« Je m’appelle Samuel, j’ai dix ans et j’ai un problème. » C’est par ces mots que débute l’histoire de Samuel, le jeune héros imaginé par Émilie Tronche, inspiré de ses souvenirs d’enfance. Né d’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux en 2020, la mini-série animée produite par Les Valseurs et diffusée sur Arte.tv, rencontre un immense succès, cumulant à ce jour plus de 45 millions de vues. À bientôt 29 ans, l’autrice, passée par l’École des métiers du cinéma d’animation d’Angoulême, revient avec Le journal de Samuel, une adaptation papier de la mini-série, à paraître le 21 mai chez Arte éditions et Casterman.
Livres Hebdo : Comment ce projet éditorial a-t-il vu le jour ?
Émilie Tronche : J'ai rencontré Casterman au tout début de la production de Samuel, en 2021. À l’époque, on présentait encore la série pour obtenir des financements, et la maison d’édition s’est tout de suite montrée très enthousiaste. Une fois la série diffusée sur Arte.tv, on s’est dit que ce serait vraiment intéressant de lui donner une vie en format papier. Ça avait du sens, étant donné que Samuel tient lui-même un journal dans la série. L’idée m’a alors immédiatement séduite. J’ai une vraie passion pour les livres et la bande dessinée. J’en accumule d’ailleurs énormément… même si je n’ai pas toujours le temps de tout lire ! J’aime l’objet en lui-même : les pages, le papier, le fait d’aller flâner en librairie...
« Je voulais que le livre puisse exister par lui-même »
En revanche, je ne voulais surtout pas, et Casterman non plus, d’ailleurs, d'un simple produit marketing. Faire un livre avec des captures d’écran posées sur du papier, ce n’est vraiment pas intéressant. Je tenais à ce que le livre porte le même message que la série, qu’il parle autant aux enfants qu’aux adultes, ce qui a nécessité un important travail de réécriture.
Comment avez-vous adapté l’énergie de l’animation au format papier ?
Passer du format audiovisuel à l’écrit, c’est un autre rythme. Certaines blagues fonctionnent moins bien, certains moments perdent en intensité et puis il n’y a plus la musique et la danse… Il fallait donc retrouver une autre forme d’authenticité. Je voulais que le livre puisse exister par lui-même. Que quelqu’un qui n’a jamais vu d'épisode puisse tomber sur ce livre et trouver autant de plaisir à la lecture.
Une graphiste de chez Casterman, très talentueuse, a fait un premier rush d’images à partir des dessins de la série. C’est sur cette base que j’ai commencé à faire mes choix. On a repris les dessins existants en les adaptant, notamment parce qu’on passait du format horizontal de l'écran à la verticalité de la page. J’ai également supprimé des scènes pour les refaire complètement, notamment certains passages musicaux. J’ai proposé de nouvelles illustrations, parfois en double page, parfois plus denses ou plus dynamiques, avec davantage d’écriture, de punchlines, et des expressions typiques de Samuel.
Le plus difficile ça a été d'intégrer les paroles de certaines chansons. Bizarrement, je pensais que les droits seraient moins cher que pour la série, mais en fait pas du tout… Du coup, on a dû renoncer à pas mal de moments musicaux, et ça, ça a été un vrai crève-cœur.
« Les enfants me font plus peur que les adultes, ils sont directs, sans filtre »
À l’image de la minisérie, le dessin du Journal de Samuel se caractérise par son minimalisme, comment parvenez vous à faire passer tant d'émotions avec si peu de traits ?
Je pense que tout repose sur le rythme. Comme je le dis souvent, que ce soit dans la série ou dans le livre, c’est presque une chorégraphie. On sait qu’à un moment, il va y avoir une scène plus émotionnelle, donc la question est la suivante : comment l'amener ? Il ne faut pas l’annoncer trop tôt, tout en préparant subtilement son arrivée. Et ensuite, il faut décider : est-ce qu’on lui donne une grande page entière, bien posée, ou au contraire, est-ce qu’on glisse juste une petite phrase dans un coin ? Il y a mille options possibles, et il faut faire des choix.
Dans le dessin, l’émotion passe pour moi énormément par le regard, les expressions du visage. Même s’il n’y a pas de nez, pas de rides, rien de très réaliste ou détaillé, il suffit parfois d’un sourcil légèrement levé, d’un tout petit plissement de paupière, ou juste d’un placement précis des pupilles. C’est ça qui fait tout.
Samuel vous est intime, mais avec le succès de la minisérie, il vit aussi dans le regard de son public. Comment parvenez-vous à conserver une proximité avec votre personnage ?
Je sais que ça va sonner comme un cliché américain, mais au moment où le projet a commencé à prendre de l’ampleur, à devenir quelque chose de vraiment professionnel, j’ai eu un peu peur que Samuel m’échappe. Il est tellement proche de moi… Et c’est mon père qui m’a rassurée. Il m’a dit : « T’inquiète, Samuel est toujours là, sur ton épaule. » Cette phrase est restée. Et souvent, dans les moments de doute ou quand tout devient un peu trop grand, je repense à ça et ça me fait du bien.
Samuel grandit au début des années 2000, comment appréhendez-vous la réception du livre par une nouvelle génération de lecteurs ?
Avec la série animée, on a eu de super retours, et j’adore entendre ce que les enfants en pensent. À vrai dire, ils me font plus peur que les adultes, ils sont directs, sans filtre. Après, c’est vrai que c’est une autre génération, avec d’autres codes, d’autres références. Mais je n’y pense pas trop. Tant qu’on est sincère dans ce qu’on raconte, tant qu’on essaie vraiment de se mettre à leur hauteur, je pense que ça peut tout de même leur parvenir.
« J’ai toujours essayé d’être la plus sincère possible dans ce que je faisais »
Comment expliquez-vous le succès de la minisérie ?
Honnêtement, je ne pensais pas qu'elle fonctionnerait aussi bien. J’ai toujours essayé d’être la plus sincère possible dans ce que je faisais. J’aime vraiment parler de ces sujets, j’aime ces personnages. J’ai beaucoup de tendresse pour eux, même si parfois je les malmène un peu. Peut-être que ça se ressent. Et puis les thèmes qu’on aborde, les premières amours, les émotions adolescentes, ce sont des choses qui nous touchent tous. Au départ, je pensais raconter une histoire très intime, mais je me suis rendu compte que ce sont justement ces éléments-là qui résonnent le plus : les choses les plus personnelles sont souvent les plus universelles.
Les aventures de Samuel auront-elles une suite ?
Oui ! Pour le format papier, c’est Bérénice (une camarade du héros, ndlr) qui va prendre le relais, sous forme de roman graphique. Ce sera la suite chronologique de la saison 1, centrée sur son été, ses pensées, sa petite vie. Et côté animation, c’est Samuel qui reviendra ensuite, je lui réserve ses pas de danse.
Quel est votre ressenti à l’approche de la parution de l'ouvrage?
Je me sens bien, je suis contente. Ce qui me réjouit le plus, c’est de savoir que je vais pouvoir aller à la rencontre des lecteurs, faire des dédicaces. C’est vraiment le meilleur moment. Sur les réseaux sociaux, les retours sont incroyables mais un peu irréel. Il y a quelque chose de plus fort, de plus direct. Être dans une librairie, discuter avec les gens, c’est forcément une expérience chouette. J’ai déjà fait des rencontres où je finissais par faire des dédicaces assise par terre à signer tous les papiers qu’on me tendait ! Cette fois, ce sera un peu plus cadré. Peut-être qu’il y aura plus d’enfants aussi, et ça, ce serait super.