2 avril > Roman France

"La ligne des glaces" définit la frontière où les molécules simples se condensent. Cette ligne se situe à un peu moins de 700 millions de kilomètres du soleil, bien après la ceinture d’astéroïdes et juste avant l’orbite de Jupiter. Elle marque la séparation franche entre les planètes telluriques et les planètes gazeuses.

Il n’est question que de cela, de frontières, de no man’s lands où s’échoue jusqu’à la conscience européenne, de divagations entre le connu et le sensible, dans cette Ligne des glaces, troisième roman d’Emmanuel Ruben, son premier chez Rivages.

Il sera donc question d’un jeune diplomate, Samuel Vidouble, entre deux eaux et deux affectations, qui est envoyé dans un pays lointain, assez au nord de toutes choses (un Etat balte sans doute, la Lettonie peut-être, assez proche aussi de la Courlande chère à Jean-Paul Kauffmann), ce qui tombe assez bien pour ce jeune homme qui de toute façon a le cœur en hiver… Une fois sur place, il se voit confier la tâche de cartographier les frontières maritimes de cet Etat des bords de la Baltique. Il s’y attellera avec un enthousiasme de plus en plus erratique, tandis que se révèle la vanité de sa mission. Guidé ou au moins accompagné par un ami linguiste et une jeune femme aussi évanescente qu’un elfe, il préférera s’adonner à une fervente mélancolie attisée par les airs de bout du monde de son refuge.

A l’image de son personnage, au fil des pages de plus en plus perdu, la lecture de La ligne des glaces produit le même effet d’indécision, d’égarement et finalement de sidération. Emmanuel Ruben, jeune et brillant agrégé de géographie, y mène son affaire à la fois comme un vieux routier du roman, parsemant son récit vagabond et poétique de scènes de comédie pure autour de la vanité de la diplomatie et des prospectives géopolitiques, mais aussi avec une indolence infiniment gracieuse. Ce serait un peu, étrange rencontre, comme si Graham Greene venait à croiser W.G. Sebald… Rien n’arrive jamais pour ce Samuel qui ne sait vivre sa vie autrement que comme un long épilogue. Et pendant ce temps-là, rêves et cauchemars sont autant d’avortons de l’Histoire, le réel et l’imaginaire jouent à cache-cache. Olivier Mony

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