Roman graphique

Glenn Head, "Le manoir de Chartwell" (Delcourt) : Une vie volée

Le manoir de Chartwell - Photo © Glenn Head/Delcourt

Glenn Head, "Le manoir de Chartwell" (Delcourt) : Une vie volée

Ado, Glenn Head a passé deux années dans un collège dirigé par un pédophile. Dans un récit autobiographique sans fard, il raconte comment cet épisode traumatique a abîmé toute sa vie et celle de ses camarades.

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Par Anne-Claire Norot,
Créé le 30.03.2022 à 16h00

À 13 ans, en 1971, Glen, mauvais élève bagarreur, est envoyé par ses parents redoubler sa cinquième à Chartwell Manor dans le New Jersey. Ce pensionnat privé aux allures d'école d'Harry Potter et au décorum pseudo-britannique est dirigé par Terence Lynch, un expatrié anglais. Alors que l'école a fait bonne impression à la famille Head lors de l'inscription, on est pourtant très loin de Poudlard. Châtiments corporels, attouchements, abus sexuels, violences physiques et psychologiques, Glen va vite découvrir que rien n'est épargné aux pensionnaires de la part du directeur. Ce pédophile pervers prétexte la discipline et son amour des élèves pour justifier ses actes auprès d'eux, et joue sur l'affection et la culpabilité pour s'assurer leur silence. L'histoire est malheureusement autobiographique et Glenn Head (avec deux « n » contrairement à son double de papier), qui passa deux ans à Chartwell, a mis près de cinquante ans pour parvenir à la raconter. Dans cet album au dessin très maîtrisé, entre Crumb et Daniel Clowes, Glenn Head, entre-temps devenu un auteur et illustrateur reconnu, retrace sans fard, sans filtre, avec sincérité et néanmoins une certaine pudeur, ce qui s'est passé à l'époque.

Le récit est d'autant plus puissant que Glenn Head ne se contente pas de relater ces faits mais consacre les deux tiers de l'album à la façon dont cette période et ces traumatismes l'ont poursuivi toute sa vie, empoisonnant ses relations avec les filles et avec ses parents, sa vie sexuelle, son travail, et le faisant plonger dans diverses addictions (porno, alcool). Comment gérer ces souvenirs, leurs répercussions ? Glenn Head a passé son existence à se le demander. Il n'arrivera jamais à en parler franchement avec ses parents, qui ne veulent pas entendre et préfèrent enfouir la vérité qu'ils devinent néanmoins.

En 1988, il envisage la possibilité d'en faire une bande dessinée, mais ressusciter l'histoire sur papier l'effraie. Périodiquement, l'idée ressurgit, notamment en 1991, où il commence à s'intéresser aux démêlés de Lynch avec la justice - des accusations ont surgi au milieu des années 1980. Mais même ses rencontres, au fil des années, avec d'anciens camarades de Chartwell, tous plus bousillés les uns que les autres - l'un est un trafiquant de drogue en prison, un autre est à demi-fou, un troisième est alcoolique... - n'arrivent pas à le motiver. Il le reconnaît, il veut juste enterrer tout cela. Ce n'est qu'au terme de cette longue gestation que Glenn Head finira, en 2020, par livrer ce récit vivant et courageux, dans lequel il partage son témoignage brut, sans pathos, indispensable.

Glenn Head
Le manoir de Chartwell Traduit de l’anglais (États-Unis) par Samantha Goldfarb
Delcourt
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 27,95 € ; 240 p.
ISBN: 9782413043454

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