L'année de la pensée analytique. « Il y a en vous quelque chose [...] qui vous fait croire que vous ne méritez pas les bons côtés de la vie. » Ces mots, Joan Didion les reçoit du psychiatre Roger MacKinnon lors de leur séance du 29 décembre 1999. L'écrivaine et son époux, l'homme de lettres John Gregory Dunne, sont alors confrontés à la maladie de leur fille Quintana, adoptée à la naissance, atteinte d'un trouble de la personnalité et alcoolique. Au moment où Didion entame son analyse, il ne reste que quelques années à vivre à son époux, disparu en 2003, et à Quintana, qui meurt en 2005 à 39 ans. Compte-rendu de ses séances avec le Dr MacKinnon, les Notes à John ont été rédigées à l'attention de John Dunne, auquel Didion s'adresse directement. Le lecteur contemporain y lit les interrogations de la romancière quant à la maternité, à sa relation avec Quintana et sa propre famille, aux difficultés rencontrées dans sa carrière. Un travail sur elle-même que l'écrivaine qualifie, dans une lettre envoyée en 2001 à une amie, d'« expérience extraordinaire ». Citée en avant-propos des Notes, publiées au printemps dernier aux États-Unis, cette lettre est l'un des maigres arguments avancés par les ayants droit de Didion pour justifier la publication posthume de ce recueil, « une sorte de journal » dont les quarante-six feuillets auraient été retrouvés classés dans un dossier, en évidence dans son bureau. Si la matière rassemblée dans ces pages représente un Graal pour les exégètes de l'immense écrivaine, sa publication pose question, et sa lecture suscite un certain malaise.
Papesse de la narrative non-fiction, Didion a forgé l'acuité de sa plume grâce à l'observation et l'investigation, tant sociétales qu'intimes. L'année de la pensée magique (Grasset, 2007), son essai le plus célèbre, puise ainsi sa substance dans le deuil engendré par la disparition de John Dunne. Le bleu de la nuit (Grasset, 2013), dans celui suivant le décès de Quintana. L'écrivaine aurait-elle pour autant souhaité la publication de ces Notes, pour certaines très personnelles ? Rien ne le confirme. Même si la quête de vérité fut au cœur des livres et des reportages de Didion, le lecteur se retrouve ici le dépositaire d'une parole qui ne lui est pas destinée, témoin des échanges entre un psychiatre et son patient, d'ordinaire confidentiels. La forme même du texte, répétitive et truffée de verbes introducteurs (« j'ai dit »,« j'ai répondu »), témoigne de son caractère inabouti. Par ailleurs, un texte retrouvé dans l'ordinateur de l'écrivaine, et qui ne figurait pas dans le dossier d'origine, a été ajouté aux Notes. Joan Didion y indique avoir consulté, sur le conseil de MacKinnon, le Dr Kass, psychiatre de Quintana. Au portrait d'une mère vulnérable, qui tente désespérément de sauver sa fille, se superpose ainsi celui d'une jeune femme à laquelle on refuse le secret de l'analyse, prisonnière de sa maladie et du contrôle exercé sur elle par ses proches. Si les éclairages que ces Notes apportent à l'œuvre de Didion peuvent éventuellement satisfaire notre curiosité, il s'avère difficile de faire abstraction de la destinée tragique de Quintana et d'ignorer la question du consentement de cette dernière à savoir son intimité ainsi exposée.
Notes à John
Grasset
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23 € ; 304 p.
ISBN: 9782246843757