La Belgique sous influence

La librairie Standaard Boekhandel à Gand. - Photo Anne-Laure Walter/LH

La Belgique sous influence

Le marché du livre flamand, qui s’est stabilisé après trois ans de chute, reste dominé par les livres venus des Pays-Bas, surtout en littérature. Il se démarque par la qualité de sa production illustrée.

J’achète l’article 1.5 €

Par Anne-Laure Walter
avec Créé le 14.10.2016 à 01h30

Comme son homologue francophone, le marché du livre belge néerlandophone est marqué par le poids écrasant de son voisin, qui aimante les auteurs et distille sa production dans toutes les librairies. Surtout que l’on fait remonter la tradition du livre aux Pays-Bas à Descartes, quand, en Flandre, le néerlandais n’est la langue d’enseignement officielle à l’université que depuis 1930. Dans le marché de la littérature générale, les Pays-Bas vendent au moins un livre sur cinq de l’autre côté de la frontière où beaucoup d’éditeurs comme Meulenhoff, associé à Manteau, ou les groupes VBK ou WPG, ont installé des filiales. Si plusieurs ont été rapatriées suite aux réductions budgétaires, à l’instar de De Bezige Bij qui a quitté Anvers, la plupart conservent une équipe commerciale et un distributeur. Ces équipes ciblent la chaîne Standaard Boekhandel, acteur majeur, qui a repris en 2014 la chaîne Club côté wallon et qui représente plus de la moitié du marché, même si d’autres grandes surfaces culturelles, comme la Fnac avec ses dix magasins en Belgique, sont désormais bien implantées. Le paysage de la librairie en Flandre est complété par 78 indépendants dont 25 se sont regroupés en Confituur, groupe d’action promotionnelle dynamique né en 2012 après la dissolution de Colibro.

La Fnac d’Anvers.- Photo ANNE-LAURE WALTER/LH

Prédominance de la non-fiction

Concernant la part du chiffre d’affaires de l’édition réalisée par des livres en provenance des Pays-Bas, il n’existe pas de chiffre officiel communiqué par Boek.be, l’organisation interprofessionnelle du livre flamand, mais on l’estime à un peu plus de 60 %. De plus, Amsterdam attire les plumes flamandes, qui savent que le livre circulera efficacement dans leur pays ou à l’étranger via les cessions de droits. "Les plus grands auteurs flamands sont édités aux Pays-Bas", affirme Ronit Palache, la responsable des droits étrangers chez Prometheus, qui édite Tom Lanoye ou Griet Op de Beeck (achetée par Héloïse d’Ormesson). Hugo Claus (de Fallois ou le Seuil en France) était publié par Bezige Bij par exemple, tout comme le poète Leonard Nolens. De plus, pour les best-sellers internationaux comme La fille du train ou Grey, il n’existe qu’une seule traduction en néerlandais et c’est généralement les Pays-Bas qui remportent les droits, en l’occurrence Bruna et Prometheus pour ces deux titres, 3e et 4e des meilleures ventes de l’année en Belgique selon GFK. Si les livres venant des Pays-Bas sont extrêmement bien diffusés en Flandre, la réciproque n’est pas vraie. "Comme à vélo, il est plus aisé de descendre d’Amsterdam à Anvers que de remonter d’Anvers vers Amsterdam !" déclarait dans la presse Leo De Haes chez Houtekiet, qui appartient au groupe VBK. Du coup, sur les 87 éditeurs locaux, peu se spécialisent en littérature générale. Rudy Vanschoonbeek, président de l’association des éditeurs flamands et à la tête d’une maison indépendante, Vrijdag, est l’un des trois à éditer de la fiction. Il réalise environ 20 % de son chiffre d’affaires de l’autre côté de la frontière et vante pour l’auteur le travail de proximité de l’éditeur local : "Pour les Belges comme pour les Néerlandais, le marché premier reste bien le marché national."

L’édition flamande, qui publie chaque année 12 000 nouveaux titres, est plus solidement implantée dans d’autres rayons. L’éducatif bien sûr, même si De Boeck Supérieur a été cédé à Albin Michel en 2015, mais aussi les essais et documents. La cuisine saine de Pascale Naessens, auteure publiée par la principale maison d’édition flamande Lannoo, truste les meilleures ventes avec trois titres dans le top 20 de 2015, dont celui qui s’est le mieux vendu dans l’année, Puur eten dat je gelukkig maakt ("La nourriture saine qui rend heureux"), mais aussi de la non-fiction exigeante comme celle de David Van Reybrouck dont le Congo, une histoire a été traduit dans le monde entier. Ce qui est rare, car les cessions de droits sont peu développées en Flandres en dehors du secteur de l’illustré.

BD et livres illustrés

Comme l’explique Rudy Vanschoonbeek, "les Flamands savent faire de très beaux livres et sont reconnus pour l’illustré : l’art, la jeunesse et bien sûr la bande dessinée". Fonds Mercator, qui coédite régulièrement avec Actes Sud, est particulièrement réputé en art, tout comme Ludion, maison indépendante créée il y a plus de vingt-cinq ans. Les illustrateurs flamands comme Carll Cneut, édité en France par L’Ecole des loisirs, Klaas Verplancke, qu’on a pu voir chez Milan ou Casterman, ou Ingrid Godon à La Joie de lire sont régulièrement nommés pour des récompenses à la Foire de Bologne ou pour les prix Astrid Lindgren. Quant au marché de la bande dessinée, historiquement implanté en Belgique francophone, il s’est aussi massivement développé en Flandres, éduquant toute une génération de lecteurs via les albums édités par Standaard Uitgeverij ou Ballon (propriété de Média-Participations). Une bande dessinée de création est née autour d’Anvers et reste dynamique. D’ailleurs, l’auteur Brecht Evens avait présenté au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2013 la nouvelle vague de la BD flamande avec Lotte Vandewalle, Brecht Vandenbroucke, Sarah Zeebroek et Hannelore Van Dijck. Le public reste attaché à la bande dessinée qui représente près de la moitié des ventes du top 20 en 2015, avec les trois derniers tomes de la série De Kiekeboes de Merho (Fanny & Cie en français). Le rayon, à + 13,8 % en 2015, a tiré le marché, suivi par la jeunesse à + 0,8 %. Globalement, les ventes de livres se sont stabilisées en 2015 à + 0,2 % par rapport à 2014, représentant 196 millions d’euros selon les données GFK pour Boek.be. Ce sont les ventes en ligne et les libraires indépendants qui ont le plus profité de ce retournement de conjoncture avec des hausses d’activités respectivement de 19 % et de 12,5 %, alors que les chaînes sont en repli (- 4,3 %). Un retour au calme qui pourra être consolidé l’an prochain avec l’instauration d’un prix fixe du livre.

14.10 2016

Les dernières
actualités