L’historien britannique Orlando Figes vient de se faire épingler en raison des nombreuses erreurs contenues dans Les Chuchoteurs (dont la traduction française a paru en 2009 chez Denoël). L’éditeur russe de cet ouvrage consacré à la vie quotidienne des Soviétiques sous Staline s’est indigné des problèmes liés à des transcriptions très défaillantes, révélés, en mars 2011, par deux chercheurs américains. Les erreurs que contiennent certains livres ont toujours fait l’objet d’actions en justice. La jurisprudence est particulièrement complexe quand elle est saisie de la responsabilité de l’écrivain/historien étourdi, négligent, malveillant ou simplement paresseux. En 2002, le procès intenté en pleine campagne présidentielle par Daniel Gluckstein, le candidat du Parti des travailleurs, à l’encontre de Christopher Nick pour son livre sur les trotskistes a remis en lumière le problème des erreurs livresques. Le candidat soutenait à propos des erreurs sur ses parents — dont l’auteur affirmait qu’ils avaient été déportés — que de telles informations étaient « de nature à le faire apparaître (…) comme peu sérieux et mythomane ». Selon le juge saisi en référé, «  il ressort en effet des pièces versées aux débats (…) que l’auteur a en réalité interverti plusieurs éléments biographiques d’un nommé Roby Norder avec ceux du demandeur, lequel ne pouvait ainsi les avoir rapportés à M. Nick au cours de leurs entretiens. (…) Dès lors il apparaît que la révélation d’informations afférentes aux origines familiales du demandeur, lesquelles, en outre, ne correspondent pour la plupart nullement à la réalité, constitue, sans contestation sérieuse, une atteinte à la vie privée de celui-ci, d’autant que les propos incriminés sont en partie présentés comme ayant été tenus par M. Gluckstein lui-même ». Pour justifier sa décision, le magistrat soulignait que « les éléments relatifs aux origines familiales d’un individu (…) doivent également être considérés comme faisant partie intégrante de sa vie privée  ». Il en a été jugé de même, le 5 juin 2001, à propos d’une légende de photographie «  pouvant laisser croire qu’un enfant vit avec son père alors qu’il habite avec sa mère » et qui, de ce fait, « porte atteinte au respect dû à la vie privée du jeune garçon  ». Là encore, ce n’est donc pas l’erreur stricto sensu que la justice sanctionne, mais bel et bien une atteinte à la vie privée. Les tribunaux ont cependant souvent rejeté les demandes les plus incongrues. Une décision du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 19 avril 1989, concernant une biographie d’Albert Cohen (qui a été par ailleurs condamnée car elle contenait des lettres inédites qui portaient atteinte à la vie privée) a ainsi balayé les arguties fondées sur des erreurs particulièrement bénignes : « Si les demanderesses (veuve et fille) se sont plaintes d’un nombre important d’erreurs qu’aurait commises (l'auteur) dans son ouvrage, elles ont à ce titre surtout incriminé le fait d’avoir situé de 1927 à 1929 la liaison amoureuse de Jane Fillon et d’Albert Cohen, et d’avoir considéré pour l’étude de son thème astral qu’il était né à 4 heures du matin ; (…) elles n’établissent cependant ni que ces dates ou heures sont inexactes, ni en tout état de cause quel préjudice auraient entraîné pour elles les erreurs alléguées  ». Toute atteinte à la réalité historique peut être sanctionnée par le droit Si le droit à l’erreur est de plus en plus admis par la jurisprudence au nom du droit à la liberté d’expression — à condition toutefois que l’erreur ne soit pas constitutive de diffamation ou d’atteinte à la vie privée — la responsabilité de l’historien qui commet, sciemment ou non, une erreur ne manque jamais d’être rappelée par les tribunaux. C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris, le 20 novembre 1985, a estimé que «  l’écrivain et l’historien sont libres d’exposer les faits et d’apprécier, selon leurs vues personnelles, les actes et les attitudes des hommes qui ont joué un rôle dans les événements dont ils entendent fixer le souvenir. L’auteur d’un ouvrage sur le tiers-monde doit rester libre d’apprécier les comportements contraires à ses convictions et de porter des jugements susceptibles d’irriter celui dont il censure les agissements  ». Mais «  cet auteur commet une faute de nature à engager sa responsabilité lorsqu’il relate des faits inexacts et en donne une traduction déformée. Par la traduction erronée d’une résolution du Parlement européen, qui conduit l’auteur à affirmer que l’idée de mobiliser 5 milliards de dollars et 50 millions de tonnes de blé produirait des effets contraires au but recherché, cet auteur a commis une imprudence fautive alors que sa démarche impliquait nécessairement une étude objective et prudente du sujet traité dans le respect de ceux qui le mettaient en cause  ». En 1994, la Cour de cassation se penchait sur Passions de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Elle observait que «  l’auteur d’une œuvre relatant des faits historiques engage sa responsabilité à l’égard des personnes concernées lorsque la présentation des thèses soutenues manifeste, par dénaturation, falsification ou négligence grave, un mépris flagrant pour la recherche de la vérité ». De lui-même, l’auteur avait reconnu que « l’épisode de son ouvrage relatif aux circonstances du décès (…) décrit comme ayant été provoqué par la chute d’une valise remplie de lingots d’or, était le fruit d’une erreur dont l’auteur s’excusait  ». Par ailleurs, toute atteinte à la réalité historique peut être sanctionnée par le droit. Mais, en pratique, l’erreur par omission a suscité une jurisprudence contrastée, car très liée aux particularités de chaque affaire. On cite souvent en la matière l’affaire Turpain — du nom de ce scientifique, lié à l'invention de la T.S.F., dont le rôle avait été omis dans un ouvrage de librairie — jugée par la Cour de cassation en 1951. Mais dès 1858, la Cour d’appel de Paris avait jugé que «  le livre publié par Arnoux, et ayant pour titre Travail universel , est un écrit ne présentant aucun caractère officiel, et qu’en n’y mentionnant ni l’industrie des chapeaux mécaniques, ni les produits exposés par Duchesne, ni la médaille d’honneur qu’il a obtenue à raison de cette exposition, Arnoux a usé d’un droit incontestable. (…) le silence gardé par Arnoux, soit qu’il ait été purement spontané, soit qu’il ait été déterminé par l’influence de Laville et Pourmaroux («  des chapeliers rivaux intéressés dans la publication de l’ouvrage comme bailleurs de fonds  ») n’a pu causer à Duchesne un préjudice de nature à motiver (…) une condamnation  ». Le droit à l’oubli existe donc en justice, comme il semble exister un droit à l’erreur. Mais certains sujets, notamment la seconde guerre mondiale — en dehors même du cas très extrême des négationnistes — peut entraîner une vigilance accrue des juges. En 1953, le Tribunal civil de Nantes a sanctionné l’auteur d’un livre qui s’était abstenu « de mentionner les activités anti-allemandes des mouvements de résistance à Nantes et à Saint-Nazaire de 1940 à 1945, alors qu’il relatait et appréciait avec sévérité les agissements coupables imputés par lui à ces mêmes éléments lors de la Libération »…  
15.10 2013

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