Roman/France 6 mars Maryline Desbiolles

D'Alfred Machin, mort en 1929 à 52 ans, il reste un nom inscrit sur une tombe dans un petit cimetière au-dessus de Nice, et aussi le double au papier carbone conservé par son fils Claude, de la page du « cahier d'entrée » du Muséum d'histoire naturelle de la ville, correspondant au don en 1928 d'un grand pélican blanc. Alfred Machin fut pourtant un réalisateur prolifique, un pionnier du cinéma français qui a tourné au cours des trois premières décennies du XXe siècle près de cent cinquante films mettant en scène des animaux sauvages dressés et des enfants ainsi que de très nombreux documentaires, et dont l'une des premières œuvres, Maudite soit la guerre, est même sorti à New York en 1914.

Ce n'est pas la première fois que Maryline Desbiolles tire de l'oubli des destins remarquables et méconnus qui ont accompagné en toute discrétion l'histoire de Nice, la ville si chère à son cœur, où elle vit. Dans Le beau temps (Seuil, 2015), elle mettait dans la lumière un autre citoyen émérite, Maurice Jaubert, un pionnier lui aussi dans la composition de musiques de film. Mais l'écrivaine n'est pas biographe. Elle est une formidable romancière et son évocation de la famille Machin, portrait en creux, hommage par procuration, est inscrite dans la fiction. La trajectoire du cinéaste est tissée dans celle du narrateur, André, enfant dans le Casablanca des années 1950. C'est lui le passeur, le médiateur d'une mémoire qu'il tient lui-même de Claude Machin dit « monsieur Cloclo », le dernier des trois enfants d'Alfred, garagiste à Casa. C'est André qui se souvient des récits de Claude, livrés à l'intérieur de l'habitacle de voitures en réparation. Claude y faisait revivre les aventures de son père qu'il idolâtrait, les films muets souvent burlesques que le cinéaste a tournés et dans lesquels son fils, né en 1921, a fait l'acteur les huit premières années de sa vie, « enfant vedette » partageant l'affiche avec le singe Auguste et la panthère Mimir. Comme dans une salle de cinéma sans images : « Nous sommes dans la voiture comme dans un abri de jardin, une cabane, un cabiolon. » Au cours de ces séances privées, monsieur Cloclo retrace avec ferveur pour André, enfant « silencieux, discret et retenu », fils unique d'Européens installés au Maroc, le parcours de son « explorateur cinématographiste » de père, qui a commencé sa carrière en Afrique avant de fonder à Nice, route de Turin, les Studios Bon voyage, une « île enchantée », un incroyable studio-ménagerie. « Monsieur Cloclo me raconte les films et sans doute les invente-t-il sur les bords et moi à sa suite en me souvenant mal de ses paroles. » Du Maghreb à l'extrême sud-est de la France, de Casablanca au Mans où la famille d'André s'installe en 1965, du garage de monsieur Cloclo à la promenade des Anglais au début juillet 2016, à travers la vie d'André et les souvenirs infusés, enchâssés les uns dans les autres, Maryline Desbiolles ressuscite le cinéma des Machin, des époques et des lieux disparus. Et avec elle, on peut voir, comme le jeune André, « les films sur parole ». 

Maryline Desbiolles
Machin
Flammarion
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 15 euros ; 144 p.
ISBN: 9782081471986

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