Avant-critique Essai

Les nouvelles lois du désir. Don Juan accumule les conquêtes amoureuses comme autant de trophées dont il peut se targuer pour étaler aux yeux du monde la toute-puissance de sa séduction. Casanova, c'est le libertin qui jouit sans limite de son corps par le truchement de celui des femmes. Cette vision du sexe forgée par le regard mâle a longtemps dominé jusqu'à la révolution sexuelle des années 1960 où, secouant le joug de la religion et des conventions sociales, les femmes au même titre que les hommes ont pu revendiquer leur droit au plaisir.

L'amour, l'hédonisme, censés contribuer à l'épanouissement individuel, sont dans nos sociétés libérales des signes de progrès, voire des facteurs d'émancipation. Le mariage arrangé a été relégué aux reliques d'un patriarcat obsolète. On épouse qui on veut, on peut d'ailleurs s'aimer sans convoler en licites noces. Les couples de même sexe, naguère réprimés par la loi ou les mœurs, ont également le choix de se marier ou pas. La loi est enfin du côté de l'amour, car le désir n'est-il pas justement ce qui résiste à la loi du marché ? La sexualité relevant de l'intime, l'économie n'a pas à y fourrer son nez. Le capital sexuel d'Eva Illouz et Dana Kaplan enfonce un coin dans cette belle idée d'un amour émancipateur vierge de toutes considérations économiques. Le conte de fées se confronte à la réalité du porte-monnaie. Ni droits acquis ni avancées sociétales ne changeront rien au cynisme des individus... Mais l'originalité de cet essai est de considérer le sexe et la sexualité dans le cadre du capitalisme néolibéral. C'est-à-dire au sein d'un système. Le capital déborde la notion pécuniaire et on sait depuis Bourdieu que le capital symbolique existe. Les autrices identifient ainsi « le capital sexuel par défaut » sous forme de chasteté prisée par le système patriarcal religieux ; « le capital sexuel comme plus-value du corps », avec la prostitution ; « le capital sexuel incarné », ou le sex-appeal comme produit marketing : enfin, et c'est « l'innovation de [leur] étude » : le capital sexuel néolibéral. Ici, le sexe récréatif (affaire normalement privée, mais la modernité tardive brouille les frontières entre intime et public) est perçu comme capital : il peut traduire un sentiment de compétence sociale, une confiance en soi à faire valoir sur le marché, « il nourrit une posture active et entrepreneuriale recherchée par les entreprises ». Pas de boulot ? Vous n'avez qu'à traverser la rue et prendre votre pied.

Eva Illouz et Dana Kaplan
Le capital sexuel
Seuil
Tirage: 0
Prix: 17,90 € ; 168 p.
ISBN: 9782021497809

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