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La communication du manuscrit en référé

La communication du manuscrit en référé

"Toute demande qui vise à obtenir la communication préalable d’un ouvrage à paraître constitue une ingérence à la liberté de création et au droit à la liberté d’expression."

Ceux qui craignent de voir leurs secrets livrés en librairie, leur vie privée racontée ou leurs agissements montrés du doigt, sollicitent parfois le juge des référés pour obtenir la communication des manuscrits sulfureux sur le point d’être publiés. La justice rechigne cependant à instaurer un système de censure préalable.

Tel a été encore jugé ainsi le 6 octobre dernier par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris. Le juge était en l’occurrence saisi d’une demande de communication du texte de l’ouvrage intitulé Un cartel nommé Daech. Comment l’Etat islamique a organisé sa survie sans territoire” et portant notamment sur le financement du terrorisme.

Le demandeur, marchand d’art, agissait sur le fondement de la diffamation et du respect de la présomption d'innocence.

La société éditrice rétorquait que l’action diligentée n’était que « spéculative, portant sur des faits incertains autant qu’hypothétiques, s’agissant d’un ouvrage non publié. Elle souligne également que l’éventualité d’une diffamation n’est pas démontrée, celle-ci supposant une publicité, que l’atteinte à la présomption d'innocence nécessite que les personnes fassent l’objet d’une enquête pénale, ce qui n’est pas établi, et que les demandes portent atteinte au droit de divulgation. »

Les importants pouvoirs du juge des référés

Le magistrat chargé de statuer commence par souligner que « toute demande qui vise à obtenir la communication préalable d’un ouvrage à paraître constitue une ingérence à la liberté de création et au droit à la liberté d’expression consacré par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en sorte qu’il appartient au demandeur de prouver le  risque d’une atteinte grave à ses droits, ne pouvant être réparée par des dommages et intérêts. » Et il précise, pour rejeter toutes les demandes, que « les pièces de l’assignation ne démontrent toujours pas, au demeurant, la nature des accusations portées dans le livre. »
 
Rappelons le juge des référés possède, certes, de très importants pouvoirs. Aux termes du Nouveau Code de procédure civile, il a la faculté d’ordonner « toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». De plus, il peut, « même en présence d’une contestation sérieuse », prescrire les « mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

En l’absence d’une liste de sanctions plus détaillée, la palette des mesures est donc très large. En pratique, elles vont de l’insertion de rectificatifs jusqu’à l’interdiction pure et simple de l’ouvrage, en passant par l’arrachage de pages. Il est fréquent qu’une publication judiciaire soit ordonnée en référé. Une condamnation à ce qu’un panonceau soit disposé sur tous les lieux de vente a même déjà été prononcée dans le cadre d’une telle procédure. Quant au versement de dommages-intérêts par provision - c’est-à-dire par anticipation sur la condamnation que prononceront ultérieurement les juges du fond - il s’agit là d’une mesure très répandue.

Contenu définitif

Mais le juge des référés est un magistrat de l’urgence et de l’évidence. Pour statuer, il lui est nécessaire de disposer de certitudes et non de simples « indices ».
C’est pourquoi il n’examine sérieusement la demande d’interdiction de tout ou partie d’un livre à paraître que s’il peut en vérifier le contenu définitif. Il peut se fonder sur un exemplaire du livre déjà fabriqué mais non encore mis en vente, un jeu d’épreuves, voire un manuscrit « authentifié », c’est-à-dire non contestable.
 
L’envoi prématuré du service de presse relève, dans le cas d’un ouvrage sensible, d’une prise de risque pour l’éditeur : cela revient à semer des preuves à tous les vents de Saint-Germain-des-Prés.
Soulignons, en aparté, que le 14 février 1997, la Cour d’appel de Paris a condamné un éditeur de journaux pour avoir exploité des informations, en violation d’un accord de confidentialité conclu avec un éditeur. Celui-ci avait initialement communiqué le manuscrit en vue d’une éventuelle publication des « bonnes feuilles ».

Bref, l’éditeur doit savoir doser entre la nécessaire préparation de la promotion, bien en amont de la sortie du livre, et le risque concomitant de ne le voir jamais sortir…

Si le secret est bien gardé ou si la cible ne possède pas les bons réseaux, il peut lui être tentant de se tourner sans plus attendre, désemparée, vers la justice.

Le cas Turquin-Weitzmann

Lors de la rentrée littéraire de l’an 2000, Jean-Louis Turquin avait ainsi saisi le juge des référés d’une demande dirigée contre le livre de Marc Weitzmann, intitulé Mariage mixte et qui s’inspirait du cas de ce notable niçois condamné pour l’assassinat de son fils. L’éditeur avait été assigné en vue d’être forcé à communiquer le manuscrit du livre sur le point de paraître. Jean-Louis Turquin ne disposait en effet que des bonnes feuilles publiées par la presse. Il exigeait également que la sortie du livre soit retardée pour lui laisser prendre connaissance du manuscrit…

Le 13 septembre 2000, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance rendue le 16 août 2000 et estimé que cette requête ne pouvait être favorablement accueillie, quand bien même Jean-Louis Turquin arguait-il d’un recours en révision ainsi que d’une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme pour justifier de celle-ci.  

Le cas Delon-Violet

De même, le Tribunal de grande instance de Paris est revenu, le 18 novembre 1998, sur l’affaire Delon qui avait défrayé la chronique judiciaro-littéraire de l’été précédent.

L’acteur avait réussi à obtenir, un 5 août, l’interdiction en référé de la sortie, chez Grasset, de sa biographie signée par Bernard Violet. Alain Delon ne disposait alors que d’un document de travail, une sorte de long synopsis, communiqué par une éditrice, à qui la demande avait été formulée par l’avocat d’Alain Delon.

Contredisant le juge des référés, les magistrats du fond ont estimé qu’Alain Delon ne « disposait pas d’un pouvoir de contrôle préalable des publications ».

C’est à ce retour à un système de censure a priori que la justice tente d’échapper, en repoussant les demandes de communication des manuscrits.
 

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