Voilà plusieurs livres, notamment Derrière les panneaux, il y a des hommes, (Finitude, 2015), Grand Prix de littérature policière, que le suisse Joseph Incardona est considéré comme l'un des maîtres du roman noir contemporain. Son dernier roman, La soustraction des possibles, très certainement le plus abouti de tous, sans renoncer en rien aux possibilités du noir oblige désormais à l'apprécier comme bien plus encore qu'un romancier du genre.
De quoi s'agit-il ? Peut-être avant tout d'une ville, où il vit et écrit, Genève prise à un moment clé de son histoire, la toute fin des années 1980. Plus que jamais, cette ville est celle des banques, des petits secrets et des grandes fortunes, mais à l'heure où l'ancien monde s'écroule, cette ville s'apprête à mettre au point le « world wide web » qui révolutionnera durablement le capitalisme mondial, la manière de faire de l'argent et aussi, cela va de soi, d'en détourner ou d'en blanchir. En attendant ce jour, c'est « business as usual », surtout pour deux « petites mains » des multiples systèmes de fraude organisés. Il y a d'abord Aldo, un prof de tennis qui arrondit l'ordinaire en étant un peu gigolo sur les bords, notamment pour les besoins d'une femme trop riche et bovarysante, Odile, magnifique personnage gagné peu à peu par la tristesse et le temps qui passe, et surtout en acceptant de passer des valises d'un côté à l'autre de la frontière franco-suisse. La réceptionniste de ces valises, c'est Svetlana qui a échappé à son Union Soviétique natale et agonisante pour devenir une jeune financière prometteuse, mais qui, pas plus que le grand capital qui la dirige, ne sait se mettre de limites morales ou légales. Les deux vont se rencontrer, alors qu'ils n'auraient pas dû, se reconnaître en somme, s'aimer et vouloir peut-être voir trop grand, trop loin de l'horizon uniformément calme du lac Léman.
Présenté comme cela, peut-être La soustraction des possibles, joli titre pour un livre où il n'est question que d'additions, apparaîtra-t-il comme plus classique qu'il ne l'est réellement. Son ambition est pourtant bien réelle et va bien au-delà de cette histoire de Bonnie & Clyde genevois. C'est toute une génération, c'est tout un monde, c'est tout un système que nous présente Incardona, dont les détours romanesques, par exemple du côté de Charles-Ferdinand Ramuz ou du peintre Ferdinand Hodler, mais aussi au cœur de la « bête » financière, sont toujours passionnants.
La soustraction des possibles
Finitude
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 23,50 euros ; 400 p.
ISBN: 9782363391223