Au pied de Dune. C'est un livre oublié. Un ouvrage posthume écrit par Frank Herbert (1920-1986) juste avant l'immense Dune, classique de la science-fiction qui fut, lui, publié en 1965 et que les adaptations cinématographiques de David Lynch en 1984 et de Denis Villeneuve en 2021 ont fait découvrir à de nouvelles générations. Retrouvé parmi les archives de l'auteur, La chute des anges est paru en 2013 aux États-Unis avant d'arriver en France près de soixante-dix ans après sa rédaction. Ce texte achevé en 1957, dont le titre initial était We Are The Hounds, avait été adressé à l'époque par Frank Herbert à plusieurs éditeurs. « Je suis persuadé que ce roman fera son chemin s'il bénéficie d'un coup de pouce initial », écrivait-il, convaincu, à son agent. Il n'en aura pas. Malgré des réécritures et un changement de titre, La chute des anges (Angels' Fall en VO) ne sera jamais publié de son vivant. Herbert, auteur d'une vingtaine de romans, a longtemps cherché sa voie, explorant les registres politique, écologique et psychologique. Il flirte ici avec le roman d'aventures et le thriller, rêvant déjà des ors d'une adaptation à Hollywood.
À l'opposé de l'aridité hydrométrique et végétale de Dune, La chute des anges se déroule dans l'étreinte moite et saturée de la jungle sud-américaine. Un pilote privé, à l'hydravion vétuste, Logan, figure aussi réticente et intéressée qu'Han Solo dans Star Wars, accepte la mission - contre prime - de conduire une Américaine au charme androgyne et son fils adolescent vers une zone reculée de l'Amazonie, à la recherche de leur mari et père, Roger Bannon. Leur hydravion survole un homme seul, en fuite sur une pirogue, pourchassé par des Indiens : l'associé du mari disparu. Très vite, le lecteur comprend que, derrière ses accusations - les Indiens ont tué Bannon à coups de fléchettes empoisonnées, « saletés de Jivaros ! » -, il est en réalité son assassin. Dans sa gibecière, quatre émeraudes géantes trahissent la connaissance d'un filon et la raison de son geste... Une course-poursuite sur le fleuve Amazone s'engage, avec un hydravion qui flotte plus qu'il ne vole, son pilote téméraire, une femme qui chante délicieusement, un adolescent pleutre, un assassin cupide et un maigre kit de survie en nature hostile.
Le roman, huis clos flottant, enchaîne les rebondissements - pièges mortels, piranhas, tourbillons -, hélas brossés avec une constante intensité narrative. Le suspense s'émousse alors et l'on a parfois l'impression de descendre un long fleuve tranquille, plus réflexif que dramatique, avant une chute qui n'a rien à voir avec celles du Niagara : démasquer le « maná-wakani, la créature-démon à l'âme d'animal dans un corps d'homme », le méchant associé. Malgré tout, le roman ne manque pas d'intérêt. On peine à croire que George Lucas et Steven Spielberg n'aient eu vent de ce texte en construisant Les aventuriers de l'arche perdue, le premier Indiana Jones (1981), tant les similitudes, nombreuses, sautent aux yeux. Et puis, dégoter un inédit d'Herbert, même mineur, se révèle précieux pour tous ceux qui s'intéressent aux marges et/ou aux débuts des grands auteurs de science-fiction.
La chute des anges
Robert Laffont
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Fabien Le Roy
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 21,50 € ; 400 p.
ISBN: 9782221278864