Décryptage

Festival : Manosque ne s'est pas fait en un jour

Apéro littéraire sur la place d'Herbès aux Correspondances de Manosque Opération Silence on lit place de l'Hôtel-de-ville à Manosque. - Photo © Nicolas Serve

Festival : Manosque ne s'est pas fait en un jour

Les Correspondances de Manosque, c'est trois mois de travail pour quatre jours de rencontres. Début mai, Livres Hebdo a pu avoir accès à un comité de lecture du festival qui fête ses 25 ans cette année. Une séance de travail intense qui révèle les arcanes de la programmation d'un festival littéraire.

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Par Éric Dupuy
Créé le 10.07.2023 à 18h00

La 25e édition des Correspondances de Manosque trotte dans la tête d'Olivier Chaudenson depuis plusieurs années déjà, comme une chanson dont on ne se départ pas. Cela tombe bien, car le cofondateur et codirecteur du festival entend insister sur la musique pour cet anniversaire et « en faire plus que d'habitude ». On retrouve là deux des ingrédients qui font le succès de ce rendez-vous provençal de la fin septembre : la correspondance baudelairienne entre les arts, et le besoin constant de renouvellement dans la programmation.

Depuis 1999, sitôt l'automne lancé, la ville de Jean Giono se drape de mille pages, offre au public gratuitement, durant la journée, des discussions avec des auteurs de la rentrée littéraire. Puis, le soir venant, les salles de spectacle de la ville donnent de la voix aux textes, en chanson ou en lecture, avec les mêmes auteurs ou des comédiens et chanteurs. Du mercredi au dimanche, c'est le siège social de la littérature française qui se retrouve aux portes du Luberon. « Nous ne sommes pas le plus gros festival, mais nous sommes l'un des plus copiés », s'amuse fièrement le directeur de la Maison de la Poésie, à Paris. C'est d'ailleurs depuis la capitale que se joue la programmation. Début mai, l'aréopage de Manosque se réunit à 600 kilomètres de là à vol d'oiseau.

Autour d'Olivier Chaudenson : Evelyn Prawidlo, la codirectrice des Correspondances, Sylvie Ballul, programmatrice littéraire, et les auteurs Colombe Boncenne et Arnaud Cathrine. Le comité de lecture du festival n'a pas évolué depuis plus de dix ans. Dans le salon d'Evelyn, chacun a sa place, qu'il retrouve une fois par semaine jusqu'à mi-juillet : le trop court temps pour lire les cinq cents épreuves des romans de la rentrée envoyées par les éditeurs et définir les invités du festival.

« C'est trop dans l'entre-soi parisien pour nous »

Au fil des arrivées de coursiers ou du facteur, l'équipe se partage les lectures de la semaine, toujours dans la bonne humeur et une certaine excitation. « J'ai eu une super bonne pioche cette semaine », lance, enthousiaste, Arnaud Cathrine. « Tu les as bien choisis, surtout », maugrée du tac au tac Colombe Boncenne. Et c'est parti pour une heure et demie d'échanges sur une vingtaine de titres. « Lui, c'est dommage, il n'est pas dispo. Mais j'ai adoré son livre », commence Arnaud Cathrine. « On ne va pas lancer les invitations trop vite », tempère Olivier Chaudenson. L'exercice est fluide et les critiques fusent, dans le bon sens comme le mauvais. « Ça m'est tombé des mains », souffle Sylvie Ballul pour un titre. « Pour Manosque, c'est trop dans l'entre-soi parisien », argumente l'auteur de Début de siècles (Gallimard) pour un autre. « Je demande une deuxième lecture » pour un troisième, lance Evelyn Prawidlo, qui se justifie en assurant qu'elle « n'aimerai[t] pas louper une -deuxième fois de suite le Goncourt ».

L'exercice est rodé. Pour chaque roman, on évoque rapidement l'histoire, on développe plus longuement les structures narratives et les leviers de lecture, puis on aborde le parcours de l'auteur. « Nous avons évidemment une sélection à trois niveaux, explique Olivier Chaudenson. D'abord les œuvres en elles-mêmes, ensuite la nécessité d'avoir une diversité des maisons d'édition représentées, et enfin une part de nouveaux auteurs ou nouveaux venus à Manosque. » Cette dernière exigence explique près d'un tiers de la programmation chaque année. Après une quinzaine de titres, Evelyn Prawidlo alerte déjà sur la diversité des genres. « Il nous faut un polar pour montrer que nous ne sommes pas fermés au genre », rappelle-t-elle. Ce n'est pas anodin dès ce stade de la sélection.

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Opération Silence on lit place de l'Hôtel-de-ville à Manosque.- Photo NICOLAS SERVE

Cent jours pour lire cent livres

« Nous avons un risque de saturation de la lecture à un certain point », précise Olivier Chaudenson. Cent jours pour lire cent livres, un travail de scout qui s'ajoute aux activités quotidiennes de chacun. Le 14 juillet, c'est la fête de la programmation pour le Comité de Manosque : tous les titres ayant obtenu trois croix sont à nouveau triés pour en dégager une cinquantaine et leurs auteurs sont contactés. Commence alors le casse-tête des rencontres avec les agendas des uns et des autres. « Les écrivains sont de plus en plus sollicités », remarque le patron de Manosque. S'il se réjouit de cette vitalité des rencontres littéraires, cela complique sa tâche de programmation. « On sera cool quand on enverra le programme à l'imprimerie », ajoute la codirectrice. Le bon à tirer (BAT) est produit le 25 juillet, premier jour de vacances pour le comité de lecture parisien. Mais tout reste à faire, et c'est une nouvelle tête qui prend le relais, à 480 kilomètres de là et 150 de Manosque... À Grenoble, exactement.

Le Tetris des chambres d'hôtel

C'est là que Maëlle Sagnes est responsable de la coordination Jeunesse du réseau des bibliothèques de la ville. Travaillant dans l'édition depuis une quinzaine d'années, elle a rejoint l'équipe de Manosque en 2015 comme chargée de la logistique. Dès la programmation achevée, elle prépare les feuilles de route pour les 170 invités des Correspondances. Son objectif ? « Que chaque personne qui vienne à Manosque pour travailler n'ait pas de question logistique à se poser. » Le fait d'être organisé sur un petit territoire confère à ce rendez-vous une intimité qui lui donne un charme particulier. « Les capacités hôtelières ne permettent pas une extension de la programmation », confie celle qui édite le planning des sept à neuf chauffeurs qui font la navette entre Aix-en-Provence TGV ou Marseille Marignane et la cité du Luberon, au gré des départs et des arrivées. « Entre le 15 août et le 15 septembre, c'est le Tetris avec les chambres d'hôtel, s'amuse-t-elle. Je souffle une fois que le dernier est dans son train », généralement le mardi de la semaine suivante. Déjà, octobre pointe le bout de son nez, les sélections des grands prix d'automne sont tombés et une part importante des auteurs présents à Manosque y sont nommés... C'est l'une des réussites de l'équipe des Correspondances : savoir anticiper dès le mois de mai les sujets et les noms dont on parlera à l'automne, à Manosque et ailleurs ... 

En chiffres

Salon, foire ou festival ?

Les rendez-vous littéraires ont repris le vocable de l'événementiel économique pour communiquer autour de leur manifestation. Dernièrement, c'est le Salon du livre de Paris qui s'est mué en Festival du livre de Paris. Pour son directeur Jean-Baptiste Passé, cette évolution nominale a été naturelle, car « elle représentait le retour de la création littéraire au cœur de l'événement ». Au-delà du symbole, la dénomination a son importance, même si en matière de livre, comme souvent, les caractères culturel et commercial du produit entraînent une spécificité des modes de consommation. Et si les notions de foire, festival et salon sont précises, elles perdent parfois de leur justesse concernant le monde du livre. Ainsi, une foire est un lieu d'exposition qui mélange les genres. Dans le sens commun, elle permet au public d'acheter des produits en promotion. Ce n'est pas le cas pour le livre, du fait de la loi Lang. Un salon est une exposition de stands de même nature, mettant en valeur des exposants, à savoir les éditeurs. Enfin, le festival a une dimension culturelle forte, qui met en valeur la création. « On peut retrouver un festival organisé au sein d'un salon ou d'une foire », fait valoir Sylvie -Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil.

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