Avant-critique Romans

Edith Wharton, "Chroniques de New York" (Gallimard)

Edith Wharton, 1905. Illustration issue des Chroniques de New York d'Edith Wharton à paraître dans la collection Quarto, aux éditions Gallimard. - Photo © Anna Catherine Bahlmann Papers Relating to Edith Wharton, Yale Collection of American Literature, Beinecke Rare Book and Manuscript Library.

Edith Wharton, "Chroniques de New York" (Gallimard)

Rassemblés dans un « Quarto », les romans et récits les plus new-yorkais d'Edith Wharton croquent une société au bord du gouffre se raccrochant à des valeurs qui ne l'empêcheront pas de disparaître.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 24.05.2024 à 09h00

La fin de l'innocence. Edith Wharton fut la première femme à recevoir le prix Pulitzer de la fiction en 1921 pour L'âge de l'innocence. Portrait de la haute bourgeoisie new-yorkaise, ce roman dépeint le déclin d'un monde, celui des descendants aisés des premiers colons, face à l'émergence d'une ère nouvelle marquée par l'industrialisation galopante, où l'argent s'impose en valeur cardinale. Ce bouleversement, Edith Wharton en a été le témoin privilégié. Née en 1862 de parents issus de la haute société, elle grandit dans l'une des imposantes demeures en grès brun caractéristiques des beaux quartiers new-yorkais, théâtre de la cruauté d'un jeu social dominé par la conscience de classe et une morale rigide. Des conventions parmi lesquelles les personnages d'Edith Wharton se débattent et devant lesquelles ils capitulent souvent.

Quand la romancière fait paraître ses premiers romans, le réalisme américain se focalise sur la classe ouvrière plutôt que sur les frivolités de ces beaux quartiers, et Edith Wharton craint que ses écrits n'intéressent guère. Cependant, comme le fait remarquer Anne Ullmo, professeure de littérature américaine à l'université de Tours, dans la préface de ce recueil : « Elle sait aussi qu'en littérature, tout est question de regard, et le sien est précis, acéré, qui plonge dans le particulier pour en faire ressortir l'universel et transforme la plus mince des intrigues en réflexion sociale et politique. » Si les talents d'observatrice de l'écrivaine se déployaient dès ses premières nouvelles, ils transcendent les romans et récits choisis pour cet ouvrage. Subversives, ces Chroniques de New York mettent en lumière le grotesque d'une société craignant le scandale plus que la maladie, et l'effacement progressif de ses valeurs au profit de celles de l'« envahisseur », « le nouveau riche que l'on méprise, mais que l'on craint ». Dans La maison de liesse (1905), une orpheline ruinée cherche à faire un riche mariage. D'allure trop libre, elle voit les portes de la haute société se refermer une à une devant elle. Dans Les beaux mariages (1913), la sublime Ondine Spragg cherche à s'allier avec un homme de pouvoir, quitte à piétiner les prétendants malheureux. Dans les quatre récits composant Vieux New York (1924), Edith Wharton dépeint avec une ironie jubilatoire une société aveuglée par son arrogance. « Faites New York » l'avait un jour exhortée son ami l'écrivain Henry James, conscient de ses « dons remarquables d'ironie et de satire ». Un conseil qu'Edith Wharton a suivi pour le meilleur, tant ces Chroniques immortalisent avec force, panache et brio un monde s'évanouissant au profit du règne d'un capitalisme débridé, dont nous sommes les héritiers.

Edith Wharton
Chroniques de New York
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 35 € ; 1280 p.
ISBN: 9782072948770

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