Histoire/France 27 février Gilles Ferragu

L'otage est la figure de l'outragé : l'individu, bafoué dans sa dignité d'humain, réduit au rang d'objet, devenu monnaie d'échange d'un odieux marchandage. L'histoire contemporaine foisonne d'images de captifs, l'air hagard, se faisant les porte-paroles contre leur gré des demandes d'une faction politique ou d'un groupe terroriste... On se souvient du rapt et de l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978 et des otages américains à Téhéran l'année suivante - un Etat violait la sacro-sainte enceinte d'une ambassade. Il y eut les otages français au Liban, au Sahel, la prisonnière des Farc Ingrid Betancourt, la journaliste Florence Aubenas enlevée en Irak...

Mais si l'otage est la proie de la violence révolutionnaire ou de la terreur totalitaire, il a aussi été, comme le rappelle Gilles Ferragu, le pion des Etats eux-mêmes sur l'échiquier international.

De l'Antiquité jusqu'au XVIIIe siècle, l'otage subit avant tout la violence étatique « dans le cadre d'un accord ». Etant considérés comme les sujets d'un roi et soumis au fait du prince, les otages pouvaient être offerts à la partie adverse et ainsi constituer le garant de la bonne foi des gouvernements dans une négociation de paix. Le kidnapping des civils était une pratique qui découlait de cette conception de l'Etat et de la personne. Lors de la Guerre de cent ans, six bourgeois de Calais se sont livrés à Edouard III d'Angleterre, otages prêts à sacrifier leurs vies afin d'épargner leur ville de la destruction.

Gilles Ferragu dresse une typologie de l'otage. « L'otage comme hôte », en Grèce et à Rome, n'est pas toujours si mal traité, comme le note Tite-Live à propos des Carthaginois entourés de leurs femmes et enfants. Au Moyen-âge, l'otage est l'instrument-clé de la diplomatie, et ce gage sous forme humaine est parfois de sang royal...

La pratique de l'otage diplomatique prend fin avec le traité d'Aix-la-Chapelle en 1748. Dans une première version, un de ses articles stipulait une remise d'otages comme garantie du respect d'une disposition, ce qui suscita un tollé parmi les juristes champions du droit des gens, dont nous sommes les héritiers et bénéficiaires. Dès lors, la notion d'otage est rejetée au-delà d'un cadre juridique, reléguée au seul fait terroriste.

Cette histoire fascinante se double d'une réflexion philosophique sur la confiance faite aux pouvoirs publics - la dialectique entre l'infini et la totalité : que vaut l'inviolabilité de la personne quand elle est prise dans un réseau de règles dont l'essence ultime est la raison d'Etat ?

Gilles Ferragu
Otages, une histoire : de l'Antiquité à nos jours
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 9,70 euros ; 544 p.
ISBN: 9782070466757

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