entretien

Vous avez rencontré hier les éditeurs d’art et de beaux livres au Syndicat national de l’édition. Ils font circuler une pétition pour protester contre le déménagement de la librairie du Louvre du rez-de-chaussée au premier étage. Pourriez-vous nous expliquer cette décision qui a mis le feu aux poudres ?

Jean-Paul Cluzel - J’avoue ne pas comprendre cet émoi car c’est une opération qui est faite pour sauver la librairie du Louvre et certainement pas pour en diminuer l’activité. En effet, elle connaît des difficultés propres au secteur de la librairie et son chiffre d’affaires est passé de 9,132 millions d’euros en 2009 à 7,978 millions en 2012, soit plus de 10 % de baisse en trois ans. Donc, à son emplacement actuel, la librairie du Louvre était menacée. Au rez-de-chaussée de la Pyramide, le mélange des livres avec les objets que nous vendons pour les touristes mais aussi le bruit et le passage incessants sont autant d’obstacles aux bonnes conditions d’accueil d’une librairie spécialisée en art. Le déménagement au premier étage a pour conséquence d’offrir une zone de consultation beaucoup plus calme et lumineuse avec un espace plus large entre les tables. Cela facilite la circulation des clients et le dialogue avec les vendeurs.

Ces espaces de circulation ne sont-ils pas autant de place prise sur les rayonnages de livres ?

Non, et c’est un point important, nous conservons strictement le même nombre de références, c’est-à-dire 18 000 volumes avec un large spectre. Par exemple, l’Egypte représente 452 références, le nouveau département Art de l’Islam 283 références, l’Asie 463 références, la peinture 1 910 références, etc. Tout ceci est intégralement conservé mais avec moins d’exemplaires en magasin. En effet, nous voulons favoriser la présentation sur les tables. Dans la précédente librairie, le stock était en magasin. Désormais, pour les livres à plus faible rotation, nous le déportons dans des réserves du musée. La superficie de 474 m2 reste similaire au précédent emplacement, à 5 m2 près. Le déménagement sera terminé vers la mi-juillet, sans interruption d’activité. Et nous gardons des guides et des catalogues dans ce qui va devenir la boutique souvenirs au rez-de-chaussée.

Ce déménagement est-il en relation avec le renouvellement en 2014 de la concession de librairie qui vous lie au Louvre ?

Nous avons voulu montrer au Louvre que nous nous préparions à cette mise en concurrence. Notre attachement au Louvre et notre volonté d’y exploiter une librairie de référence sont si grands que nous sommes prêts à faire des travaux que nous supportons sur nos propres comptes. Car dans l’hypothèse que nous ne remporterions pas l’appel d’offres, nous ne facturerons pas ces travaux. C’est un engagement écrit que j’ai pris auprès d’Henri Loyrette, le précédent président-directeur du Louvre.

La RMN-GP a sous tutelle une quarantaine de librairies. Celles-ci sont-elles un peu protégées de la crise que connaît la librairie française ?

Elles le sont dans la mesure où une partie importante de leur chiffre d’affaires est liée aux expositions qui se portent globalement bien. De plus, même si le guide est un secteur moins florissant qu’auparavant, la fréquentation touristique hors expositions temporaires tire le chiffre d’affaires de ces librairies. En revanche, nous sommes tous concernés par une réflexion sur ce que doit être une librairie dans un musée, à une période où beaucoup de titres rares sont disponibles sur Internet. Nous discutons avec les conservateurs pour savoir ce qui est le plus judicieux d’avoir en librairie de musée et ce qui peut être disponible via Internet. Par ailleurs, même si l’impact est faible aujourd’hui, à terme, la dématérialisation touchera le livre d’art aussi, et il faut s’y préparer. Nous réfléchissons avec la direction commerciale et la direction des éditions pour nous adapter à cette évolution. Une discussion que nous menons aussi avec les musées eux-mêmes. J’ai sollicité dès sa nomination Jean-Luc Martinez qui remplace Henri Loyrette au Louvre, pour que l’on travaille ensemble, avec les directeurs de départements, à ce que doit être une librairie d’art de référence au XXIe siècle numérique.

Cela signifie-t-il vendre en parallèle sur Internet ?

Il y a d’ores et déjà sur le site de la RMN une librairie en ligne. Celle du Louvre est aussi sur Internet, et cela fonctionne bien. La question est de savoir comment nous nous situons par rapport aux grands acteurs comme Amazon et par rapport aux librairies privées. Nous réfléchissons aussi plus généralement aux produits numériques. L’exposition Hopper présente en cela un cas remarquable avec des ventes énormes de catalogues. Nous avons constaté qu’un visiteur sur dix achetait un ouvrage et qu’un catalogue sur deux était vendu en librairie et non pas au Grand Palais. Deux ans avant, pour Monet, autre exposition à très grand succès, c’était de l’ordre d’un sur quatre. De plus, l’application numérique Hopper, conçue avec le commissaire d’exposition, a représenté un dixième du volume de ventes des catalogues. Les ventes du catalogue en ligne Monet étaient seulement de quelques milliers d’exemplaires. Cela montre, d’une part, l’émergence des produits sur support numérique et, d’autre part, l’importance de la librairie traditionnelle dans notre stratégie, favorisée par le passage à la distribution Flammarion.

Cette évolution correspond aux transformations des éditions depuis trois ans avec un programme plus resserré et des publications plus viables en librairie.

Exactement. Avec Henri Bovet, le directeur des éditions, il nous a paru nécessaire de resserrer la production sur notre corps de métier, à savoir les catalogues ou les livres directement liés à nos expositions. Nous avons divisé par deux le nombre de titres en trois ans, nous sommes passés de cent à cinquante ouvrages par an. Il ne nous appartient pas d’être trop présents sur le beau livre dont on sait qu’il a déjà des difficultés. Je vois par exemple dans ma bibliothèque la Bible que nous avons éditée avec le Cerf. C’est un livre sublime, mais je ne suis pas sûr que cette coédition soit un soutien aux éditeurs privés ou au marché de la librairie.

Qu’en est-il des publications scientifiques qui ont un potentiel commercial faible mais que vous avez pour mission d’éditer ?

Nous avons à cœur de préserver ces publications et de favoriser leur diffusion. Il est fondamental que les chercheurs à travers le monde aient accès à ces documents. Ces publications sont produites sous la forme numérique et nous développons l’impression numérique à la demande, pour les librairies universitaires en particulier. C’est un moyen de proposer une offre éditoriale fournie, d’avoir une diffusion numérique à l’étranger et de conserver une trace papier.

Les textes sont-ils toujours en français ?

Je crois bien que la plupart des textes que nous publions le sont. Mais je pense, à tort ou à raison, que lorsque l’on écrit sur la sculpture romane en Saintonge, il peut être envisageable de songer à une publication en anglais. Je n’ai pas d’obstacles idéologiques à cela. Dans le domaine des sciences, ce sont des revues en anglais qui font référence comme Nature. Il arrivera un jour où nos conservateurs devront aussi publier leurs recherches, qui sont fondamentales pour la connaissance de l’histoire de l’art, en anglais.

Vous avez été le président-directeur général de Radio France pendant cinq ans, avant d’arriver au Grand Palais et à la RMN. Etablissez-vous des points de comparaison entre ces deux gros établissements publics que sont Radio France et la RMN-GP ?

En dehors du fait qu’on est dans le domaine de la culture et de la forte notion du service public, tout est à peu près différent ! La plus grande différence, c’est qu’à Radio France on connaît en début d’année 95 % du chiffre d’affaires puisque 95 % de la recette est constituée de la redevance versée par l’Etat. Cela constitue un privilège inouï, comme je le disais toujours là-bas à mes collaborateurs. A la RMN-Grand Palais, la subvention ne représente que 14 % de notre chiffre d’affaires. Il nous reste donc à trouver les 86 % restants ! A mon niveau, l’autre différence, c’est qu’à Radio France le métier est fondamentalement le même à travers les chaînes. C’est toujours de la radio. A la RMN-Grand Palais, les métiers sont très divers, de l’organisation d’un défilé de mode à la publication d’un catalogue. Et il n’y a qu’un lien ténu entre l’édition d’art, la chalcographie et la vente de mugs, que nous proposons pourtant dans un même magasin ! 

11.10 2013

Les dernières
actualités