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La contrefaçon d'un livre par l'audiovisuel 

La contrefaçon d'un livre par l'audiovisuel 

Les tribunaux doivent faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi.

Près de 20 % des films de cinéma seraient des adaptations de livres. Las, hors de la fonction, pour certains sujets, les producteurs sont parfois tentés de contourner les maisons d’édition et de faire réécrire le scenario sans acquérir les droits.
Mal leur en prend, comme l’a jugé le Tribunal de grande instance de Paris, en date du 22 mars 2018.

En l’occurrence, l’éditeur d’un livre autobiographique dépeignant le pouvoir politique en Iran se disait pillé par un producteur très économe et peu scrupuleux.

Le demandeur arguait que la structure narrative, les lieux, les personnages ou encore les ellipses - au total 68 passages de l’ouvrage… - avaient été repris illicitement. Sans surprise, le producteur plaidait les différences entre son film et le livre.
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler quelques fondamentaux caractérisant la contrefaçon d’une oeuvre littéraire, même issue de la non-fiction.

Les juristes spécialisés s’accordent à dire qu’une œuvre littéraire est formée de trois éléments : l’idée, la composition et l’expression. L’idée seule n’étant pas protégeable par le droit d’auteur, la contrefaçon littéraire ne peut porter que sur la composition ou sur l’expression, ou sur les deux à la fois. Et la composition désigne l’essence, la trame, l’« histoire » en quelque sorte, et l’ensemble des éléments qui la forment : péripéties, enchaînement des événements, scènes, caractéristiques des personnages, etc.

Le cas Autant en emporte le vent

Pour déterminer s’il y a ou non contrefaçon de la composition d’une œuvre, il convient de découper le scénario du livre en un nombre de scènes clés et de comparer. L’affaire Autant en emporte le vent qui a opposé Régine Deforges aux héritiers et à l’éditeur de Margaret Mitchell fournit un assez bon exemple de cette méthode, fréquemment employée en justice. Les diverses juridictions qui sont intervenues dans cette affaire ont analysé notamment les caractères des personnages, la toile de fond, le contexte, les situations et les scènes des deux romans. La cour d’appel de Versailles, à la fin de 1993, a estimé en dernier lieu que l’ensemble des éléments du roman de Régine Deforges était imposé par le contexte librement choisi de la Seconde Guerre mondiale. Quant à certains éléments communs, les juges les ont considérés tout au plus comme des idées de libre parcours, par conséquent non appropriables et ne pouvant être revendiquées par les héritiers Mitchell.

Les tribunaux doivent donc faire le compte des éléments communs et déterminer si leur présence relève du pillage ou est imposée par le sujet choisi. On ne peut par exemple interdire à un romancier situant l’action de son livre en Afrique du Nord d’y incorporer une scène dans un souk.

De même existe-t-il des exceptions dues au fonds commun de la littérature, des éléments devenus si banals qu’ils ne peuvent plus présenter d’originalité que dans leur expression. Ainsi, dès le début du xxe siècle, un tribunal a justement rappelé que Courteline ne pouvait s’approprier le thème du mari qui fait preuve de faiblesse vis-à-vis de sa femme adultère. C’est un processus semblable à celui qui frappe, par exemple, les livres historiques dont l’auteur a décidé de suivre, le plus simplement qui soit, un plan chronologique. Un guide de la chasse en France a, en revanche, été considéré comme contrefait par un article qui reprenait, selon le même ordonnancement, les « différents types de chasse à la journée sur l’ensemble des territoires français ».

Les adaptations de quelque sorte que ce soit (d’un livre en un film ou un autre type d’œuvre ou, inversement, d’une pièce en un roman) sont bien évidemment susceptibles d’être poursuivies pour contrefaçon. La publication en bande dessinée et en cassette audio, sans autorisation, d’un roman d’Agatha Christie en constitue, par exemple, une contrefaçon.

34 scènes jugées contrefaites

Dans la décision du 22 mars 2018, les juges estiment que le thème commun et le caractère biographique « impliquent nécessairement des similitudes tenant aux faits relatés eux-mêmes, aux lieux où ils se déroulent ainsi qu'à leurs protagonistes principaux ».
Ils précisent : « la comparaison des deux œuvres démontre non seulement que l’intégralité des épisodes de la vie de monsieur (…) et de sa famille, qui sont racontés dans le film (…) est déjà exposée dans le livre, au moins en des termes généraux, mais aussi (…) que de nombreuses anecdotes servant à illustrer ces différents évènements sont reprises à l’identique dans le film. »

Mais l’ampleur des points de contact dépassent ce type de similitudes, trahissant une « source d'inspiration commune ». Et de conclure : « Il se déduit de ces éléments que le film (…) procède bien de l’adaptation de l’œuvre littéraire (…) sans l’autorisation de la société (…) cotitulaire des droits d’adaptation audiovisuelle sur le livre, et constitue à ce titre une contrefaçon. »

Au final, près de 34 scènes soit la moitié des passages incriminés, ont été jugés contrefaisants.

Le bilan économique de cette aventure est maigre, car le jugement a octroyé 15000 euros de dommages-intérêts. Toutefois, il a ordonné la modification du bulletin de déclaration de son film à la SACD, ainsi qu’une publication judiciaire.
 
 
 

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