Déjà remarquée en 2007 avec son roman Le cercle du karma, Kunzang Choden est le seul écrivain à être parvenu jusqu'à nous depuis le Bhoutan, petit royaume bouddhiste enclavé dans l'Himalaya. Elle a eu la chance de partir suivre des études, à New Delhi puis dans le Nebraska, et s'ouvrir au monde. Ce qui ne l'empêche pas de demeurer extrêmement bhoutanaise, attachée à ses traditions, à sa culture et à ses compatriotes. Les femmes, surtout.

Dans Histoires en couleurs, Kunzang Choden a choisi d'honorer treize femmes à la fois humbles et exceptionnelles. Des héroïnes qu'on croirait sorties d'un autre âge : analphabètes, assujetties à toutes les tâches pénibles, s'occupant seules de leurs enfants quand les géniteurs sont partis courir ailleurs, vieillies avant l'âge, mais courageuses : ne se plaignant jamais, elles assument, luttent pour survivre, et sont prêtes à tout pour leurs enfants. Les fils, surtout, espoirs de leur vieillesse. Qu'ils soient brillants, admirables et reconnaissants comme celui de Pema Lhamo, qui a réussi grâce aux sacrifices de sa mère et l'a prise avec lui à la ville, ou que ce soit un voyou, comme celui de Tshering Choeki.

Kunzang Choden a de l'empathie, de la compassion, mais aussi pas mal d'humour. Certaines de ses soeurs sont des maîtresses femmes, des matriarches, qui n'hésitent pas à se saouler à l'ara, le tord-boyaux local, aussi souvent que les hommes. Celles qu'elle a choisies sont toutes différentes des standards, même bhoutanais.

Une différence que Kunzang Choden a éprouvée elle-même dès ses 9 ans, dans le pensionnat religieux du Bengale indien où elle avait été placée. La mère supérieure, persuadée qu'elle lui mentait, l'avait réprimandée, frappée, persécutée. Motif : elle portait le même prénom que son père, Kunzang, mais pas le même nom de famille, elle Choden, lui Dorji. Comment expliquer à cette Anglaise que dans la tradition du Bhoutan les prénoms peuvent être unisexes, et que les noms "de famille" n'ont aucun rapport avec le père ou la famille ? Ils appartiennent en propre à chaque individu.

Cette souffrance d'enfant a tant marqué Kunzang Choden que, bien des années après, sa propre histoire lui a fourni le point de départ de son recueil, nourri de ce qu'elle a pu vivre et voir dans son pays mystérieux.