Perdue dans Rome. L'histoire est connue et dit sans doute quelque chose de la France aux blessures historiques mal soignées de la fin du gaullisme. Au printemps 1969 à Orléans, une rumeur court selon laquelle des jeunes femmes auraient disparu, enlevées dans des cabines d'essayage de magasins de prêt-à-porter tenus par des commerçants juifs, et livrées à la très fantasmatique « traite des blanches ». Si ce n'est qu'elle fut révélatrice d'une résurgence insensée d'un antisémitisme fétide, l'affaire pouvait paraître loufoque (jamais aucune disparition ne put en effet être établie). Mais la rumeur dite d'Orléans fit grand bruit et mit longtemps à s'éteindre tout à fait. Edgar Morin lui consacra une enquête sociologique qui fait aujourd'hui encore autorité.
C'est de cette affaire que s'est inspirée la jeune écrivaine et philosophe italienne Ilaria Gaspari pour son roman Une rumeur dans le vent, nouvel ouvrage traduit en français après notamment L'éthique de l'aquarium (Grenelle, 2017) et Raisons et sentiments (Plon, 2024). Nous voici à Rome, dans les années 1980. La narratrice, Barbara, 27 ans, est arrivée sur les bords du Tibre officiellement pour achever sa thèse de philosophie, en réalité pour poursuivre une histoire d'amour éteinte avant d'avoir vraiment commencé. En proie à une certaine précarité, elle trouve un emploi de vendeuse dans une très chic boutique de vêtements tenue par une Française installée en Italie depuis longtemps, égérie de la jet-set romaine, dont les qualités de goût, de cœur, de tact impressionnent la jeune femme. Sous la férule élégante et bienveillante de sa patronne, Barbara, au contact des autres employés du magasin qui seront bientôt pour elle comme une seconde famille, ne tarde pas à acquérir les codes de comportement et de séduction qui lui avaient jusqu'alors manqué. Le magasin connaît un succès immense en se vouant surtout à la mode pour jeunes filles. Mais, bientôt, cette réussite sera balayée par l'ombre noire de la diffamation et de la rumeur. En fait, dans ce magistral Une rumeur dans le vent, c'est comme s'il y avait deux livres en un - d'abord une chronique du temps passé puis la relation d'une rumeur criminelle - et que dans le même temps, l'un découle de l'autre de la plus harmonieuse des manières. C'est un roman noir à forte coloration sociologique qui naît sur les cendres de La dolce vita... Il y a dans ces pages du Modiano et du Moravia. L'évidence, romanesque entre toutes, que la vie est un songe.
Une rumeur dans le vent
Le Bruit du monde
Traduit de l'italien par Romane Lafore
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782386010279