Avant-Critique Essai

Giles Milton, "Berlin année zéro. La première bataille de la guerre froide" (Noir sur Blanc) : Tout commence à Berlin

Giles Milton - Photo © Alexandra Milton

Giles Milton, "Berlin année zéro. La première bataille de la guerre froide" (Noir sur Blanc) : Tout commence à Berlin

Avec son sens de la narration et sa précision historique, l'historien britannique Giles Milton nous plonge dans les premières années de la guerre froide à Berlin.

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Par Laurent Lemire
Créé le 12.05.2022 à 11h00 ,
Mis à jour le 12.05.2022 à 16h13

Il faudrait inventer un terme pour qualifier le talent de Giles Milton. Il travaille ses livres comme des films. D'ailleurs la similitude ne s'arrête pas là. Les premières pages plantent le décor avec une série de cartes, notamment celles des secteurs de Berlin. Ensuite, il y a la liste des principaux personnages, américains, anglais, russes et français. C'est alors que commence l'histoire caméra. Le premier acte s'ouvre sur Yalta. Roosevelt et Churchill sont accueillis par Staline, le négociateur redoutable de la conférence. Ça y est, le lecteur est immergé dans l'événement. Tout est vrai, l'historien britannique cite à bon escient, donne toutes les références en fin de volume. Les scènes se suivent, les dialogues aussi. Soudain une question de Staline à Roosevelt : combien de temps les troupes américaines vont-elles rester en Europe ? « Deux ans au maximum » répond le président américain. Le petit père des peuples a la moustache qui frise. Churchill en a le cigare coupé. Si la sécurité de l'Europe d'après-guerre n'est plus assurée par les Yankees, il va se retrouver face à l'Armée rouge comme la seule grande puissance sur le continent...

L'anachronisme est un danger en histoire, mais l'analogie provoque des stimulations. En ne faisant que raconter ce qui s'est mis en place hier, Milton nous incite à observer différemment aujourd'hui. Et si le XXIe siècle avait commencé à Berlin ? Et si tout s'était mis en place durant ces trois années, les mensonges, l'intoxication, les violences, les viols des soudards de l'Armée rouge sur la population civile, et les razzias. Les Soviétiques s'adonnent à Berlin « au plus grand pillage de l'histoire du monde », les nazis ayant donné l'exemple en la matière en dérobant les biens non pas d'une ville, mais de l'Europe... Contre l'évidence historique, le Kremlin joue avec la vérité. « Staline voulait cacher qu'Hitler s'était suicidé et encourager les rumeurs faisant état d'une possible fuite à l'étranger, ce qui pourrait servir comme arme de propagande contre les alliés occidentaux. »

Et les alliés, que font-ils ? Ils finissent par comprendre, comme le colonel américain Frank Howley, dit « Howlin' Mad » (le fou furieux). Les Français sont plus discrets, Staline n'ayant pas voulu d'eux à la table des négociations. Le général Pierre Koenig, gouverneur militaire de la zone d'occupation française, organise son territoire, l'un des plus sinistrés de la ville, comme il peut. Churchill retrouve son instinct de vieux lion et prononce un discours prémonitoire qui agace les Américains. Il parle du « rideau de fer » mis en place par Staline. En 1948, c'est le blocus de Berlin et le pont aérien pour empêcher que la dernière grande ville de l'Est ne tombe sous la coupe de l'URSS. Giles Milton ne force jamais les faits. Ils les laissent s'imposer. Et l'on comprend alors que le plus difficile ce n'est pas de voir, mais de comprendre ce que l'on voit...

Giles Milton
Berlin année zéro. La première bataille de la guerre froide Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Florence Hertz
Noir sur Blanc
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 24 € ; 448 p.
ISBN: 9782882507426

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