Entretien

Jean-Christophe Rufin : dire une terre toujours humaine

Jean-Christophe Rufin - Photo Olivier Dion

Jean-Christophe Rufin : dire une terre toujours humaine

La prise en main de "Terre humaine" par l’académicien Jean-Christophe Rufin marque un tournant pour la collection culte fondée chez Plon par Jean Malaurie. Ses deux premiers livres paraissent le 27 octobre.

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Par Claude Combet,
Créé le 21.10.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 21.10.2016 à 08h24

Si Jean Malaurie veille toujours aux destinées de "Terre humaine", la célèbre collection anthropologique qu’il a fondée en 1955 chez Plon, l’académicien Jean-Christophe Rufin la prend désormais en main. Les deux premiers titres pilotés par le prix Goncourt 2001 (pour Rouge Brésil) paraissent, sous une nouvelle couverture, le 27 octobre : En Libye sur les traces de Jean-Raimond Pacho de Jean-Marie Blas de Roblès et La sentinelle de fer. Mémoires du bagne de Nosy Lava (Madagascar) de Roland Vilella. A la même date le nouveau site Internet terrehumaine.fr sera en ligne et Pocket inaugurera une nouvelle charte graphique pour la version poche de la collection avec une nouveauté, Les libérés de Ricciotto Canudo et deux remises en vente "incontournables", Mœurs et sexualité en Océanie de Margaret Mead et Rêves en colère de Barbara Glowczewski.

Livres Hebdo - Comment avez-vous réagi à la proposition de Plon de reprendre "Terre humaine" ?

Jean-Christophe Rufin - Je n’ai pas su répondre. J’étais gêné par rapport à Gallimard, qui m’a donné le feu vert, et partagé entre l’admiration pour la collection et l’envie qu’elle continue. Je n’en hérite pas puisque le papa est toujours là et reste président du comité éditorial. Mon rôle est d’animer ce comité éditorial, de faire émerger des idées et de donner des directions.

Quel avait été votre premier contact avec les livres de la collection ?

La lecture de Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss et de Des affaires de famille, la Mafia à New York de Francis Ianni, à partir duquel j’envisageais de faire un livre. J’ai aussi été marqué par Carnets de guerre, 1914-1918 d’Edouard Cœurdevey, Les poilus de Pierre Miquel, Les naufragés. Avec les clochards de Paris de Patrick Declerck, ainsi que par les livres de Jacques Lacarrière.

Dans quel esprit poursuivrez-vous le travail de Jean Malaurie ?

Nous poursuivrons les trois axes, dont les frontières sont d’ailleurs poreuses, développés au fil du temps : les anthropologues avec Claude Lévi-Strauss et les titres sur les Indiens ; les témoins avec Le Horsain et Le cheval d’orgueil ; les écrivains avec Jacques Lacarrière, Victor Segalen, Dominique Fernandez. Nous restons dans le même esprit, publier des livres qui le méritent. "Terre humaine" n’est pas réservée aux spécialistes ou aux anthropologues, mais tire son prestige de la qualité littéraire de ses textes et du caractère limité et choisi des publications.

Comment vos deux premiers titres s’inscrivent-ils dans ce programme ?

En Libye sur les traces de Jean-Raimond Pacho de Jean-Marie Blas de Roblès est un aller-retour entre passé et présent, entre un personnage historique et un écrivain contemporain qui connaît le pays, le tout en résonance avec ce qui s’y passe aujourd’hui. De son côté, La sentinelle de fer. Mémoires du bagne de Nosy Lava (Madagascar) de Roland Vilella est un pur témoignage. Nous avons aussi adapté la couverture au goût du jour tout en conservant les codes graphiques avec la photo, cette fois-ci en couleurs, et la titraille en blanc, noir et rouge.

Quels développements avez-vous en projet ?

J’ai pour mission de publier deux ou trois nouveautés par an et de faire vivre le fonds. Aux débuts de la collection, les cahiers photos n’étaient pas de très bonne qualité. Nous possédons le matériel de base et nous allons décliner les titres du fonds dans leur dimension photographique. A l’exemple du Walker Evans que nous rééditons en 2017 en partenariat avec le Centre Pompidou (Louons maintenant les grands hommes de James Agee et Walker Evans). Cet ouvrage nous ouvre aussi le champ des traductions.

Où trouvez-vous vos auteurs ?

"Terre humaine" a toujours attiré les manuscrits. Jean Malaurie avait son réseau, très centré sur les Indiens et les pôles. Nous devons l’élargir mais cela prendra du temps. Nous développons des partenariats avec les institutions comme le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, dont deux représentants siègent au comité éditorial. Ils apportent des idées, ont des correspondants dans le monde entier et ont accès à des choses intéressantes : c’est une collaboration essentielle. Nous coopérons aussi avec le Centre Pompidou sur les aspects graphiques, notamment pour la photographie.

Quels sont les peuples premiers du XXIe siècle ?

Il reste des explorateurs comme Patrice Franceschi qui est allé voir des tribus inconnues à Bornéo, des peuples à découvrir, des témoins à rencontrer, qui n’ont pas tant la parole. Une auteure comme Ingrid Betancourt aurait eu sa place en "Terre humaine". Plus que la découverte des peuples, le problème aujourd’hui est celui de la préservation. Ce qui m’intéresse, c’est le retour à l’isolement et une forme de déconnexion de certaines zones du monde, où on ne peut plus aller, comme la Somalie ou le Sahara. Je veux faire savoir ce qu’il s’y passe. Mais le temps de "Terre humaine" n’est pas celui de l’immédiateté parce que les livres mettent deux ans à sortir. Nous avons toujours pour objectif de montrer comment des sujets déconnectés du temps se retrouvent au cœur de l’actualité.

"Terre humaine" était une collection engagée, est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Jean Malaurie a pris position pour les peuples du Groenland, pour les Inuits, et contre les bases américaines pendant la guerre de Corée, contre l’industrie pétrolière. C’était une autre époque. C’est plus compliqué aujourd’hui. Les peuples premiers ne sont plus dans la même situation, les colonies n’existent plus, et les luttes entre tribus prennent une forme différente. Mais il reste des combats à mener. Il faut se battre par exemple pour des ethnies comme les Noubas dans le Sud-Soudan, attaqués par le régime islamiste du nord. Beaucoup de peuples sont en péril. Ces dangers sont multiples et il faut les identifier. La fonction de la collection est de montrer la nature de ces menaces. Elle est engagée et le restera, même si le contexte est tout à fait différent.

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