Dans les pas du pape. Le préambule dit tout : « Je suis athée. Je suis anticlérical. Je suis un laïc militant, un rationaliste obstiné, un impie rigoureux. Et pourtant je me trouve ici, dans un avion à destination de la Mongolie en compagnie du vieux vicaire du Christ sur la terre, m'apprêtant à l'interroger sur la résurrection de la chair et la vie éternelle. [...] Voilà donc un fou sans Dieu poursuivant le fou de Dieu jusqu'au bout du monde. »
On connaissait Javier Cercas pour ses romans qui mêlent grande histoire, autofiction et tension morale, comme Les soldats de Salamine (Actes Sud, 2002) ou L'imposteur (Actes Sud, 2015), ou pour ses livres policiers, avec la série des enquêtes de Melchor Marín, entamée avec Terra Alta (Actes Sud, 2021). Avec Le fou de Dieu au bout du monde, l'écrivain espagnol s'est lancé, à 61 ans, dans un voyage de quatre jours à Oulan-Bator, en Mongolie, en compagnie du pape François (disparu le 21 avril 2025), à la demande du Vatican, en vue d'écrire un livre. « Ce serait la première fois que quelqu'un écrit un livre comme celui-ci, sur un déplacement du pape. La première fois que le Vatican ouvre ses portes à un écrivain, pour qu'il puisse parler avec qui il veut et demander ce qu'il veut », explique le directeur des éditions vaticanes à l'écrivain, comme le serpent tendant la pomme à Ève.
Une hérésie que ce « curophage » de Cercas, comme il se décrit, n'aurait acceptée s'il n'avait été mû par l'impérieux désir de poser une question presque naïve mais cruciale au souverain poncif : « savoir si ma mère allait revoir mon père après sa mort », écrit-il. Sous ce prétexte intime, appelant une réponse à transmettre à sa mère atteinte d'Alzheimer, Cercas construit un texte étonnant sur Dieu, la diplomatie, le doute. C'est en un sens un journal de bord, sur ses rencontres vaticanistes, missionnaires et laïques dans un pays qui ne compte que quelques centaines de catholiques. C'est aussi un essai sur la foi, où Cercas consigne les échanges, digresse sur ce que lui inspirent ses interlocuteurs. Le livre apparaît également comme une réflexion géopolitique autour de cet immense pays moins peuplé que la ville de Madrid, pris en étau entre deux grandes puissances, deux dépendances économiques, où l'on parle de la Chine, « nouvelle Union soviétique », et du déclin de la Russie. C'est encore un portrait du pape François, Jorge Mario Bergoglio de son vrai nom, l'Argentin que l'auteur tente de saisir dans ce récit teinté d'une ironie douce. Ce faisant, Javier Cercas se raconte aussi, un peu, enfin. La perte de la foi, à l'adolescence, et ses explorations pour trouver « un substitut de la foi perdue, des certitudes et de la sérénité que la religion procure ». La drogue, l'alcool, la course à pied, puis les livres, absolument. Car cet « impie rigoureux » l'avoue : il est un fou de littérature. Ce qui fait que son objet, le « fou de Dieu », n'est finalement pas si loin.
Le fou de Dieu au bout du monde
Actes Sud
Traduit de l'espagnol par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 24,50 € ; 480 p.
ISBN: 9782330208967