Passer le pont. Commençons par le commencement. Une scène initiale. « Des enfants, des landaus, des meubles, des ânes, des charrettes, tout ce qu'on peut prendre. Bien plus que toi, qui es partie les mains vides. Et soudain tous sont là, sur ce pont, devenu l'univers entier ; là où toute la vie se passe, déferle. Les corps vivants ne marchent que dans une direction, vers la France, aucun ne rebrousse chemin. Des femmes et des hommes, ton peuple est en mouvement. » Été 1936, scène d'exode sur un pont au-dessus de la Bidassoa et vies suspendues. D'un côté, l'Espagne et les désastres de la guerre, de l'autre, la France et un refuge qui ne cessera d'être précaire. D'un côté, Irun, de l'autre, Hendaye. D'un côté, le Pays basque, de l'autre, également, à jamais le même et, pour tous ceux qui franchirent ce jour-là ce pont, à jamais différent. Parmi ces pauvres hères, femmes et enfants pour beaucoup d'entre eux, fuyant les combats, il y a Enriqueta, ses fils, ses parents. En quelques minutes seulement, elle a abandonné la maison familiale et le riz au lait préparé pour l'anniversaire de son cadet pour se réfugier de l'autre côté de la frontière. Elle ne le sait pas encore, peut-être le pressent-elle, il n'y aura pas de retour pour elle, les siens, son peuple d'exilés, avant des dizaines d'années.
Cette femme emportée par l'Histoire, Enriqueta, c'était la grand-mère de Léonor de Récondo. C'est à son destin, à celui de sa famille, à l'interrogation gorgée de colère, de chagrin et de poésie sur ce que signifie l'exil, que la romancière consacre son nouveau livre, Marcher dans tes pas - Léonor de Récondo fait pour l'occasion son arrivée aux éditions de L'Iconoclaste. C'est un beau récit, ample, qui fouille dans les blessures de l'histoire familiale bien sûr et qui, sur la question des femmes et des migrations, résonne douloureusement avec notre temps... Notons par ailleurs que l'autrice publie aussi en cette rentrée, chez Verdier, Goya de père en fille, qui est comme un texte en miroir de celui-ci. Les mêmes obsessions s'y développent, l'exil, la guerre, la mémoire, à travers les toiles de Goya et de son père, le peintre Félix de Récondo.
Marcher dans tes pas
l'Iconoclaste
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 252 p.
ISBN: 9782378805012
Goya de père en fille
Verdier
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 7 € ; 64 p.
ISBN: 9782378562526