Entretien

Felwine Sarr, co-éditeur de Mohamed Mbougar Sarr : "L’écriture fait partie de mes ascèses."

Felwine Sarr - Photo Francesca Mantovani © Editions Gallimard

Felwine Sarr, co-éditeur de Mohamed Mbougar Sarr : "L’écriture fait partie de mes ascèses."

Auteur, co-éditeur du prix Goncourt 2021, professeur d’économie ou encore musicien, Felwine Sarr rythme ses activités par la littérature. Il partage sa vision des lettres, son travail d'éditeur à Dakar et les défis des éditeurs africains.

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Par Dahlia Girgis,
Créé le 28.02.2022 à 08h00 ,
Mis à jour le 01.03.2022 à 10h53

"Un pied dans la réalité et un pied dehors." Pour Felwine Sarr, la littérature c’est ça. Auteur de poésies, de romans et d'essais, coéditeur de La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, professeur d’économie ou encore musicien de reggae et chanteur, l'intellectuel rythme ses activités par la littérature. "Ce n’est pas une fuite, mais un autre monde qui permet de prendre de la hauteur et d’avoir une autre perspective", explique l'écrivain.

Fuir l’autofiction

Felwine Sarr entre dans la littérature à l’âge de 12-13 ans, lorsqu'il commence à écrire des poèmes. Aujourd’hui âgé de 49 ans, il estime cette pratique nécessaire à sa vie pour être plus lucide et en lien avec les autres. “L’écriture fait partie de mes ascèses.” Son dernier livre, Les lieux qu’habitent mes rêves est paru le 13 janvier chez L’Arpenteur (Gallimard). Le récit est bouclé en trois mois alors que d’habitude, l’auteur écrit ses livres en 3 ans. Confiné à Dakar en raison de la pandémie de Covid-19, il trouve ce “temps continu en adéquation avec l’atmosphère du livre.

L’histoire est celle de deux frères jumeaux sénégalais. Fodé reprend une charge religieuse importante et devient le gardien des divinités du pays Sérère. Le second Bouhel étudie à Orléans et rencontre Ulga, Polonaise. “Ils prennent des chemins différents, mais ils partagent la même matrice culturelle, ils sont tous deux dans une quête initiatique.”

 

Cela arrive que des maisons occidentales trouvent un texte trop difficile pour le public et décident de le rendre plus digeste. Felwine Sarr

 

Dans l’ouvrage, il fait des clins d'œil à sa propre vie. L’auteur a par exemple été étudiant à l’université d’Orléans tout comme son personnage Bouhel. Pas question pour autant de parler d’une sorte d’autofiction. “J’essaie d’éviter parce que parfois ça vire au petit nombrilisme, j’écris pour raconter des choses que j’ai observées chez d’autres individus ou des choses auxquelles j’ai été sensible.

Coéditeur du Goncourt 2021

L’auteur s’inspire de grands maîtres comme Milan Kundera, Hermann Hesse ou encore de la littérature soufi avec Rûmî. “Nous pouvons densifier la texture de sa propre expérience en s’abreuvant des oeuvres des autres.” Pour cette raison, et pour faire partie de la chaîne de transmission, Felwine Sarr lance en 2012 la maison Jimsaan avec Boubacar Boris Diop et Nafissatou Dia. La volonté de départ est d’offrir un espace où les auteurs n’ont pas à négocier leurs imaginaires.

Cela arrive que des maisons occidentales trouvent un texte trop difficile pour le public et décident de le rendre plus digeste”. Il cite en exemple le personnage de Fodé et l'imaginaire spirituelle de la communauté Sérère qui peut être compliqué à appréhender pour le lecteur.

Basée à Dakar, Jimsaan possède une dizaine d’auteurs à son catalogue et publie 3 à 4 livres par an. L'offre devrait doubler en 2023. La maison à taille humaine compte parmi ses auteurs Mohamed Mbougar Sarr. L’éditeur fait sa connaissance dès son premier roman Terre ceinte (Présence africaine). Il tombe sous le charme de son travail et de “sa grande maturité.” Pour son quatrième ouvrage, il décide de contacter Philippe Rey.

Le lauréat Mohamed Mbougar Sarr félicité par Didier Decoin, président de l'académie Goncourt, à la table de Drouant- Photo OLIVIER DION

Depuis 2013, les deux maisons d’éditions coéditent des livres ensemble. “J’aime son travail et son catalogue, l’un des rares que je trouve intéressant dans ses essais sur le continent africain”, précise Felwine Sarr au sujet de Philippe Rey Ils accompagnent ensemble Mohamed Mbougar Sarr. “De septembre à novembre la vague a monté et les gens ont découvert un brillant romancier et intellectuel.” La collaboration entre les deux maisons indépendantes est récompensée par le Goncourt.

Faire lire le Sénégal

Felwine Sarr est à l’initiative de cette coédition. L’une des raisons qui a poussé l’éditeur à se lier à une maison française est l’élargissement de son réseau de distribution. “Le défi des maisons africaines est d’avoir plus de moyens pour construire un réseau de distribution et rendre accessible à nos auteurs tout l’espace francophone.” Pour l’instant, le roman de Mohamed Mbougar Sarr est un succès. La maison Jimsaan est devenue rentable depuis sa publication.

Bien que les ventes soient plus importantes en dehors du continent africain, l’ouvrage suscite un engouement au Sénégal. D’abord réservé à une élite, l’effet du Goncourt a permis d’attirer d’autres lecteurs comme des étudiants. Pour qu’il soit plus accessible, le prix du livre a été réduit de 50%. Il se vend à près de 16000 CFA soit environ 16 euros. Une marge à laquelle renonce les éditeurs de Jimsaan et Philippe Rey qui se partagent à part égale les ventes.

"Nous avons pu réaliser quelque chose de significatif, qu’un auteur qui n’est pas dans une grande maison obtienne le prix Goncourt, c’est une indication que ce genre de collaboration, qui allie qualité et coopération, fonctionne."

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