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Euro 2021, les nouveaux plans de jeu de l'édition

Le joueur de foot sur le macadam - Photo Olivier Dion

Euro 2021, les nouveaux plans de jeu de l'édition

Du 11 juin au 11 juillet se déroulera l'Euro 2021. Si l'événement va générer de nouvelles parutions consacrées au football, il symbolise aussi pour les éditeurs une inflexion majeure de leurs stratégies habituelles. Jeunesse, mixité, personnalités... voici à quoi va ressembler la « feuille de match ».

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Par Hubert Artus,
Créé le 08.06.2021 à 11h03

La Terre est ronde comme un ballon. Mais, en cinq ans, la planète football a bien changé. Et le livre de sport avec lui. Jugez plutôt : en 2016, la France organisait le championnat d'Europe des nations, et les Bleus se hissaient en finale ; en 2018, ils ramenaient la coupe (du monde) à la maison ; en 2019, l'hexagone accueillait le Mondial de foot féminin ; depuis 2020, le huis clos imposé aux stades et aux supporters a singulièrement changé la donne et fait bondir les audiences des retransmissions, des replays, des podcasts et des talk-shows. Les éditeurs eux aussi ont changé leurs « plans de jeu » : si jusqu'à 2016, voire 2018 ils calaient un grand nombre de parutions sur un tel évènement, en 2021, on constate à l'inverse une sérieuse volonté de contre-programmation, un désir de dénicher des histoires plutôt que des stars, de favoriser une certaine féminisation et, surtout, plus de livres jeunesse.

« Quand l'Euro 2016 est arrivé, le livre de sport commençait à être réhabilité : nous veillions plus à la qualité et au contenu. Les ouvrages étaient plus originaux. On prenait enfin le train qu'avaient pris les Anglais et les Américains ». Le souvenir est plaisant, pour Bertrand Pirel, éditeur chez Hugo Sport, mais la suite est amère : « La France accueillait la compétition, et du coup tout le monde a publié tout et n'importe quoi. Résultat : rien ne s'est vendu. Pourquoi ? Parce que le spectacle était dans la rue, et sur Internet ». Dorénavant, « chez Hugo, on est dans la contre-programmation ». Aussi la maison a-t-elle publié un seul ouvrage « foot », le 12 mai dernier : Génération After Foot. La grande histoire de l'émission culte, de l'écrivain Pierre Adrian. À l'occasion des quinze ans du programme phare de RMC (et podcast le plus téléchargé de France), le livre restitue et assemble les témoignages d'auditeurs et auditrices les plus divers. Pour Bertrand Pirel, « ce genre-là, c'est notre horizon ».
 

Jean-Philippe Bouchard, directeur éditorial des éditions Solar.- Photo DR



Le directeur éditorial sports chez Solar, Jean-Philippe Bouchard, est plus nuancé. S'il confirme que « un grand événement sportif ne booste plus les ventes », il ajoute aussi : « Elles peuvent arriver après, en cas de victoire - du PSG en Ligue des Champions, ou des Bleus à l'Euro, par exemple. C'est impossible à anticiper, mais cela nous force à être présent pour les grands événements ».
En vue de l'Euro, et comme d'autres, Solar éditera un guide de la compétition (par Xavier Barret), mais aussi une édition actualisée de 101 foisRonaldo [Cristiano, NDLR], par Régis Dupont, du journal L'Équipe. Accompagné d'un ouvrage de Vincent Duluc, autre plume du quotidien sportif : Les (vrais) maîtres du jeu, un « hommage aux numéros 6, ces travailleurs de l'ombre ». Le sujet se justifie, l'auteur est connu, et une parution le 8 avril collera à une actu foot supérieure à la moyenne. On notera que Vincent Duluc fait également paraître Les mots du football, superbe essai de cent quatre-vingt-douze pages dans la collection « Les Mots de », dirigée par Philippe Delerm chez Points (parution le 3 juin, tirage 8 000 ex.). À ces parutions, on ajoutera Né pour jouer, l'autobiographie d'Alain Giresse (Robert Laffont, coécrit avec Dominique Séverac, 10 juin). Un autre projet, certes classique, mais légitime : l'homme a forcément des choses à dire sur le foot business.

Joueurs inspirants pour projet éducatif

« Les jeunes ne lisent pas » : voilà ce que pensait Olivia de Dieuleveult fin 2016. Ancienne éditrice, devenue agente littéraire, elle était en train d'apporter chez Michel Lafon deux séries jeunesse sur la vie de Pénélope Leprévost (championne olympique d'équitation en 2016) et de la chorégraphe Marie-Claude Pietragalla. Lorsqu'« un jour, chez une amie, son fils de onze ans rentrait du foot et je lui ai demandé s'il aimerait lire la vie d'Antoine Griezmann : il adorait l'idée ». C'était parti : elle contacte l'entourage du joueur, qui accepte rapidement. En octobre 2017 paraît le premier tome de Goal !. En deux ans, huit autres suivent, coécrits avec Fabrice Colin et Olivia de Dieuleveult (« car je détiens la paternité de ce concept »). La série est promue par une campagne en partenariat avec le club d'origine du champion (l'UF Mâcon) et son club d'alors (l'Atletico Madrid), pour 400 000 exemplaires vendus au total.
 

José Carlin Pérez, créateur des éditions En Exergue.- Photo © HENRI SZWARC
 

Depuis, deux autres éditeurs ont relevé le défi de faire lire les jeunes avec du foot. À l'automne dernier, les éditions Auzou initient « Fan de foot », « une série où des lecteurs à partir de six ans suivant les débuts d'une équipe de foot mixte », écrite par Eric Simard, « parrainée » par un Bleu (Olivier Giroud) et une Bleue (Eugénie Le Sommer). Le cinquième tome paraît en ce mois de juin. De leur côté, les éditions Hugo, un des leaders de l'édition au rayon Sport, ont lancé en mai une nouvelle collection Jeunesse : « Tous champions ! ». Quatre auteurs (Fabrice Colin, Louis-Stéphane Ulysse, Sandra Kollender et Olivier Ellé) pour quatre romans courts sur Kylian Mbappé, N'N'Golo Kanté, Hugo Lloris et Paul Pogba (tirage : 15 000 exemplaires), pour lesquelles les agents des joueurs ont donné leur accord. Ces trois séries et collections revendiquent « le volet éducatif » de tels ouvrages, du moment qu'ils reposent sur des joueurs et joueuses considérés comme « inspirants ».

Peopolisation vs féminisation

On s'en doute : c'est au premier chef leur palmarès qui rend ces joueurs inspirants. Pour autant, le restent-ils, inspirants... en librairie ? Olivia de Dieuleveult reconnaît : « On m'a souvent demandé pourquoi je n'allais pas chercher Mbappé. C'est que, pour moi, il est impossible de s'y s'identifier : c'est un génie, certes, mais c'est plus facile avec un garçon comme « Grizi », qui s'est fait retoquer dans sa jeunesse [Antoine Griezmann, en raison d'un physique trop frêle, NDLR], qui ne lâche rien, et qui finit par gagner à la fin ».

Pour le secteur Adulte, le nom d'un joueur sur une couverture est avant tout une question d'image et d'intérêt. Comme le remarque Arnaud Ramsay, journaliste sportif et le coauteur des autobiographies de Youri Djorkaeff, de Bixente Lizarazu, de Nicolas Anelka ou encore d'Antoine Griezmann (Derrière le sourire, Robert Laffont 2017, 30 000 ex. vendus selon GfK) : « ces joueurs sont aujourd'hui devenus des marques, qu'ils déclinent. Ils touchent bien plus de gens sur leurs réseaux sociaux (7,8 millions de followers sur Twitter pour Griezmann) ou par un documentaire sur Netflix qu'avec un livre ». Mais, lorsqu'il approche un champion, il continue « à vanter le côté prestigieux d'un livre, et l'objet de transmission qu'il représente plus tard pour sa famille ».
 

Bertrand Pirel, éditeur chez Hugo Sport.- Photo DRDR
 

C'est peut-être ce que s'est dit le champion du monde 2018 Adil Rami lorsque, fin 2019, il a cédé à l'envie, mais avec une demande inédite pour un footballeur : « Il a tout de suite voulu écrire avec une femme », avance l'écrivaine Géraldine Maillet, qui est devenue sa coauteure, « parce qu'il avait toujours évolué avec des femmes : sa mère, ses sœurs, dont l'une est sa conseillère et son agente ». Autopsie est paru chez Hugo en octobre 2020 (5 000 ex. selon GfK).

On note une féminisation croissante, via un recours plus marqué aux autrices et coautrices et le choix des sujets. Il faut bien sûr y voir la conséquence croisée des scandales sexuels dans le sport et de la médiatisation (tardive, mais réelle) du foot féminin en France, et du Mondial 2019 organisé dans l'hexagone. À cette occasion avaient paru plusieurs ouvrages, parmi lesquels Pas pour les filles ?, de la jeune retraitée Mélissa Plaza (Robert Laffont, avec Cécile Dupire). Elle y pointait notamment le sexisme qui rythmait son quotidien. Elle a, depuis, achevé un deuxième ouvrage, abordant plus clairement le traumatisme de l'inceste qu'elle a subi dans son enfance, mais n'a, à ce jour, pas trouvé d'éditeur. Par ces biais sportifs et parfois militants, le livre de foot devient vraiment ce qu'il est : un ouvrage de société. N'oublions pas One Life, de la championne américaine Megan Rapinoe, paru en novembre chez Stock (3 000 ex. vendus).

« Raconter des histoires »

Il en va du « livre de foot » comme de tous les ouvrages de société : il faut être à la croisée des questions universelles de l'époque et de la singularité d'un destin, d'un sujet, ou d'un exploit. Le mieux, évidemment, est d'avoir une « figure ». Comme pour Dans la tête de Zidane, signé et publié en octobre dernier par la psychanalyste Sabine Callegari (Nouveau Monde éditions, 4 000 ex. selon GfK). L'auteure n'a jamais rencontré « ZZ », mais s'est plongé dans son esprit après avoir lu et visionné les textes, livres et interviews existants. Un projet littéraire, donc. À lire en parallèle avec la biographie autorisée de Frédéric Hermel (Zidane, Flammarion, 2019, 32 000 ex. ; reparution chez J'ai Lu le 9 juin).

« Faire converger deux secteurs qui ont largement avoir ensemble : la littérature et le sport. Notamment à travers le journalisme narratif », c'est exactement ce qui anime José Carlin Pérez, ancien journaliste (à L'Équipe), éditeur depuis 2004. À l'automne dernier, il créait les éditions En Exergue, où il publie trois ouvrages bien différents en ce printemps : Des années de braise aux années de pèze, recueil d'article signé de feu Jean Narval, une grande plume du journal, Miroir du football, M'en fous, du foot du journaliste argentin Hernan Casciari (vingt-deux articles et histoires, traduits par Georges Tyras), et enfin La passion selon Saint-Etienne, premier roman de Christophe Verneyre, grand supporter des Verts. Pour José Carlin Pérez : « Nous ne sommes pas un pays de sport. Mais nous sommes un pays de lettrés. Il faut donc pousser le curseur ». L'art du contre-pied, encore et toujours. Décidément, la nouvelle tactique de l'édition de foot.

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