture consolide en effet son statut de tendance lourde du marché et fait, en 2015, jeu égal avec les guides généralistes de jardin, véritables piliers du secteur. Séduits par cette approche systémique de l’agriculture écologique, les particuliers plébiscitent des livres pratiques censés les aider à l’introduire dans leur jardin. Juste devant le traité technique des éditions Terre vivante s’installe ainsi en 22e position l’ouvrage plus grand public d’Ulmer, La permaculture dans un petit jardin : créer un jardin autosuffisant, alors que le très accessible Permaculture, le guide pour bien débuter, chez Rustica, fait son entrée à la 34e place.


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