Avant-critique Essai

Elsa Deck Marsault, "Faire justice" (La Fabrique Éditions)

Elsa Deck Marsault - Photo © DR/LA Fabrique

Elsa Deck Marsault, "Faire justice" (La Fabrique Éditions)

Pour Elsa Deck Marsault, se passer des institutions judiciaire et policière dans les communautés autonomes ou queers n'exclut pas de réfléchir en permanence aux écueils de la justice communautaire.

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Par Marie Fouquet
Créé le 13.09.2023 à 14h00

Reconstruire sans punir. La justice transformatrice, ou communautaire, est une manière de s'organiser sans générer les violences systémiques des institutions judiciaire et policière. À la fois sources de récidives et machines oppressives et punitives, ces violences ne laissent aucune chance à la reconstruction ni à la réparation et peuvent au contraire attiser la haine et la violence des condamnés. Comment agir donc, sans faire appel à la police, lorsqu'au sein d'une communauté surgissent des situations de harcèlements, de dénonciations, d'abus ou d'agressions ?

Dans son essai Faire justice, Elsa Deck Marsault mène une réflexion précise et nourrie d'expériences vécues ou rencontrées dans le cadre de suivis de communautés faisant appelle au collectif qu'elle a cofondé, Fracas, pour prendre en charge des conflits et des violences intracommunautaires. « En tant que gouine, mes communautés m'ont sauvé la vie à plusieurs reprises. C'est dans ces milieux que j'ai vécu les plus belles initiatives en matière de justice sociale et de soulèvements collectifs. »

Mais dans leur façon de vouloir « faire justice » dans certaines situations, les modes de vie alternatifs peuvent eux-mêmes générer de la violence. Des exclusions qui parfois conduisent au suicide, des cas de harcèlement collectif, voire d'agressions... Les enfants d'un système carcéral et punitif, même s'ils le condamnent, peuvent facilement rejouer les mécanismes de ce système. « Plus une personne est isolée ou marginalisée, plus le seuil de tolérance du groupe à son égard semble avoir tendance à baisser », rappelle Elsa Deck Marsault. Si bien que certaines décisions « collectives » sur certains cas individuels peuvent être destructrices. Ce texte vise à remettre en question certains comportements et pratiques adoptés dans une communauté et invite à « mettre sur la table nos dysfonctionnements collectifs et nous donner une chance de faire mieux, de reconstruire de nouveaux fondements ». Faire justice pourrait aussi bien s'adresser aux strates institutionnelles, si celles-ci en étaient à l'entendre.

Elsa Deck Marsault propose des pistes « pour une justice transformatrice » - initiative abolitionniste née aux États-Unis dans les années 1990 - et développe des méthodes à partir de ses récits d'expériences. Elle parle par exemple du groupe Psy psy sur le plateau des Millevaches, qui accompagne et soutient des personnes en souffrances psychiques en assurant au besoin un lien avec des professionnels (psychologues, psychiatres, infirmiers...). Or ces communautés sont bien souvent méconnues et mal perçues par la doxa. D'où la crainte de l'autrice des risques de récupération « par des personnes ou groupes sociaux cherchant à justifier des comportements violents ou oppressifs ». Mais sa lutte et celle de son collectif Fracas comme celles d'associations comme Psy psy, tendent précisément à donner à ces communautés des outils et des moyens de faire perdurer leur idéal originel de justice et d'égalité.

Elsa Deck Marsault
Faire justice : moralisme progressiste et pratiques punitives dans la lutte contre les violences sexistes
la Fabrique
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 13 € ; 170 p.
ISBN: 9782358722636

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