11 JANVIER - ROMAN France

Tout commence fin 1986, en pleine cohabitation, système inédit en France. François Mitterrand, ainsi qu'il aimait à le faire, dînait avec ses "copains", Roland Dumas et un "gros" jamais nommé, mais où l'on reconnaîtra sans peine Michel Charasse, sans doute chez Lipp. A la table d'à côté, un anonyme seul, en train de se régaler d'un plateau de fruits de mer. Daniel Mercier, cadre financier à la Sogetec. Sa femme et son fils encore en vacances, il s'est accordé une petite folie égoïste. Dès que son illustre voisin s'installe, Mercier est subjugué. Lorsqu'il part, il s'aperçoit qu'il a oublié son chapeau de feutre noir, avec ses initiales gravées à l'or fin à l'intérieur. Que faire ? Le rattraper, rendre à l'Etat son couvre-chef ? Ou bien porter le chapeau ? Mercier, sur une impulsion, s'en coiffe et s'en va. Personne ne le remarque. A partir de là se met en place la brillante et jubilatoire mécanique romanesque imaginée par Antoine Laurain.

Le chapeau de Mitterrand se révèle un talisman. La personnalité de qui le porte éclate au grand jour, et ses voeux les plus secrets sont exaucés. Ainsi, l'obscur Mercier se voit promu directeur régional à Rouen. Fanny Marquant, la propriétaire suivante, trouve la force de rompre avec son mufle d'amant et d'en faire de la littérature. Pierre Aslan, "nez" tombé dans l'impuissance créatrice et dépressif, retrouve l'inspiration. Et Bernard Lavallière, banquier banal, se lâche dans un dîner chez des bourgeois particulièrement réactionnaires, qui s'acharnent à prononcer "Mittrand" le nom du Président. Il rectifie, et un papillon de gauche sort de sa chrysalide : Lavallière laisse tomber Le Figaro pour Libé, adore les colonnes de Buren et la Pyramide du Louvre (en chantier), fréquente la gauche caviar (chez Séguéla), et bazarde toutes ses antiquités de famille pour acquérir trois Basquiat ! Scandalisés au début, ses amis reviennent vers lui lorsque la cote de l'artiste explose. Et puis ce Mitterrand risque d'être réélu en 1988. Le chapeau passe de tête en tête, dispensant ses bienfaits à ses possesseurs successifs. On s'étonne seulement que le Président ne fasse rien pour le retrouver. Et si le sphinx de l'Elysée suivait toute l'affaire en coulisses ? "Laissons faire le destin », dit-il.

On laisse surtout faire Antoine Laurain, inventeur de ce très joli conte, enlevé et nostalgique. L'auteur, enfant en 1981, s'est soigneusement documenté. En 1986, les rendez-vous coquins se fixaient par Minitel, le JT était présenté par Yves Mourousi, Action Directe semait la terreur dans Paris, Balavoine, Coluche et son "mari" Thierry Le Luron tiraient leur révérence. Jeanne Mas était au top. Et François Mitterrand présidait la République.

C'est lui, en fait, le vrai héros du roman, qu'on suit à Paris et à Venise, mis en scène à bon escient. Son chapeau incarne un peu de son pouvoir. Les rois de France, jadis, guérissaient les écrouelles. Mitterrand, lui, exauçait apparemment les voeux à l'aide de son feutre noir. Vingt ans après la fin de cette histoire, lors d'une vente à Drouot d'objets ayant appartenu à feu le Président, le PS aurait acquis le fameux chapeau. Verra-t-on bientôt François Hollande s'en coiffer ? "Je crois aux forces de l'esprit, a dit Mitterrand en 1994, je ne vous quitterai pas. » Et si c'était vrai ?

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