11 février > Histoire Italie

Le 29 mars 1516, le gouvernement vénitien prend la décision historique de regrouper les Juifs habitant dans différents quartiers de la ville, depuis le XIVe siècle au moins, dans une zone unique et close, le Geto Nuovo, situé à Cannareggio. Le mot geto, qui deviendra bientôt ghetto à cause de la prononciation des Allemands - une autre des communautés étrangères bien établies, comme les Turcs, ou les Levantins, et soumis à une semblable "ségrégation" -, n’a alors aucune signification péjorative. C’était juste un toponyme, désignant un endroit à l’écart.

Au XVIe siècle, les Juifs, parfaitement intégrés à l’organisation économique et sociale de la Sérénissime, République marchande, étaient environ 700. Ils étaient commerçants, banquiers, prêteurs sur gages, mais aussi marchands d’objets d’occasion, médecins, ou imprimeurs - officieux : la profession ne leur était pas officiellement accessible. Ils ne pouvaient pas posséder leurs maisons, mais les aménager comme bon leur semblait. Ils avaient leurs scuole (synagogues), leurs yeshivot (écoles), leurs fraterne (confréries charitables). Ils finirent par avoir leur "gouvernement" autonome, en dépit des dissensions et des antagonismes au sein même de la communauté, entre séfarades et ashkénazes, ou différentes nationalités d’origine. Ils eurent aussi leur propre cimetière, au Lido, hors les murs et donc loin des sépultures chrétiennes, aménagé sur un terrain qui appartenait à des Juifs depuis 1386. Le ghetto, entouré de murs et clos la nuit, constitué de bâtisses de mauvaise qualité, fragiles voire délabrées, se densifia pourtant, devenant trop petit. Il fallut lui ajouter, dans la même zone, un Ghetto Vecchio, en 1589, et un Ghetto Novissimo, en 1633. Signe que le système fonctionnait, que la communauté prospérait et s’accroissait. Vers 1650, Venise comptait près de 5 000 Juifs, soit environ 3 % de sa population totale. Et le ghetto de Venise devint une espèce de modèle pour le reste de l’Italie.

Cette organisation dura jusqu’à Bonaparte qui conquit la ville en 1797, fit ouvrir les portes du ghetto et permit aux Juifs de devenir officiellement propriétaires. A partir de là, ceux-ci participèrent plus à la vie de la cité - jusque dans le soulèvement de 1848 contre les Autrichiens - et les grandes familles sortirent du quartier, allant jusqu’à acquérir des palais sur le Grand Canal, comme la Ca’d’oro. Il fallut Mussolini et ses lois racistes de 1935, puis les nazis, pour que le ghetto de Venise perde ce qui fit son histoire et son équilibre, si particuliers.

Donatella Calabi les retrace dans une étude érudite, qui annonce l’exposition du Cinquième Centenaire, de juin à novembre au palais des Doges. Quel plus beau symbole de reconnaissance et de respect, particulièrement aujourd’hui ? Jean-Claude Perrier

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