Vous êtes à 70 jours de la manifestation, quels défis vous restent à relever ?
Nous entrons dans la phase finale. Je suis impatient car persuadé du succès de cette grande fête. Le Festival du livre de Paris est un vrai pari. Nous avons fait le choix de nous éloigner de ce qui existe déjà pour innover. Sur les volets digital et scénographique, avec l’éclatement des lieux, notre concept repose sur une vision qui se rapproche, pour prendre un exemple existant, des rencontres d’Arles. Quand l’encaissement centralisé rappelle le fonctionnement des grands magasins.
Quel est le principe de cette scénographie ?
Nous avons présenté aux éditeurs notre conception des trois espaces au Grand palais éphémère : « penser », « raconter » et « imaginer » le monde. Et le défi a été largement relevé puisqu’ils ont accepté de fragmenter leurs stands dans ces différents espaces. Désormais, nous sommes en plein dans la phase de prospection. Car, ça y est, notre dossier d’inscription est en ligne ! La première maison d’édition inscrite est Sabine Wespieser.
Quels éditeurs ont déjà confirmé leur présence ?
Au sein du Grand palais éphémère, lieu central de la manifestation qui s’étend sur 6 500 m2, deux tiers des espaces éditeurs sont déjà optionnés. Les maisons de littérature d’Hachette Livre (Stock, Fayard, Grasset, JC Lattès, Calmann-Lévy…) ou Albin Michel ont déjà confirmé leur présence. Nous discutons également avec les maisons d’Editis et avons largement avancé avec Madrigall. Des maisons plus petites comme Philippe Rey, Liana Levi, Zulma ou Odile Jacob seront aussi là.
Vous citez d’abord les grands groupes. Or l’édition indépendante a émis début janvier des réserves sur sa participation par la voix de la Fédération des éditions indépendantes. Ces maisons dénoncent des tarifs trop élevés. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Le Festival du livre de Paris est une manifestation qui coûte plusieurs centaines de milliers d’euros. Nous avons fait le choix d'une entrée gratuite pour tous. On a engagé des sommes importantes pour obtenir un emplacement plus central, plus prestigieux. Nous avons construit une riche programmation, financé un site internet, imaginé un enregistrement des entrées, repensé une carte graphique. Les auteurs seront rémunérés selon les tarifs de la Charte. Tout ça, ça se paie… Quand j’ai mis en place la tarification, je me suis rapproché du contrôle de gestion de maisons d’édition de différentes tailles pour vérifier si elle était cohérente avec leur compte d’exploitation. Ainsi, un stand « coup de projecteur » est proposé à un tarif inférieur à son coût réel. D’une certaine manière, le dispositif « coup de projecteur » est en partie payée par les plus gros pour permettre aux plus petits d’être présents.

Outre les maisons d’édition indépendantes, les régionales sont aussi montées au créneau. Dans son communiqué du 8 février, la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) a d’ailleurs confirmé l’absence des régions au Festival du livre de Paris alors qu’elles étaient présentes à Livre Paris…
Là-dessus, j’ai le sentiment d’un rendez-vous manqué avec les régions. Encore une fois, nous sommes dans une configuration différente de Livre Paris. Si la place des régions n’a pas cessé de progresser au fil des années à Livre Paris, c’est parce que l’organisateur, Reed, augmentait la surface accordée aux éditeurs régionaux dès lors qu’un gros éditeur mettait fin à sa participation. Je me questionne sur la cohérence de ce mouvement de fonds.
Aujourd’hui le problème est autre. Et j’ai l’impression qu’il part de la mise en place d’un encaissement central. Du temps de Livre Paris, les éditeurs régionaux réussissaient à financer la manifestation en vendant des livres en direct sur lesquels ils n’avaient ni coût de diffusion, ni de distribution. Mais ce fonctionnement n’est plus possible aujourd’hui.
Pourquoi ?
Le Grand palais éphémère n’offre pas assez d’espace pour que chacun des exposants perdent 3 ou 4 mètres carrés dédiés à l’encaissement. L’encaissement centralisé est aussi là pour transformer l’expérience des visiteurs et permettre une déambulation plus libre. A la sortie du Grand Palais, nous disposerons deux rangées de 10 caisses. Nous prévoyons par ailleurs des TPE volants pour l’encaissement des livres dédicacés.
Quelle est la marge de profitabilité du Syndicat de l’édition dans cette manifestation, au regard de son modèle économique ?
Je pense que c’est un fantasme qu’il est important de dissiper : la filiale événementielle du SNE à une vocation de rentabilité mais pas de profitabilité. Si l’on cherche à fournir les mêmes équipements à tout le monde, c’est dans une logique durable et d’amortissement sur les trois prochaines années. Nos négociations sur la menuiserie se répercutent sur une baisse de tarification des lots de bois pour les exposants. Sur le plan financier, les éditeurs nous accordent une remise de 40% sur l’achat des livres. Une fois les coûts d’exploitation déduits - défraiement des libraires, consommables, informatique, logistique…- nous partageons la marge nette avec l’association Paris Librairies.
Est-ce un choix durable ?
Aujourd’hui, les contraintes sur les plans logistiques et calendaires empêchent de proposer la vente en direct en 2022 mais je ne suis fermé à rien. L’encaissement centralisé n’est pas une position idéologique. Nous avons fait le choix de la gratuité, et il faut que quelqu’un la paye. Cette manifestation est à 90% financée par les éditeurs, nous ne touchons que 10 % de subventions grâce au Centre national du livre et à la région Ile-de-France. C’est sans doute la seule manifestation qui tient sur ce modèle économique. Les autres manifestations sont portées par les pouvoirs publics et les territoires. Ce n’est pas notre cas.

Mais ne craignez-vous pas un festival qui serait uniquement le reflet d’une édition parisienne, portée par les grands groupes ?
Je ne réfléchis pas en fonction d’un marché qui repose sur des organisations capitalistiques. Je veux que ce festival illustre la pertinence de chaque ligne éditoriale auprès du grand public. On veut que ce festival parle à tous, que ce soit celui des grands lecteurs de sciences humaines tout comme celui des lecteurs de polars ou de fantaisy. Il n’y aura pas de délit de sales gueules.
La bibliodiversité n’est pas seulement incarnée par les acteurs de la Fill. Nous cherchons à construire la meilleure vitrine possible de l’édition française et non la plus exhaustive. C’est fallacieux de voir les choses à travers l’exhaustivité, la seule personne qui fait de l’exhaustivité sur le marché, c’est Amazon. J’assume donc une forme de subjectivité, une forme d’imperfection. Pour autant, nous continuons aujourd’hui à discuter avec de nombreuses petites maisons pour essayer de trouver des solutions ensemble.
L’autoédition aura-t-elle sa place au sein du Festival du livre de Paris?
Dans la chaîne du livre, l’éditeur occupe une place centrale. Si nous nous devons aujourd’hui de trouver des solutions pour les éditeurs les plus fragiles alors, pour l’instant, je crois que l’auto-édition n’a pas sa place dans la manifestation. Ce n’est pas un jugement de valeur mais une façon de donner toute son importance à l’éditeur.