Présidentielle

Forum Livres Hebdo : questions aux politiques

Alain Hayot, conseiller régional Paca, Front de gauche culture, représentant de Jean-Luc Mélenchon. Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, chargée de la culture dans l'équipe d'Eva Joly. Aurélie Filippetti, députée de Moselle, chargée de la culture, de l'audiovisuel et des médias dans l'équipe de François Hollande. François Bayrou, député des Pyrénées-Atlantiques. Fabrice Piault, Livres Hebdo. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication. Marin de Viry, conseiller en communication de Dominique de Villepin. Gaël Nofri, conseiller politique de Marine Le Pen. - Photo LAURENT SAZY

Forum Livres Hebdo : questions aux politiques

Les représentants des candidats à l'élection présidentielle ont présenté leurs ambitions pour le livre avant de se soumettre aux questions des professionnels. Au coeur de la discussion : la santé des librairies, la restriction des budgets, le droit d'auteur et la TVA.

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Par Mylène Moulin
Créé le 09.02.2015 à 18h35 ,
Mis à jour le 02.03.2015 à 12h38

Il planait un petit air de campagne jeudi 16 février sur la Maison de l'Amérique latine (Paris 6e). Invités au forum Livres Hebdo, qui avait pour thème "Présidentielle : quelle politique pour le livre ?", un candidat à l'élection présidentielle d'avril 2012 en personne et les représentants de ses principaux rivaux sont venus exposer leurs propositions pour le livre devant quelque deux cents professionnels. A la tribune des invités : le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, François Bayrou, la sénatrice Marie-Christine Blandin (représentant Eva Joly), la députée Aurélie Filippetti (pour François Hollande), le conseiller régional Paca Alain Hayot (pour Jean-Luc Mélenchon), Gaël Nofri (pour Marine Le Pen) et Marin de Viry (pour Dominique de Villepin). Disposant chacun de sept minutes pour présenter les mesures qu'ils mettront en place en cas de succès à l'élection, ils se sont soumis - plus ou moins docilement - à l'exercice du "speed dating" politique. Attendus par les professionnels sur de nombreux sujets comme la défense du prix unique, le régime fiscal du livre papier et numérique, la promotion de la lecture ou encore la place du livre dans le système éducatif, ils ont été unanimes à clamer leur amour pour le livre et ont rassuré l'auditoire sur leur "soutien au secteur".

Matthieu de Montchalin, président du SLF.- Photo LAURENT SAZY

La valse de la TVA

A tout seigneur, tout honneur, Frédéric Mitterrand, ministre en exercice représentant le candidat Nicolas Sarkozy, a été le premier à prendre la parole. Citant Jérôme Lindon, il a ouvert la séance en qualifiant le livre d'"affaire de civilisation, irréductible à sa dimension économique et qui engage une conception de la société", avant d'entamer un bilan de son mandat : loi sur le prix unique du livre numérique, appui des éditeurs français contre Google devant les tribunaux américains et création du label Lir pour les librairies indépendantes. Le ministre a défendu les politiques engagées autour du livre pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, notamment la hausse de la TVA en affirmant : "On ne reviendra pas sur le passage à 7 %."

Antoine Gallimard, président du SNE.- Photo LAURENT SAZY

Une aubaine pour les intervenants suivants, dont l'ordre de la prise de parole avait été tiré au sort, qui se sont emparés du sujet. Si Marin de Viry a affirmé comprendre que les librairies, "dont le taux de rentabilité tangente le zéro, sont davantage préoccupées de savoir si elles vont passer l'année que par une réflexion sur l'avenir et une éventuelle restructuration", il n'envisage pas pour autant de toucher à cette mesure, pas plus que François Bayrou. De son côté, Gaël Nofri (Front national) la considère "dangereuse et contre-productive" et promet d'aligner la TVA du livre sur celle de la presse (2,1 %). Pour Eva Joly et Europe Ecologie, Marie-Christine Blandin a réclamé la même mesure. Dans son intervention, Aurélie Filippetti, quant elle, a confirmé à la tribune un retour à la TVA à 5,5 % si François Hollande est élu à la présidence de la République, "puisqu'on sait très bien que l'augmentation de la TVA risque de peser sur les marges déjà très faibles des libraires indépendants".

Vincent Monadé, Motif.- Photo LAURENT SAZY

La santé de la librairie

Après les interventions, place aux questions. Amusé par les remarques des politiques frustrés de devoir céder le micro - on se souviendra de Frédéric Mitterrand bougonnant : "c'est pas la peine de venir si on ne peut pas parler" - mais resté sur sa faim, le public s'agite. Les mains se lèvent. Pêle-mêle seront évoqués le silence de la tribune sur les bibliothèques (voir p. suivante), le problème de la délocalisation des activités d'impression, l'importance de la place de la lecture à l'école. Au coeur des préoccupations des professionnels présents, la santé de la librairie a fait l'objet de nombreuses questions. Rappelant que les librairies indépendantes "ne sont pas les seules à souffrir de la cherté des loyers et de l'augmentation de la TVA", Marie-Séverine Micalleff, directrice du livre à la Fnac, a incité les personnalités politiques présentes à "sortir des schémas habituels et mettre en place des mesures qui s'adressent à tous les acteurs du secteur pour leur permettre de contrer une concurrence qui sera bientôt mondiale". En réponse, Gaël Nofri a assuré que la Fnac et les grandes surfaces culturelles en général avaient à ses yeux un rôle aussi important dans le maillage du territoire que les librairies indépendantes, et Alain Hayot a affirmé que si le Front de gauche était élu en mai, il prendrait des mesures contre la concentration, "mais ne tirera pas sur les grandes surfaces qui vendent du livre".

"Il faut arrêter de dire que les libraires ont le sentiment de ne pas être écoutés, c'est tout à fait exagéré. Je suis en relation permanente avec eux depuis un an !" FRÉDÉRIC MITTERRAND, MINISTRE DE LA CULTURE- Photo LAURENT SAZY

Matthieu de Montchalin, président du Syndicat de la librairie française, a fait remarquer que c'est la première fois que la librairie tient une place aussi importante dans une campagne électorale. "Les libraires vont mal mais ne sont pas désespérés de leur situation. Ils sont inquiets, conscients que les difficultés ne vont pas disparaître d'un claquement de doigts", a-t-il affirmé, ajoutant en clin d'oeil à Frédéric Mitterrand, plutôt virulent sur le portail des libraires : "Et juste un dernier mot : 1001libraires.com n'est pas mort." C'est en tout cas un libraire bien vivant et bien en voix qui a interpellé le ministre de la Culture sur le label Lir. Augustin Petit, de la librairie Résonances à Avion, a créé une certaine émotion dans l'assistance en dénonçant "une chasse aux libraires indépendants", et en demandant "comment éviter l'opacité des aides qui sont allouées par le CNL via les Drac". Une intervention pertinente, selon Frédéric Mitterrand, qui a reconnu que les collectivités territoriales ne "jouent pas toujours leur rôle dans la bonne distribution des subventions aux librairies". A Vincent Monadé, directeur du Motif, qui demandait à quand d'autres avantages substantiels pour la librairie et une réduction des charges patronales pour les librairies labellisées Lir, le ministre de la Culture a répondu, avec impatience : "Il faut arrêter de dire que les libraires ont le sentiment de ne pas être écoutés, c'est tout à fait exagéré. Je suis en relation permanente avec eux depuis un an !"

" Le meilleur moyen pour retrouver une TVA à 5,5 %, c'est que François Hollande soit élu en mai." AURÉLIE FILIPPETTI, RESPONSABLE CULTURE AUPRÈS DE FRANÇOIS HOLLANDE. "La survie des librairies est un enjeu politique, il faut bâtir une politique conjointe avec les collectivités locales, notamment pour donner le temps aux libraires d'accomplir leur mutation." FRANÇOIS BAYROU- Photo LAURENT SAZY

De son côté, Aurélie Filippetti a proposé de mettre en place une "taxe Amazon" et d'agir sur les frais de port "afin de mettre un terme à une situation de concurrence déloyale".

"Je voudrais parler des auteurs vivants. »

Au milieu des grandes questions sur le devenir du secteur, l'intervention de l'écrivaine Annie Mignard a permis d'orienter le débat autour d'un des maillons capitaux de la chaîne du livre : l'auteur. Avec beaucoup d'humour, elle a pointé du doigt les problématiques liées aux droits sociaux des auteurs, notamment leur retraite : "J'ai entendu des propos très émouvants sur les auteurs morts qui sont encore vivants, je voudrais parler des auteurs vivants qui ne sont pas encore morts. Comment ferons-nous pour vivre à la retraite ?" Une question qui a surpris François Bayrou, reconnaissant que lui qui est aussi écrivain "n'a jamais réfléchi à la retraite des auteurs", et touché Frédéric Mitterrand, premier à constater qu'"on parle de livres, mais personne ne parle d'écrire".

Marie-Séverine Micalleff, directrice du livre à la Fnac.- Photo LAURENT SAZY

L'occasion en or de débattre d'un autre thème intimement lié aux écrivains et à l'actualité : le droit d'auteur. Antoine Gallimard en a donc profité pour rappeler que le SNE se rend régulièrement à Bruxelles, et y observe avec inquiétude "la tendance d'un certain nombre de députés et d'élus à multiplier les exceptions au droit d'auteur". Le président du SNE a sollicité le point de vue de la tribune sur cette réalité. Si Marie-Christine Blandin s'est dite investie dans la lutte pour les droits d'auteur et pense dès à présent à "réinventer ce qui va remplacer Hadopi", Aurélie Filippetti a dénoncé le "non-statut de l'écrivain". Le forum, au ton bon enfant et direct, s'est conclu sur une boutade de Frédéric Mitterrand : "C'est Amazon", s'est-il écrié, quand un peu avant la fin du débat, une panne de courant a plongé quelques instants la salle dans l'obscurité.

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